Mélissende, de la beauté des émotions sublimées
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Auteur·ice : Coralie Lacôte
15/05/2024

Mélissende, de la beauté des émotions sublimées

Demain soir, Poppy Fusée et Mélissende partageront l’affiche de la Maroquinerie. Une soirée placée sous le signe de la douceur et de la sensibilité, qui risque bel et bien de nous faire chavirer. Surtout si l’on en croit le présage laissé par notre rencontre avec celle qui ouvrira la soirée. Un moment lumineux, emprunt d’humilité et de sincérité. 

Son nom ne vous dit peut-être rien pour le moment mais son premier album en préparation nous laisse penser que ce n’est plus pour longtemps. Un piano, une guitare et surtout sa voix, c’est loin des artifices que Mélissende délivre sa musique. Du temps qui passe aux affres de la vie, elle offre un récit intime qui fait écho à nos propres vies. Avec ses chansons, elle tisse un fil invisible qui nous unit et nous guide, pour qu’enfin dans l’obscurité établie, nos cœurs s’illuminent. 

La Vague Parallèle : Salut Mélissende. On est ravi·es de te rencontrer ! Comment tu vas ? 

Mélissende : Je peux vraiment dire que je vais bien en ce moment, je suis contente. Je fais beaucoup de choses et tout ce qui arrive me rend heureuse. J’ai l’impression que là tout se passe bien et que je peux le dire sans avoir peur qu’une catastrophe arrive la seconde d’après (rires). Je me sens rassurée.

LVP : Peux-tu nous présenter ton projet en quelques mots pour celles et ceux qui ne le connaissent pas encore ?

Mélissende : Je m’appelle Mélissende. J’écris et je compose des chansons en français, d’inspiration un peu folk, assez épurées. Je me considère surtout comme une chanteuse. Je m’accompagne à la guitare et au piano mais pour moi l’instrument que j’aime mettre en avant c’est surtout la voix. Je pense que c’est un projet assez sensible et mélancolique.

LVP : On se rencontre quelques jours avant ton concert à la Maroquinerie où tu feras la première partie de Poppy Fusée. Comment tu appréhendes cette date ?

Mélissende : C’est une bonne question. Je crois que je l’appréhende comme toutes les autres donc toujours avec une immense joie parce que chaque concert qui m’est proposé est pour moi l’occasion d’avoir un endroit où je vais exprimer ce que je suis à travers mes chansons et partager un moment qui m’est précieux. Donc là pour moi c’est la même dynamique. J’ai quand même une petite appréhension parce que la Maroquinerie est une salle que j’adore, et que j’admire beaucoup Poppy Fusée en tant qu’amie et en tant qu’artiste. Donc tout cet honneur entre la salle et l’artiste font que je prends ça au sérieux et que j’espère que ça se passera bien.

LVP : De manière générale, comment tu abordes la scène ? Tu es seule, est-ce que c’est une chose qui te plaît ? Est-ce qu’à l’avenir tu voudrais garder cette configuration ou jouer avec d’autres musicien·nes ? 

Mélissende : Pour le moment j’aime bien être seule, même s’il y a forcément des limites. Ce que j’aime avec la formule solo c’est la possibilité de rallonger ou raccourcir un morceau, de pouvoir vraiment sentir le moment, le public, ce qui se passe et d’avoir cette liberté de mouvement, qui serait plus difficile si j’étais accompagnée. Puis je pense que j’avais aussi besoin de trouver une force, de me dire que je pouvais créer la musique par moi-même et la proposer sans qu’il y ait un soutien additionnel. Après à l’avenir je pense que j’aimerais bien m’entourer parce qu’il y a plein de choses que j’entends et je sais que ce serait joli, mais c’est aussi des questions de budget, etc. Pour l’instant en tout cas je ne me plains pas, je suis très heureuse d’y aller comme ça.

LVP : Pendant tes concerts, on se sent enveloppé·e par un voile de douceur et d’émotions. Qu’est-ce qui t’importe à travers tes concerts ? Est-ce que c’est de créer cette sensation, de créer des liens ? Qu’est-ce qu’un concert réussi pour toi ?

Mélissende : Ça me touche parce que ce que je vais chercher pendant un concert c’est de tisser du lien avec les autres, ce qui pour moi passe par l’émotion. Pour moi un bon concert c’est quand j’ai réussi à être juste avec mon émotion, avec ce que je voulais transmettre, avec la chanson que j’ai écrite, et que j’ai réussi à bien la retranscrire, avec le même mouvement que les gens qui vont être à l’écoute. Quand je vois qu’il y a une réception, c’est le plus beau moment.

