Guillaume Dupont aka Maximilien est un artiste discret mais au talent éclatant. Le compositeur rennais nous livre depuis plusieurs années des titres superbement produits, véritables condensés électroniques aériens dont la pierre angulaire est la musique classique. Avec De Virgine, son nouveau maxi sorti fin 2020 chez Sapiens Records, Maximilien nous embarque subtilement pour une odyssée cosmique et onirique. On a eu la chance de s’entretenir avec l’artiste pour parler influences, rencontres marquantes et souvenirs nostalgiques du monde d’avant.
La Vague Parallèle : Hello Maximilien, comment ça va ?
Maximilien : Ça va super ! C’est cool ! Et toi comment tu vas ?
LVP (Mab) : Moi ça va bien aussi (rires) ! Alors, comment tu te sens en cette période assez étrange ?
Maximilien : Il y a un côté hyper rude. Le monde d’avant n’existe plus. Il n’y a plus de soirées, il n’y a plus de concerts, il n’y a plus rien en fait depuis mars dernier dans le milieu de la musique. C’est dur pour les spectateurs, les artistes forcément, mais surtout pour les propriétaires de clubs, de discothèques, les gérants de festivals, même les techniciens… ceux dont la vie dépend vraiment du milieu du spectacle.
LVP : Personnellement, comment tu vis cette situation ?
Maximilien : Pour moi, c’est paradoxal. J’ai badé surtout pendant le premier confinement. Celui-là je pense qu’il a vraiment été dur pour tout le monde car c’était nouveau. Pendant l’été on a pu retrouver une vie quasi normale et décompresser un peu. Grâce à ça je pense qu’on a pu mieux accueillir le deuxième confinement. En ce moment, on est un peu en pré-reconfinement, et c’est paradoxal car il y a cette lassitude, cette habitude qui s’est instaurée, et en même temps c’est trop cool car j’ai plein de temps pour faire du son !
LVP : En parlant de son, comment tu décrirais ta musique ?
Maximilien : C’est de la musique électronique, un peu pop parfois. Il y a du piano, des synthétiseurs et aussi de l’Auto-Tune ; très utilisé dans le hip-hop, le R&B et le rap, car j’en écoute beaucoup !
LVP : Qu’est-ce que ça représente pour toi ?
Maximilien : Au début c’était juste pour le kiffe. Il y a 10 ans avec Cardinale, mon premier projet, on se retrouvait avec les autres, on aimait faire du son ensemble. C’était juste de la passion et je pense qu’il faut que ça reste comme ça toute la vie. Maintenant, avec tout ce qu’il s’est passé il y a un an, ça a pris un autre sens de faire de la musique. C’est toujours un plaisir/passion mais là c’est devenu un exutoire, une porte de sortie, et j’espère que mon disque peut faire cet effet aux gens qui l’écoutent.
LVP : Pourquoi as-tu choisi de faire de la musique électronique ?
Maximilien : À la base je jouais du piano, et puis un jour j’ai écouté deux groupes français qui nous ont tous traumatisés : Daft Punk et Justice ! J’ai donc commencé à me renseigner sur le matériel qu’ils utilisaient, parce qu’il y avait des sons que je trouvais vraiment incroyables. En fait je me suis demandé comment on pouvait produire ce genre de sonorités. Du coup je me suis mis au synthé, à la boîte à rythmes, etc.
LVP : Est-ce qu’il y a un live électro qui t’a particulièrement marqué ?
