| Photo : Adrian Villagomez
Ces dernières années, Denzel Curry s’est attelé à prouver que son potentiel dépasse largement sa réputation, méritée avouons-le, de jeune chien fou du rap alternatif incapable de croiser un micro sans lui gueuler dessus. En effet, depuis TA13OO en 2018, le rappeur de Carol City ne cesse de rassembler plus d’adeptes, séduit·es par l’intelligence de ses textes et la versatilité de ses performances. Résultat, quatre ans plus tard, Zeltron est tout simplement devenu un des meilleurs de sa catégorie, un lyriciste hors pair dont la vision artistique se place assez loin devant la concurrence.
Seulement voilà, Denzel Curry a la dalle, et le petit monde de l’underground semble être devenu trop étroit pour lui. Conséquence sans doute inévitable de sa tournée en compagnie de notre bien aimée Billie Eilish, grâce à qui il a pu se faire une idée de la puissance de frappe que confère une tournée de grande envergure. De son propre aveu, c’est d’ailleurs à cette même période qu’il a commencé à imaginer les prémices de ce qu’allait devenir l’album qui nous intéresse aujourd’hui.
En d’autres termes, Melt My Eyez See Your Future est un album ambitieux qui, s’il reste conscient de son potentiel mainstream limité, a bien l’intention de rendre l’univers de son auteur plus accessible à un large public. Néanmoins, nul besoin de paniquer puisque, loin du nivellement par le bas qu’on associe souvent à la quête du succès, cet album réussit l’exercice de s’élever vers une portée universelle sans pour autant forcer son auteur à se travestir. Sans doute une autre conséquence du temps passé en compagnie de Billie Eilish, preuve vivante que populaire et authentique sont loin d’être incompatibles.
Ce qui frappe de prime abord sur cet album, c’est évidemment la manière dont Curry se détache des influences rock/métal qui transpiraient de toute sa discographie pour aller piocher du côté de la soul et du jazz. Un choix qui s’avère payant et qui témoigne d’une réelle évolution dans les prises de position et l’état d’esprit de notre protagoniste. En effet, là où le rock dur nourrissait sa colère et ses pensées les plus noires, voire nihilistes sur TA13OO, l’empreinte des Soulquarians – qu’il cite comme référence principale – plane en permanence sur l’atmosphère de liberté créative de Melt My Eyez See Your Future, lui conférant une base idéale pour dépasser ses démons et enfin réaliser un vrai travail de guérison.
Il s’agit sans doute d’une des raisons rendant cet album si rafraîchissant. Le rythme, le ton, le choix des mots nous dévoilent un Denzel Curry plus lucide que jamais, honnête envers lui-même comme envers les gens impactés par ses actions. Il suffit de se pencher quelques instants sur le texte de Melt Session #1, une tirade impressionnante de quatre minutes sur laquelle il se dévoile dans toute sa vulnérabilité et ses doutes, sans autre artifice que le piano envoûtant de Robert Glasper en accompagnement. Le ton est donné.
À partir de là, chaque titre est une nouvelle occasion pour Curry de prouver qu’il est capable de briller dans n’importe quel registre, que ce soit la drum’n’bass de Zatoichi, la soul de Mental ou le boom-bap de The Ills, on est frappé·es par le naturel de chaque performance. Même lorsqu’il s’essaie à l’autotune sur X-Wing, ça donne tout simplement le meilleur titre de l’album. Ce constat peut d’ailleurs être étendu à l’ensemble des invité·es du projet (et Dieu sait qu’il y en a beaucoup), tant chacun·e trouve sa place de la manière la plus organique qui soit sans pour autant tirer la couverture à soi. Non, sur Melt My Eyez See Your Future, il n’est jamais question de compétitivité mais bien d’être au service de l’œuvre. Preuve que notre personnage principal a su instaurer l’atmosphère de studio nécessaire à la réalisation de sa vision.
Biberonné au rock de Pink Floyd et Led Zeppelin puis reconverti au hip-hop, j’aime ma musique comme j’aime mon café : dès le réveil et sans édulcorant !