© Capucine de Chocqueuse

LVP : Récemment, tu as joué au Motel. C’est un espace exigu avec du bruit et du passage, ce qui ne semble pas être les conditions idéales pour un concert comme le tien. Or, on a été très impressionné·e par ta facilité à saisir toutes ces distractions, à rebondir et finalement à les incorporer dans ton concert. Ça a donné lieu à des moments très drôles et a ancré ton set dans l’instant. Toi qui joues aussi dans des hôpitaux, est-ce que tu dirais que c’est un bon exercice pour se préparer à la scène ? Qu’est-ce que ça t’a apporté ? 

Mélissende : Ça me touche, c’est très juste. Ça m’a apporté une manière de chanter qui est vraiment différente de la scène. Comme je suis dans un endroit qui n’est pas adapté à moi et que c’est à moi de m’adapter, je suis obligée de prendre en compte tout ce qui se passe autour de moi pour que ça puisse être bien. C’est une façon de chanter où on va être vraiment être dans l’adresse, où on va essayer d’être au plus proche de la personne. Souvent quand je suis dans une chambre, il y a une ou deux personnes maximum donc il y a une proximité très forte mais quand il y a un moment de rush, ou que je suis dans un couloir, ou qu’il y a plein de choses qui se passent, il faut aussi que j’arrive à me mêler à ça, je ne suis pas au centre.

Je pense que ça me sert pour des moments comme le Motel parce que j’arrive à être concentrée dans ma musique et tout à coup prendre en compte ce qui se passe. C’est ce qui me plaît à l’hôpital : c’est un moment où il ne faut pas avoir d’œillères, il faut se dire qu’il y a tout un ensemble de choses et qu’on essaie de tout mettre dans une bulle cohérente sans non plus s’imposer. Donc oui, je pense que l’apprentissage de l’hôpital m’aide beaucoup pour la scène.

Je me souviens du concert au Zénith de Strasbourg pour l’ouverture pour -M-. Mon jack est décédé sur la première chanson, c’était la première fois de ma vie que je jouais avec des ears et j’avais eu quasiment 10 minutes de balances, enfin toutes les conditions de stress réunies. Je ne savais pas que j’étais a cappella, je pensais que la guitare partait. Je n’entendais pas trop dans mes oreilles mais je me suis dit : « De toute façon, il faut y aller ». Puis, j’ai compris que le jack ne fonctionnait pas et donc j’ai recommencé la chanson environ trois fois devant 10 000 personnes pour la première fois de ma vie. Je me dis que l’apprentissage de l’hôpital a aussi eu un rôle dans cette situation parce que j’ai rigolé et j’ai vraiment pris le moment. Je me suis dit que j’étais obligée de l’accepter. J’avais pensé à tous les problèmes techniques sauf à celui-là. Le jack était neuf, a priori il n’y avait aucune possibilité que ça ne marche pas. Au final, le public a ri et on a tissé un lien. Quand j’ai chanté Courage, ils·elles ont tous rigolé de l’écho de la chanson et de la situation : la fille qui fait son premier concert aussi énorme et rien ne marche. J’en garde un super souvenir. Ça m’apprend à accepter le moment, à me dire que ce n’est que de la musique et que ça reste artistique de composer avec le moment chaotique.

LVP : Sur scène, on peut entendre un titre bouleversant : Rien ne se passe. Est-ce que tu peux nous en parler un peu ?

Mélissende : Il fait partie de ces morceaux que je dirais magiques. Quand on écrit des chansons, certaines peuvent se faire sur plusieurs années. Elles vont changer, etc. Celle-ci est sortie entièrement d’un coup. Je n’ai rien bougé, ce qui est extrêmement rare. Tout est arrivé à un moment où je me sentais bien et où je voulais justement en parler. Je suis une personne très contemplative. Je peux perdre beaucoup de temps dans la vie à avoir besoin de ça, de juste être dans l’observation. Aussi, pour avoir vécu des drames et des moments où on a beaucoup trop de choses dans la tête, avoir parfois ce petit secret, comme quand on est dans le lit le soir et où on a l’impression que rien ne peut nous arriver, ça m’a donné envie d’écrire une chanson sur ces moments où on espère un peu que vraiment rien ne se passe et pouvoir souffler deux minutes. Être dans des moments d’observation m’aide en tout cas à calmer un peu l’agitation qu’il peut y avoir dans la vie, dans la tête, donc j’avais envie de parler de ça.

LVP : On a parlé jusqu’ici de la scène mais il y a aussi évidemment le pendant de la création. Quelle relation entretiens-tu avec l’écriture ? Est-ce que tu as un processus particulier ? Si oui, lequel ?