Maximilien : Il y a un concert qui m’a foutu une baffe énorme. Deux concerts même ! Le premier c’est Justice à la Route du Rock en 2007. C’était mon pote Victor Solf qui m’avait embarqué au fort Saint-Père à Saint-Malo. C’était la fin du lycée, je jouais du piano au Conservatoire. À ce moment-là, jamais je n’aurais envisagé faire de la musique de ma vie. C’était mon premier festival et je n’avais aucune idée de ce qui pouvait se passer en coulisses. Je me souviens de débarquer dans le fort et de voir Justice arriver sur scène et commencer à balancer du son, avec cette grosse croix allumée derrière ! À ce moment-là j’ai eu ma première énorme claque et j’ai dû me dire dans un coin de ma tête « Peut-être que je vais tout faire pour en arriver là ! ». La sensation était tellement intense ! C’était au moment de la sortie de leur premier album Cross à la grande époque d’Ed Banger, c’était tellement vénère ! J’ai un autre souvenir quelques années plus tard, au festival Scopitone à Nantes en 2011 avec le live de SebastiAn où il avait balancé un son tellement dur ! Ce que j’aime bien chez ces artistes, c’est qu’ils ont des sons très compressés, qui frappent fort, et musicalement ça va très loin. Mais sinon, le tout premier live où j’ai vraiment eu des frissons, c’était à 14 ans devant le DVD de Rammstein au Wuhlheide à Berlin ! Là on fait le grand écart et en même temps, Rammstein, on aime ou pas, mais il y a un côté symphonique dans certains de leurs morceaux.
LVP : Tu vis à Rennes depuis longtemps. Qu’est-ce que cette ville t’apporte en tant qu’artiste ?
Maximilien : J’ai passé toute mon adolescence et ma vie d’adulte à Rennes. J’ai tout appris de ma vie dans cette ville, tant sur le plan perso que pour la musique. C’est une petite ville où j’ai eu la chance de rencontrer des gens de ouf ! Ici il y a un terrain déjà très actif en matière de musique. En temps normal, il y a plein de festivals, plein de concerts. Par exemple les Trans Musicales sont aujourd’hui reliées au KEXP de Seattle, il y aussi des festivals plus locaux comme I’m from Rennes qui mettent en avant la scène locale. Enfin là je te parle d’un monde qui n’existe plus pour l’instant ! Mais j’ai eu la chance de grandir avec ça.
LVP : Tu nous parles un peu de tes rencontres dans le milieu de la musique ?
Maximilien : En fait, on s’est toustes rencontré.e.s dans les mêmes soirées ; toustes les musicien.ne.s, chanteur.se.s, producteur.rice.s, et ça a créé une émulation de ouf. En fait tu ne fais pas que du son, tu deviens pote avec ces gens-là. Moi je dois tout à ma famille de sang et à ma famille musicale que j’ai rencontrée à Rennes. Par exemple, pour mon premier projet, Cardinale, j’ai rencontré Joris Oudin en fac de biologie, puis Léo Proust qui nous a mis en contact avec Baptiste Moalic (Merzhin). Ensuite on a créé le projet, on a commencé à faire des concerts, notamment grâce à Cécil Cora, notre directrice artistique et manageuse. A l’époque on a aussi eu la chance de collaborer avec la photographe et réalisatrice Diane Sagnier qui a fait tous nos clips. Quelques années plus tard j’ai d’ailleurs collaboré avec elle sur un projet de court métrage.
Pour en revenir à Rennes, j’ai ensuite été contacté par l’artiste Clarens qui cherchait un clavier. À ce moment-là il était dans le projet indie pop Juveniles. Avec Clarens on a fait des tournées, on a trouvé un label. Après j’ai rencontré Julien Vignon aka Timsters, avec Praa et aussi les Colorado. Julien a ensuite monté son label et a commencé à bosser sur mon projet solo. Il y a eu aussi ma rencontre avec Her, Victor Solf et Simon Carpentier, l’ingé son Mitch, et les autres aussi, le batteur et le guitariste de leur ancien projet The Popopopops. Ces personnes m’ont toujours dit « Vas-y fonce ! ». Et maintenant j’arrive en solo avec Agoria qui m’est tombé dessus pendant le premier confinement. C’est comme une suite logique. Merci Rennes !
LVP : Du coup comment est née cette collaboration avec Agoria, qui est quand même une figure emblématique de la scène électronique ?
Maximilien : Agoria a découvert mon projet grâce au titre Galaxie, qui est sorti sur le label Kitsuné. Il m’a envoyé un message pendant le premier confinement pour me dire qu’il avait envie de sortir mes titres sur son label Sapiens. Là, mentalement, ça m’a refait mon année je pense !
LVP : Tu as pu le rencontrer en vrai ?
