On aurait tant voulu vous écrire ces lignes au lendemain d’une victoire de notre Italien adoré à l’édition 2022 de l’Eurovision. Une prestation quelque peu bafouée et une victoire ukrainienne évidente plus tard, on vous partage quand même notre entretien avec Mahmood, voix d’or du nouveau paysage pop italophone – et accessoirement l’idole de l’auteur de ces lignes.
Son album Gioventù bruciata de 2019 annonçait déjà des jours meilleurs (et plus modernes) pour la scène grand public italienne, qui s’est enfin défaite d’un genre classique trop rigide pour embrasser des groupes aux univers et aux styles moins orthodoxes – Måneskin, ça vous dit quelque chose ? Après une première participation à l’Eurovision en 2019 de laquelle il finira second avec son morceau Soldi, Mahmood réitérait l’événement cette année (avec moins de succès) aux côtés de BLANCO, nouvelle sensation pop juvénile italienne, et une bouleversante ballade intitulée Brividi (adéquatement traduite “frissons”). Parallèlement, il emportait son album Ghettolimpo paru l’an passé en tournée européenne. À quelques heures de son show impeccable à De Roma (qu’on vous racontait ici), on a eu la chance de revenir avec lui sur sa deuxième participation à la compétition télévisée la plus regardée du globe, l’importance de son dernier disque, sa passion pour l’univers manga ou encore sa collaboration avec Woodkid.
La Vague Parallèle : De ta victoire à Sanremo à ta participation à l’Eurovision, c’est un peu une année de dingue pour toi, non ?
Mahmood : Oui, vraiment. C’est une année assez fantastique et surréaliste. Il faut savoir que de base, BLANCO et moi n’avions même pas forcément prévu de participer à Sanremo. On voulait sortir la chanson en janvier, comme un single. Mais BLANCO m’a écrit en proposant de se lancer dans la compétition avec Brividi. C’était un vrai challenge, d’autant plus que le casting cette année était dingue : Elisa, Gianni Morandi, etc. Mais on s’est lancés, et voilà où on en est aujourd’hui.
LVP : C’est ta deuxième fois en tant que porte-drapeau italien à l’Eurovision. En quoi cette fois-ci est différente ?
Mahmood : C’est bénéfique d’être à deux, cette fois, car on peut se diviser la pression. Sur scène, si l’un des deux a un coup de stress, on se lance un regard et ça va directement mieux.
LVP : Toi et BLANCO, vous êtes complémentaires ?
Mahmood : Énormément ! BLANCO est une boule d’énergie, alors que moi je suis tout l’opposé. Je crois que c’est un duo qui amuse beaucoup de gens d’ailleurs. Je l’aime beaucoup, c’est comme un petit frère pour moi, et je n’aurais pas pu rêver mieux comme coéquipier sur cette compétition.
LVP : Parlons de ton dernier album Ghettolimpo que tu as sorti en 2021. Par rapport au nom du disque, tu dirais que tu es plutôt “Ghetto” ou “Olympo” ?
Mahmood : En réalité, je crois que je suis en plein milieu. L’Olympe représente ma passion pour la mythologie grecque. Depuis l’enfance, je suis fasciné par les dieux grecs, les récits et les histoires liés à eux. Le ghetto c’est plutôt ma part plus identitaire : mes racines, ma famille, mes ami·es. Ce disque c’est l’histoire de ma vie et de ma passion qui se croisent.
LVP : On le voit sur la pochette, tu embrasses ton côté plus sombre sur ce disque. C’était un exercice facile pour toi ?
Mahmood : Ce disque est un passage naturel par lequel je devais passer. Je dirais même que c’est un album essentiel pour moi. Ce n’est pas un disque qui a l’ambition d’être mainstream, car il est un peu trop bizarre pour ça. Pour évoluer au niveau artistique, je me devais de proposer quelque chose comme cela. Je crois que chaque sortie nous apporte quelque chose, et ce disque m’a autorisé à expérimenter, à m’éloigner des codes.