Mélissende : C’est marrant parce que j’ai une relation à l’écriture qui est un chemin. Longtemps, je ne me suis pas autorisée à écrire. Il faut dire que ma grand-mère était autrice et mon grand-père aussi. Les deux ont écrit des romans et ma grand-mère était également dramaturge. Donc j’avais quand même cette pression familiale de personnes qui savaient extrêmement bien écrire et qui avaient en plus une culture de la langue et de la chanson françaises. Je me disais que le français c’était hyper lourd et donc j’ai commencé à chanter en anglais. Puis quand j’ai commencé à écrire en français, je me suis dit qu’il fallait absolument que je trouve mon truc. Et pour ça, j’ai pensé qu’il ne fallait pas que j’écrive bien, parce que si je voulais bien écrire j’avais une pression familiale énorme qui me venait en tête. Donc j’ai commencé à me dire que ce que je voulais surtout c’était de chanter l’émotion le plus justement possible et que si ça ne rimait pas, si ça ne rentrait pas dans un cadre classique ça ne m’importait pas. Ce que je voulais c’était juste être très directe. Ça, ça m’a permis de commencer à écrire en français. Et puis maintenant que je suis un peu plus exigeante, j’arrive à retravailler mes textes. Avant c’était vraiment des jetés-crachés, quelque chose fort qui sortait. Maintenant non, je reviens sur mes textes et ça c’est assez nouveau. Je le prends avec plaisir. Je vois qu’il y a une évolution. Et je cherche un peu d’autres terrains d’écriture.

LVP : Est-ce qu’il y a justement un texte dont tu es fière, pour lequel tu t’es dit en l’écrivant que tu tenais quelque chose qui t’est propre ? Ou au contraire c’est un procédé qui se fait dans le temps sans moment déclic ? 

Mélissende : Non, il n’y a pas vraiment de moment décisif. Après, il y a une chanson qui s’appelle L’Amour m’a quitté et celle-ci j’étais contente. J’ai mis du temps à l’écrire. Je voulais vraiment parler de la rupture amoureuse sans que ce soit triste. Je voulais trouver l’angle de ce qui m’était arrivé, c’est-à-dire le sentiment amoureux qui disparaît et donc le fait de devoir partir parce qu’on ne s’aime plus et que c’est la fin d’une histoire. J’étais contente parce que je trouve que j’ai réussi à trouver l’émotion dans le texte que je voulais retransmettre. Mais je ne suis pas non plus extrêmement fière. Je suis juste contente parce que je sais que ça sonne juste en moi.

LVP : Dans tes chansons, on retrouve souvent une forme de mélancolie, de contemplation, l’idée d’être là, en-dedans et d’observer les gens autour. Tu abordes également des thèmes difficiles comme la rupture ou le deuil. Est-ce qu’il y a des thématiques qui t’importent particulièrement ? 

Mélissende : Je remarque que je ne sais pas écrire d’après un thème. J’écris toujours à partir d’une émotion et donc il faut que ce soit quelque chose qui me traverse. À chaque fois, ça vient d’abord avec la musique, je sens que quelque chose se passe en moi et des mots arrivent dessus. Je me rends compte que l’émotion initiale dirige le morceau. Donc si ce sont ces thèmes-ci qui sont abordés c’est parce que ce sont ceux qui me touchent, que j’ai besoin de traverser et que la musique m’aide à affronter dans la vie.

LVP : Qu’est-ce qui fait qu’une chanson puisse parler aux autres selon toi ? 

Mélissende : Il y a une phrase de Musset que j’adore et qui dit : « C’est cette voix du cœur qui seule au cœur arrive ». Pour moi, c’est ça. Une bonne chanson ou en tout cas une chanson qui va parler aux autres c’est lorsqu’on est venu·e raconter quelque chose avec honnêteté. Je pense qu’on est toujours plus juste, même dans un discours, avec une chose qu’on connaît plutôt qu’une idée qu’on a prise. Une expérience vécue vaudra toujours plus en émotions qu’une idée de ce qui pourrait être joli ou intéressant. Je me base beaucoup là-dessus. D’ailleurs c’est ce qui me touche chez les artistes. On vit tous·tes un peu les mêmes choses mais on va les exprimer d’une manière différente et finalement, on vient tous·tes se raccrocher les un·es aux autres au radeau de la vie (rires).

LVP : Tu disais que lorsque tu crées une chanson, les mots viennent sur la musique. Pour toi, l’écriture et la composition sont distinctes. Est-ce que tu as une méthode de composition particulière ?