Maximilien : Pas encore, parce qu’il y a eu toute cette phase de création qui a pris du temps et en plus on ne vit pas au même endroit. À ce moment-là, la priorité absolue était de finir le disque. Au final, la production se sera étendue de mars à septembre, avec des pauses bien sûr. Donc pour l’instant on s’est eu au téléphone et par message, aussi avec la manageuse du label, Diane. Ils sont super sympas !
LVP : Et si tu nous parlais maintenant de ton nouveau maxi De Virgine. Comment a-t-il été composé et produit ?
Maximilien : Tout s’est fait sur la période du premier confinement, en mars/avril 2020. Toute la base des morceaux est sortie à ce moment-là et après on a finalisé avec le producteur rennais, Marlon Soufflet. Pendant trois semaines, à la rentrée de septembre, on a repris les morceaux et on les a poussés au maximum de ce qu’on pouvait faire. En même temps on était en lien avec Agoria. Et puis un beau jour, après beaucoup d’efforts, le disque est sorti !
LVP : Comment tu arrives à créer ce son à la fois riche et mélodique ?
Maximilien : C’est sorti comme ça ! Il y a toujours eu dans ma musique des atmosphères un peu « cinéma », « grands espaces », pour s’évader en quelque sorte. Il y en a qui font du rap, d’autres du jazz, de la variété, de la pop, moi c’est ce son qui sort !
LVP : Tu chantes beaucoup plus que dans ton précédent EP. Est-ce que c’est quelque chose que tu souhaites développer davantage ?
Maximilien : Je teste. À la base je fais de la musique instrumentale. Cette fois j’avais des lignes de chant en tête, et je trouve très cool d’utiliser la voix avec l’effet Auto-Tune. La voix apporte une autre dimension à la musique. J’ai certainement dû être influencé par les chanteuses et les chanteurs que je côtoie, mais aussi par la musique que j’écoute. En ce moment je pense notamment à PNL. On aime ou pas, mais dans certains de leurs morceaux, il y a un vrai travail sur la voix avec les effets, et moi ça m’a « matrixé » ! Ils sont un peu les Daft Punk du rap ! D’ailleurs, pour les Daft Punk, l’utilisation de l’Auto-Tune, c’est sur des phrases courtes, parfaitement posées, au bon moment, en répétition. Du coup tu retiens le truc ! Mes influences doivent venir de là je pense.
LVP : De Virgine pourrait clairement être la bande-originale d’un film. Tu penses que le cinéma a une influence sur ta musique ?
Maximilien : C’est sûr. Grâce à mes parents et mes amis, j’ai eu la chance d’être initié au cinéma. Depuis un an avec les confinements, j’ai dû me faire 300 films ! J’ai essayé de regarder tous les films qui me passaient par la tête.
LVP : C’est quoi tes films préférés ?
Maximilien : Je dirais Porco Rosso d’Hayao Miyazaki, les dessins et la musique sont sublimes. Le premier Matrix. Niveau son et image, c’est juste incroyable ! Dans la scène finale, quand Néo raccroche et s’envole sur les Rage Against the Machine, c’est tellement puissant ! Sinon c’est hyper mainstream mais je vais dire Star Wars, en particulier l’Episode I La Menace fantôme. C’est l’un des moins aimés des fans de Star Wars mais pour moi il y a tout dans ce film ! Dans un autre registre, je dirais Notre jour viendra de Romain Gavras avec une bande-originale signée SebastiAn. Je citerais aussi un classique, Les Incorruptibles, avec la musique légendaire d’Ennio Morricone. Et pour finir, je dirais Le Seigneur des Anneaux parce que c’est mythique !
LVP : Et sinon tu écoutes quoi en ce moment ?
Maximilien : PNL ! Tous leurs disques je les ai saignés ! J’ai énormément écouté ça dernièrement. Dans le rap, il y a des instrus que je trouve incroyables. Par exemple, juste avant l’interview j’ai réécouté pour la centième fois Train de vie de Koba LaD. L’instru est vraiment ouf. Lui il a un flow assez particulier et moi ça me fait partir ! J’écoute aussi Damso et Orelsan (son album La fête est finie). Après ce n’est pas très récent, mais il y a le dernier album de Foals quand même, et celui de Metronomy aussi. Ça c’est méga stylé !
