« Faut-il (faire) souffrir pour créer ? » Voilà une question qui revient de manière récurrente dans le débat public, alimentant par là même l’indémodable fantasme de l’artiste torturé, incapable de produire une œuvre un tant soit peu qualitative sans une bonne dose de drame. Il faut admettre qu’un bon paquet de nos artistes préféré·es n’ont pas leur pareil pour donner du grain à moudre à notre insatiable curiosité malsaine, et que les narratifs gagnent souvent en crédibilité dès qu’on les ancre dans une origin story marquante. Mais alors, qu’en est-il de celleux qui ne peuvent s’appuyer sur leur sombre passé pour justifier leur art ? Ou qui le vivent avant tout comme une invitation à l’expérimentation récréative ? Sont-iels moins crédibles pour autant ? La preuve que non avec ce premier album prometteur de marcel.
Car oui, sur charivari, le cœur est avant tout à la fête. Que ce soit sur cette illustration carnavalesque ou bien dans les quatre notes de kazoo qui marquent l’ouverture des hostilités sur playroom, le titre introductif, tout nous invite au lâcher prise. Les guitares sont frénétiques, la batterie grondante, et la voix saturée à outrance ne fait qu’accentuer le mordant du propos (ou du moins ce qu’on en devine). Traduction : accroche-toi à ton slip, marcel n’est pas là pour faire de la figuration !
Se lancer dans cet album, c’est ainsi accepter de perdre pied avec notre morne réalité pour se laisser embarquer dans une épopée festive et tumultueuse. Un univers parallèle où il est normal de « se faire puncher l’entrejambe par Patrick l’étoile de mer », d’être sponsorisé par Elon Musk ou de recevoir un bonnet de bain confectionné par le Christ en personne. Tout ça sur fond d’anarchisme révolutionnaire, et orchestré par un Gille de Binche passé au vitriol. C’est complètement bordélique, vertigineux au point de parfois donner la nausée, mais au moins on ne s’ennuie jamais.
À ce stade, il est plus que légitime de se poser la seule et unique question qui puisse subsister face à une telle débauche d’absurde : tout cela a-t-il un sens ? Hé bien malheureusement, comme souvent, il est difficile d’y apporter une réponse monosyllabique. En réalité, le bordel apparent de charivari n’est que le reflet du chaos croissant qui régit notre propre univers, lui-même soumis à son lot d’absurdités le menant inexorablement à sa perte. Et c’est d’ailleurs là que le propos du disque, jusqu’alors relativement confus, prend petit à petit sens aux oreilles des auditeurices les plus téméraires. L’atmosphère se teinte alors d’une touche de nihilisme qui pourrait s’avérer angoissante sans l’espièglerie autodérisoire de nos quatre ménestrels arlonais.
Au fond, avec ce premier disque, marcel incarne à merveille une version optimiste et moderne d’un No Future à la sauce wallonne, où la seule réponse sensée à l’assourdissante absurdité du monde qui nous entoure est sans doute l’absurdité elle-même. Et tant qu’à faire, autant que ça se passe dans la joie…

Enfant du rock de Pink Floyd et Led Zeppelin reconverti au hip-hop, j’aime ma musique comme j’aime mon café : dès le réveil et sans édulcorant !