Mélissende : Pas tellement. Il y a eu des moments où j’essayais d’être un peu méthodique, de m’y mettre tous les matins et d’avoir une sorte de rigueur. Aujourd’hui, c’est plus punk. C’est quand j’ai le temps. En fait, parfois c’est comme une énergie ou un manque. Je ne suis pas sportive mais je vois les gens qui sont accros au sport et qui, à un moment, ressentent le besoin d’en faire. J’ai un peu ça avec la composition ou la musique. Il y a un moment où je sens que physiquement il faut que j’évacue. C’est dans ces moments-là où je vais souvent commencer à avoir des bouts de chansons. Je vais jouer juste comme ça, pour me faire du bien et il y a un moment où quelque chose va arriver et que je vais travailler ensuite.

LVP : Une véritable identité musicale se dégage de ton projet, avec notamment ces très beaux drapés de voix, ces mélodies finement travaillées et le piano. Comment est-ce que tu composes : à la guitare ? au piano ?

Mélissende : C’est ça : soit à la guitare, soit au piano. Depuis deux ans la guitare m’accompagne. Pour être honnête, je ne sais pas vraiment en jouer. C’est comme le piano, je suis assez nulle. Après tout est relatif mais je suis quand même assez consciente de mon niveau. Pour tout vous dire, j’ai eu un professeur de piano au conservatoire qui m’a dit une chose qui m’a profondément marquée. Un jour il m’a annoncé qu’on allait arrêter les cours de piano. J’étais très étonnée et il m’a répondu : « Si parce qu’en fait là tu joues de mieux en mieux. » Donc j’ai dit qu’il fallait continuer et il a rétorqué : « Non parce qu’il y a un moment où on va arrêter d’écouter ta voix pour se mettre à écouter le piano qui va commencer à être vraiment bien. » Il m’a dit : « Ton talent c’est ta voix et le fait de nous exprimer des choses avec, donc il faut qu’il y ait quelque chose de vraiment mineur derrière qui soit juste là pour t’appuyer et pour t’aider à faire de belles mélodies. Sinon, tu vas commencer à te complexifier au piano et tes mélodies vont être moins importantes. » Après, c’est un point de vue, il y a plein de musicien·es qui ne seraient pas d’accord mais moi ça m’a vraiment parlé et ça me permet de toujours garder le chant au milieu. Le fait de ne pas trop bien savoir faire ou en tout cas de simplifier ma manière de m’accompagner me permet de composer des mélodies qui j’ai l’impression vont être plus majeures.

LVP : Au début de l’interview, tu disais que tu étais dans une dynamique intéressante en ce moment, que tu avais plein de projets, est-ce que tu peux nous en dire plus ?

Mélissende : Je prépare mon premier album ! C’est un grand moment de joie. J’ai trouvé les bonnes personnes pour m’accompagner, que ce soit les musiciens, les réalisateurs ou la personne qui va le mixer. Toute l’équipe s’est formée. Ça me prend pas mal de temps mais je suis vraiment excitée par ça. C’est un moment de réalisation où j’avais besoin de faire et d’arrêter quelque chose. Maintenant j’ai hâte que ça se poursuive et de pouvoir le partager.

LVP : Est-ce que tu as des envies particulières pour ce premier album ou ça s’est plutôt mis en place au fil des rencontres ?

Mélissende : Non, je crois que ça se fait avec les rencontres. Comme tout le monde, je rêvais de faire mon premier album. J’ai une petite liste de tout ce que j’aimerais et ça fait des années qu’il y a écrit : « premier album ». Donc c’est sûr que c’est quelque chose qui me titillait mais j’avais surtout envie de le faire grâce aux rencontres et à la magie qui pouvait s’en dégager. Ça m’est déjà arrivé d’être un peu frustrée par ça, d’avoir ces envies mais de ne pas avoir le déclic, le bon truc, puis j’ai eu des mauvaises rencontres dans la musique, etc. Là c’est une conjoncture qui est parfaite.

LVP :  Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la suite ?

Mélissende : Sur ma petite liste, il y a trouver un·e booker·euse, un label et un·e manageur·euse. Alors je ne sais pas si je veux les trois mais je voudrais que ça se passe de la même manière que les personnes avec qui je fais l’album. Mon rêve c’est d’avoir des gens qui croient en mon projet, avec qui on a une belle entente et qui aimeraient porter ça. On peut me souhaiter qu’il y aient des rencontres à ce niveau-là, ce serait chouette.

LVP – Un mot pour la fin ? 

Mélissende : Je concluerai par les mots de Charles Pépin, qui sont devenus un véritable mantra pour moi et qui semblent parfaits lorsqu’on se lance dans une aventure comme un premier album : « J’y vais, je vois ».

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