LVP : Si demain on te disait que tu pouvais collaborer avec n’importe quel(le) artiste, ce serait qui, et pourquoi ?
Maximilien : Là on va toucher au Saint Graal ! Il paraît qu’il ne faut pas rencontrer ses idoles (rires) ! J’en ai cinq en fait, mais là on est clairement dans le rêve : Daft Punk, PNL, Drake, M.I.A. et Travis Scott. Et SebastiAn aussi, parce que c’est quand même l’un des plus grands compositeurs actuels je trouve. Si je reviens à ce que je veux faire avec mon projet actuel, je sais que travailler avec des chanteuses et des chanteurs, ce serait intéressant. Il y en a plein avec qui j’aimerais collaborer, notamment en France. Par exemple Clara Luciani, qui a une voix incroyable. Angèle, car je trouve qu’elle a un grain de voix qui pourrait bien aller sur des productions électroniques, mais aussi Joanna. Pour l’international, je dirais Jorja Smith et aussi Hannah Reid, la chanteuse de London Grammar.
LVP : Qu’est-ce que tu fais quand tu ne fais pas de musique ?
Maximilien : Regarder des films, beaucoup de films ! J’aime bien marcher seul aussi, pour me vider la tête. Quand tu passes des heures dans le son, au casque ou face à des enceintes, marcher dans un endroit où il y a le moins de bruit possible, ça fait beaucoup de bien. Et sinon, plus rare ces derniers mois, mais c’est faire des soirées avec mes amis. Ça nous manque à toustes en ce moment je pense ! Tu fais un before en appart, tu pars dans ton bar préféré, tu finis dans un autre appart et puis si en plus dans la même soirée il y a un concert, tu en profites. Ce sont des trucs vraiment essentiels pour le coup. Aujourd’hui il faut faire attention à tout avec le couvre-feu, on n’est plus libres. On ne sait pas combien de temps ça va prendre, mais ça ne peut pas rester éternellement comme ça, ce n’est pas possible. Quand ce sera fini, la reconnexion entre les artistes et le public ça va être complètement ouf !
LVP : Tu as déjà des projets en tête pour la suite ?
Maximilien : En ce moment je continue à faire du son, sans vraiment savoir où ça va me mener ; comme j’ai toujours fait depuis que j’ai commencé il y a dix ans. C’est un process assez naturel finalement. Je n’ai pas envie de forcer le destin. Sinon, j’ai aussi envie de continuer à apporter mon soutien aux gens de mon entourage, que ce soit en musique ou dans la vie. J’ai eu le déclic pendant les confinements. Les autres m’ont beaucoup donné et je n’en avais pas forcément conscience avant. En ce moment, j’ai des amis qui commencent à faire du son, et du coup j’essaye de tout faire pour qu’il leur arrive quelque chose dans la musique. Moi à la base c’est parti de rien et j’ai eu la chance de rencontrer les bonnes personnes qui ont cru en moi et qui m’ont poussé. Je pense que maintenant il est temps de rendre la pareille !
LVP : Pour conclure, est-ce qu’il y a quelque chose que tu souhaiterais ajouter ? Peut-être en lien avec le contexte actuel ?
Maximilien : En ce moment je pense particulièrement aux jeunes nés dans les années 2000. Ils sont bloqués, ils ont un mur en face d’eux et quand j’entends qu’il y en a qui se foutent en l’air, ça me touche énormément. Parfois je me mets à leur place deux minutes. À cet âge-là, c’est censé être la période où tu rencontres tes premières grandes amours, où tu fais les rencontres qui vont tracer une partie de ta vie. Ça me fait penser à la rave qui a eu lieu en Bretagne. Évidemment, vu le contexte, sur le plan sanitaire ce n’était pas terrible, mais d’un autre côté, tu as 18-19 ans, tu as l’avenir bouché, eh bien tu as juste envie de t’éclater ! Toutes les vies sont importantes mais là je pense que les nouvelles générations sont prioritaires en ce moment car c’est notre avenir.
LVP : Merci Maximilien !
Mélomane en apesanteur.
#jamaissansmoncasque