LVP : Ce disque était notamment marqué par un gros travail sur le visuel. Tu es un véritable personnage à toi tout seul. Quel rôle as-tu joué dans la construction de cet univers complet ?
Mahmood : Tous les éléments visuels qui ont marqué cette sortie sortent d’abord de ma tête. De base, tout est parti du morceau Inuyasha. C’est avec ce clip et son esthétique que j’ai compris la direction visuelle qu’allait prendre cet album. Forcément, ça a demandé des équipes de stylistes, de set designer et beaucoup de travail pour donner vie à tout cela. C’était assez compliqué à tenir sur la longue, car chaque projet était ambitieux. Mais ça m’a permis de prendre conscience du temps que les idées prennent pour prendre forme, et des éléments que cela convoque : s’entourer d’une équipe soutenante, rester concentré, etc. J’ai beaucoup grandi à la suite de cet album.
LVP : Tu as même poussé la démarche avec la sortie d’un manga complémentaire à l’album. Comment expliques-tu cette importance du monde manga pour toi ?
Mahmood : Depuis tout petit, j’avais une vraie passion pour les mangas qui passaient sur MTV, comme Inuyasha ou Dragon Ball. Je suis très attiré par tout ce monde, principalement par les dessins et l’esthétique des images. Si un dessin animé a une histoire intéressante mais est mal dessiné ou animé, je ne vais pas aimer. (rires) Je relie un peu cette passion pour le manga à celle que j’ai pour le monde de l’Olympe, notamment pour les personnages qu’on y retrouve.
LVP : D’ailleurs, tu es quel personnage manga ? Inuyasha ?
Mahmood : Non, du moins pas maintenant. À l’époque du single, je me sentais très Inuyasha, mais ça change avec le temps. Aujourd’hui, je me sens un peu plus comme… (fouille son téléphone) Zenitsu, de Demon Slayer ! Un anime magnifique, d’ailleurs, tu dois le regarder.
LVP : Un autre personnage notable de l’album, c’est Icare sur le morceau Icaro È Libero. À travers lui, tu personnifies un débat sociétal important qui est celui du monde carcéral et de ses lacunes. Ce n’est pas habituel chez toi, cette politisation.
Mahmood : C’est vrai que je n’écris jamais des chansons qui ont des messages engagés et sociaux. Mais pour ce morceau, j’étais naturellement inspiré par le mythe d’Icare, cet ange qui veut toucher le soleil et qui est puni pour cela. C’est là que j’ai eu l’idée de ce parallèle avec la condition d’un prisonnier enfermé pour avoir enfreint la loi. La mélancolie du morceau c’est cette idée d’évasion. Je dis qu’“Icare est libre” en faisant allusion au besoin du prisonnier de prendre l’air, de rêver pour oublier sa situation.
LVP : Parmi les invité·es de cet album, on retrouve le Français Woodkid. Tu étais un fan de sa musique avant cette collaboration ?
Mahmood : Absolument, un vrai fan depuis mes années collège ! On s’est rencontrés à Paris au cours d’un événement fashion, et j’ai tout de suite ressenti sa sympathie. C’est quelqu’un de très pétillant, et un artiste incroyable. La première session studio que j’ai faite avec lui m’a époustouflé, il a une façon de travailler les sons qui est captivante, notamment dans son approche du piano-forte. Une vraie inspiration pour moi.
LVP : Pour finir l’interview en te citant, “Come si fa per entrare nel tuo klan ?” (trad : comment on fait pour entrer dans ton clan ?)
Mahmood : (rires) En vrai il n’en faut pas beaucoup ! Même si, je te l’avoue, j’ai un vrai défaut lorsqu’il s’agit de faire confiance aux gens, je suis trop méfiant. Enfin, c’est peut-être une bonne chose au final ?
Caméléon musical aux allures de mafieux sicilien.