Madame raconte L’AMORE avec une poésie moderne aussi unique qu’érotique
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Auteur·ice : Caroline Bertolini
05/04/2023

Madame raconte L’AMORE avec une poésie moderne aussi unique qu’érotique

Il est vrai, la tradition italienne laisse parfois les choses se figer dans le temps. Porte ouverte aux conservateur·ices mais aussi gardienne du patrimoine, cet amour de l’ancien a cultivé un stéréotype de LA chanson italienne qui ressemblerait à Ti Amo d’Umberto Tozzi. Ne vous méprenez pas, nous ne sommes point indifférent·es au pouvoir de cette mélodie culte, mais force est de constater que le vent tourne en Italie. Il caresse la musique italienne d’une scène alternative en plein essor. On y retrouve Madame, qui a une place toute particulière dans nos cœurs. Elle raconte l’amour d’une poésie moderne, crue et érotique, parfois presque perverse, mais d’une beauté incomparable. 

Laissez-nous vous présenter Francesca Calearo rapidement. Née à Vicenza (Veneto), elle grandit à Creazzo dans la même région. Pianiste autodidacte, fille d’un amoureux d’auteur·ices de musique italienne, elle sort en 2018 son premier single Anna à l’âge de 16 ans. Mais c’est le single Scicchiere qui la propulse sur la scène hiphop alternative italienne comme un nom incontournable. En 2020, elle sort le morceau CLITO, plutôt osé, plutôt très qualitatif. “La vita mi fa clic sul’clito'”, comprenez “la vie me fait clic sur le clito” pour signifier comment la vie la malmène (avec une analogie plus sexuelle).

2021, Madame participe au Festival de Sanremo, énorme événement italien se passant à… Sanremo et permettant à un·e artiste, à l’issue de plusieurs soirées de performances et de votes, de représenter l’Italie à l’Eurovision. C’est via ce même procédé que Måneskin, mais aussi Mahmood et BLANCO (on vous en parlait ici) ont eu la chance de frôler le parquet européen et international par la suite. Elle y présente son single VOCE qui se veut moins érotique, d’un flow plus chanté, toujours sur le spectre du hiphop italien. Si on avait un esprit critique, on dirait qu’elle a choisi un single qui ne choquera pas les vieux·eilles conservateur·ices italien·nes. Une performance remarquée mais qui ne parvient pas à se démarquer puisque c’est Zitti e Buoni qui remporte le concours.

Non so sе

(Je ne sais pas si)
Ti ricordi di me

(Tu te souviens de moi)
Quanto è bello abbracciarmi

(Comme c’est agréable de me serrer dans tes bras)
Per sentirti un po’ a casa

(Pour te sentir un peu à la maison)
Sarà bello abbracciarti

(Ce sera agréable de te serrer dans mes bras)
Dirti: “Mi sei mancata”

(Te dire : “Tu mas manqué”)

Elle sortira par la suite son album MADAME qui place le curseur de sa musique sur les traces et même au-delà de ce qui se fait en termes de rap en Italie. Exemple avec la star du rap et rap des stars italiennes Sfera Ebbasta avec qui elle enregistrera le titre TU MI HAI CAPITO. Elle en fera d’ailleurs un featuring avec Hatik intitulé “Tu m’as compris”, no comment sur celui-ci. Elle invitera également quelques noms plutôt connus de la botte : Gaia, BLANCO etc. Hiphop infusé d’électro plein de sonorités et influences un tantinet kitsch par moments, avec comme seul fil rouge : l’autotune, le flow et la vision unique de Francesca qui est une parolière incroyable, encore faut-il parler italien pour s’en rendre compte.

Cette année fut l’année de la seconde chance à San Remo où elle présentait le dangereusement addictif IL BENE NEL MALE. Une histoire plutôt osée pour le parquet du festival qui a tendance à beaucoup apprécier les chansons “traditionnellement italiennes”. C’est l’histoire d’une prostituée qui tombe amoureuse d’un homme qui finit par la tuer. L’histoire d’un féminicide qui raconte l’amour d’une autre façon, d’un autre point de vue, celui qui fait mal, qui a pu faire du bien pendant un instant. Littéralement “le bon dans le mal”.

Non sono nemmeno un dolce ricordo

(Je ne suis même pas un doux souvenir)
A me è rimasto il rimpianto

(À moi il me reste le regret)
A te soltanto il rimorso

(À toi seulement le remord)
E ho paura di te

(Et j’ai peur de toi)
Ho sempre avuto paura di te

(J’ai toujours eu peur de toi)
Non ti ho mai dato il cuore, già sapevo che sarebbe stato un grosso sbaglio

(Je ne t’ai jamais donné mon cœur, je savais déjà que ce serait une grosse erreur)
Il cuore va tenuto dentro al petto per poter ancora respirare

(Le cœur doit être maintenu à l’intérieur de la poitrine pour pouvoir respirer.)
L’amore è solamente di chi prova amore, non è di chi lo riceve

(L’amour appartient seulement à celui qui le ressent, pas celui qui le reçoit)
E io che l’ho provato ad ogni tocco tuo posso dire che a me è rimasto

(Et moi qui l’ai ressenti à chacun de tes touchers, je peux dire qu’il est resté en moi)

 

Madame annonce presque directement après San Remo la sortie de son nouveau disque, 1 mois après, sur Sugar Music. En guise de teaser, des carrés rouges projetés sur des monuments italiens. Il s’appellera L’AMORE et racontera l’amour d’une façon très particulière, celle de Francesca et Francesca seulement, sous un rouge éclatant. Il paraît qu’on lui a fait remarquer qu’elle ne parlait pas assez de ce sentiment dans son premier projet, elle s’est donc mis en tête de ne parler que de ça pour son prochain. Assurément pas de la façon mielleuse dont on peut le voir mais d’une façon plus moderne, plutôt érotique, presque perverse dans la façon de décrire tous ses penchants, tous ses vices, mais aussi sa beauté.

