C’est un lundi soir banal et réchauffé d’un soleil blanc, que se prépare sans crier gare une rencontre. Les prunelles fatiguées d’une certaine nuit à Tournai, quelques badauds se pressent le long de l’esplanade face à un bateau. Quelques mots sont échangés, les yeux tournés vers la montre, le temps file et les gens dans la file attendent l’ouverture des portes. Sur la marquise on peut lire : Matias Aguayo & the Desdemonas.
À fond de cale quelques bières sont servies et je m’avance vers la scène pour observer la configuration : une batterie de style Jazz Vintage 70’s, deux rythmbox Tempest, trois Fender 6, cinq claviers dont trois Critter & Guitari, un tambourin, une marimba, des maracas ainsi que deux loopers. Le tout relié à pas moins de 18 pédales d’effets (oui j’ai compté). Attirail très étonnant quand on sait que seulement quatre hommes seront présents sur scène : Matias Aguayo au chant, et à la danse, Matteo Scrimali à la batterie, Henning Specht aux claviers et Gregorio Gomez à la guitare.
Matias Aguyao & the Desdemonas intrigue donc avant même d’entrer en scène.
Les voilà d’ailleurs, Matias en belle de nuit dans sa chemise noire à pois blancs, jean moulant et mocassins de cuir. Sans préambule, l’intro mystérieuse de leur site internet retentit.
https://youtu.be/NuG_efNoa4I
Le premier morceau, chape de plomb s’écrasant sur la statique petite assemblée, dévoile une facette de la voix du maestro Aguayo qu’on ne connaissait pas, grave et mesurée. Les sonorités, beaucoup moins latines que tout ce qu’a pu proposer le boss de Cómeme, fusent dans une noire harmonie délicieuse. On ne peut qu’admirer la technicité dont fait preuve le groupe, maniant leurs multiples machines sans même vraiment les regarder.
Débitant ses paroles en anglais, en espagnol et souvent dans une langue inventée, Matias Aguayo n’oublie pas de danser comme une chatte en chaleur, poses lascives et déhanchés infernaux ponctuant d’excellence une prestation scénique déjà bien rodée. « Who spend the night with you ? » clame-t-il d’un air désespéré à une probable conquête évanescente, avant de siffler dans son micro tout en triturant echo, reverb, delay et disto. Improbable mais efficace comme cette propension à utiliser sa voix en une mélopée suppléée d’effets, qui sonne comme un instrument à part entière. Estomaqué, le public se lâche lorsque retentit « Cold Fever », incantation enamourée superposée d’une gigue endiablée.
Pas de doute que le concert en aura inspiré plus d’un, tant en terme de mise en scène, de musicalité, de cohésion ou même de promotion. En effet, Matias Aguayo & the Desdemonas, dont même le nom est énigmatique (même si on pense à l’Othello de Shakespeare), est actuellement en tournée, la sortie de l’album présenté étant prévue au terme de celle-ci.
Encore une belle leçon du Don.
Esthète biblivore. Se passe les oreilles au poppers avant chaque concert.