Elle commence par nous dire “comment elle veut l’amour et comment elle pense l’amour” dans COMME VOGLIO L’AMORE. Elle nous montre quel homme la fera trembler (de toutes les façons) sous des percussions plutôt tribales. Elle raconte l’amour toxique dans QUANTO FORTE TI PENSAVO sous un fond de piano rythmé et violons dramatiques. Sur ces deux dernières, on ne retrouve pas tant le côté hiphop qu’on a pu lui associer. On retrouve du chant, on retrouve des instruments qui se passent de beats trap, mais on garde l’autotune.

Sur un côté plus érotique, NIMPHA – la storia di une ninfomane. Une dualité plutôt intéressante sur celui-ci, c’est le morceau qui arbore le plus un style traditionnellement italien dans la production, tout en parlant d’une nymphomane. les conservateur·ices vont sauter au plafond (et non au septième ciel). On vous laisse juger par vous même :

Non vuoi lasciarmi godere

(Tu ne veux pas me laisser jouir)
Volere l’ultimo goccio di te

(Je veux la dernière goutte de toi)
E più mi guardi, più penso che

(Et plus tu me regardes, plus je pense que)
Vorresti amarmi, ma non sai se

(Tu voudrais m’aimer mais tu ne sais pas si)
Vorrai lasciarmi godere

(Tu me laisserais jouir)
Mi stai confessando piangendo

(Tu confesses en pleurant)

Revenons au côté influences électro de Madame. Ils reste très important sur ce disque également. D’abord avec IL MIO NUOVO MAESTRO, donc le visuel teaser se place sur le spectre sexuel. Très calme, très lent, mais très intense. Elle y parle du rapport entre un “ancien maître” qu’elle oublie grâce à son “nouveau maître”. Elle se languit de l’amour et des caresses de chacun sous un fond très minimaliste en termes de production, mais qui constitue un des plus intéressants. Dans le même registre se trouve RESPIRARE et AVATAR – l’amore non esiste. L’une raconte l’histoire d’une femme aux multiples amants, mais qui ne se languit que pour l’un d’entre eux. Pour elle, faire l’amour avec cette personne c’est comme une respiration au milieu de tous ces hommes. La deuxième paraîtrait plutôt négative de prime abord, “l’amour n’existe pas” comme le dit le titre. Mais en réalité Francesca explique que l’amour n’existe pas mais qu’elle le sent, elle parle de connexion. Les beats résonnent comme un cœur qui bat intensément et dont le rythme s’intensifie, comme une respiration en plein coït. Elle rassure l’autre personne en lui disant que s’il a peur de ce qu’il voit, il n’a qu’à lui serrer la main et se laisser aller.

 

Par ailleurs, cet album n’arbore pas que de l’érotisme, des paroles crues. Oui, Francesca avoue aimer utiliser des paroles crues et faire des analogies pour raconter des sentiments très simples comme celui-ci, mais elle sait aussi composer de magnifiques ballades. C’est ce qu’elle nous prouve avec MILAGRO – A Matilde, NON PROVO DOLORE et PER IL TUO BENE. La première étant une des plus belles ballades que nous avons pu entendre, veramente. Elle nous ramène à la mer, thème qu’elle aime beaucoup aborder. Notamment dans le dernier projet avec MAREA, mais aussi dans celui-ci avec L’ONDA – La morte del marinaio qui se rapproche beaucoup du flow et de la production du dernier projet. Elle disait d’ailleurs dans un Q&A de l’odeur de l’amour, que c’est l’odeur de la mer, selon elle. Revenons seulement à PER IL TUO BENE, dont elle aime dire que c’est le morceau qui lie tout l’album. Il est calme, doux, raconte la perversion en analogie avec l’amour ce qui le rend poétique à souhait car il raconte une histoire unique.

La force de cet album, aussi éclectique soit-il, c’est que chaque son a droit à son histoire, ce qui constitue la glue de ce projet. Chaque chanson a son univers en termes de paroles, de narration mais aussi en termes de production et en découle l’image qu’on s’en fait dans notre tête. Tout est écarlate, tout est intimement intime, sensuel, poétique. Ce que Madame a réussi à faire avec cet album, à seulement 21 ans, c’est donner son point de vue sur un concept vu et revu dans la musique et dans la vie de tous les jours, au point que ses problématiques et sa beauté en sont devenues fades. En tout cas pas dans cet album. Il ne s’autorise pas à vous ennuyer, il ne s’autorise que ses propres limites et sa propre vision, ce qui le rend à l’avance de tout ce qui se fait en Italie, et au-delà. Une poétesse moderne qu’il nous tarde de voir sur les planchers belges. Programmateur·ices, dove cazzo siete?


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