METRO+N #2, le Printemps de la scène rap bruxelloise
"
Auteur·ice : Charly Galbin
02/05/2024

METRO+N #2, le Printemps de la scène rap bruxelloise

Photos : Erika Deiana pour Metro+N

Moins cher à mettre en place que le futur métro 3, la nouvelle ligne METRO+N continue son exploration des souterrains du rap bruxellois, en s’arrêtant cette fois au BRASS, le deuxième arrêt de cette épopée. Onha, Boa Joo, Jow mais aussi grenouilles et potagers : récit des printemps du printemps.

« On attend le monde maintenant » nous confie Nyx de CTRL+N, un brin stressé à l’approche du premier concert. Qu’il se rassure, car si le METRO+N, cette ligne fictive, s’annonce comme le secret le mieux gardé de Bruxelles, c’est de moins en moins vrai. La faute à un premier arrêt réussi à l’Atelier 210, où un jeune public a pu apprécier la scénographie immersive et la programmation aussi enivrante que la découverte sur scène d’un·e rookie aux dents longues. Mais ça fait déjà deux mois que tout ce petit monde est remonté dans le wagon, impatient de l’escale souterraine suivante.

« Prochain arrêt : BRASS », annonce enfin la voix robotique du METRO+N. Il est 20h20. Ça ne se bouscule pas encore pour sortir. Et tant mieux, car à l’ombre du WIELS se dévoile devant nous la meilleure terrasse de toute la capitale, dont on a égoïstement envie de faire son secret. Après avoir salué le cygne nageant fièrement dans son marais, traversé bière à la main la Salle des Machines, héritage visible du passé industriel du bâtiment, nous y sommes.

Photo : Erika Deiana pour Metro+N

Vous le sentez ? L’odeur qui s’échappe du barbecue et des scooters, le bruit des canettes qui se froissent sous les poignes, le pipi dans l’herbe, le chant des canards. Les chemtrails tracent des rêves dans le ciel. Certain·es tentent déjà la chemisette. Oui, pas de doute, c’est le printemps à Forest, Bruxelles.

Mais trêve de bucoliques. Nyx n’est pas (que) là pour compter les poireaux déjà éclos dans le potager en contre-bas, de toute façon infesté de rats. Le premier concert s’annonce et le jeune public est invité à mouvoir sa bonhomie dans l’intime salle de concert, de nouveau transformée en quai de métro : arrêt, sièges et miroir de circulation routière. Et drapeau de la Palestine. Rien à voir, mais ça fait plaisir.

 Photos : Erika Deiana pour Metro+N

« Besoin de personne à part du monde entier, le monde en fait des tonnes car j’ai la même couleur que le mafé ». D’emblée et avec fierté, Onha annonce sa couleur. Le public se laisse rapidement conquérir par ce flow doucement incisif, bougeant la tête sur l’introductif PROMIS C’EST VRAI, qui raconte ce qu’est de grandir en tant que Noir à Liège tout en tournant habilement en dérision la connerie des cistes-ra.

 Photos : Erika Deiana pour Metro+N

Ok c’est chaud, se dit-on après avoir assisté à la ballade du rappeur sur la trap de KODAK, aussi extrait d’OPALE, son projet fraichement sorti. On assiste en fait ce soir à un mariage, celui des mots aussi bien rappés que chantés par Onha avec le beat. « Bienvenue dans notre univers ». Merci et vive les marié·es. Et bonjour DumB qui, au service d’une belle connexion, accompagne Onha de son charisme et de sa guitare électrique. Voilà qu’elle se laisse entendre le temps d’un solo délicieux, au milieu des rayons du soleil artificiel que forment les flashs de téléphones, sur ce morceau dont on n’a su identifier que cette phrase quintessentielle : « Je rayonne comme une nuit ensoleillée ». Un mariage au cœur d’une nuit ensoleillée, oui, c’est ça ce soir.

 Photos : Erika Deiana pour Metro+N

Actif depuis trois ou quatre ans, le rappeur liégeois qui enchaîne ce soir son troisième concert de la semaine nous parle entre deux morceaux de l’escalier qui va l’amener là où il a envie. Probablement haut car, maintenant à Bruxelles depuis cinq ans, on se demande comment on a fait pour passer à côté de ce phénomène de scène, qu’il n’hésite pas à quitter pour rejoindre le public lors de l’électronique SENTIMENT DE VIE (PALAPAPA), qu’il se dit fier d’entendre à la radio.

Après une déclaration d’amour à la jeunesse bruxelloise qui se bouge pour faire des choses, Onha kick sur Toujours, son tout premier morceau aux basses qui font trembler le BRASS. Moins facile que ce jeu de mots, cette prod de PARVIS sur laquelle s’enjaille maintenant autant le public que ce synthé qui sonne comme les Doors. « Oh oh oh ooh » fait la salle alors que l’artiste fait « aïe aïe aïe » sur le missile À MA TETE, soignant son départ de la scène et celui d’une belle carrière, on lui souhaite.

 Photos : Erika Deiana pour Metro+N

Les nuages violets ont laissé place à la nuit, percée par les phares d’un train filant à toute vitesse. Sur la terrasse et ses alentours, une contre-soirée : les grenouilles s’égosillent. Pas le temps d’apprécier ce showcase annexe cependant, les membres de CTRL+N donnent aussi de la voix, pour nous inviter au deuxième concert. On dépasse la salle aux gros engrenages pour s’installer confortablement au rez-de-chaussée où Mandyspie est jouée en tant qu’entracte musical.

JOW, on connaît ici. Mais Nyx pique notre curiosité en nous parlant d’une nouvelle setlist. C’est que depuis AURORAE, le jeune rappeur bruxellois a sorti MEMOIRE_vive. Et justement. Notre nez nous chatouille. Les basses de 2013 nous disent bienvenue. La salle s’est bien remplie, prête à figurer dans le tableau plus grave que l’introspectif JOW aime peindre.

 Photo : Erika Deiana pour Metro+N

« Mama désolé j’ai du mal avec dialogue » reprennent les soldats introvertis du jeune rappeur dans la fosse, loin de s’être lassé·es de LOW et de son précédent projet. JOW remet une couche de cette peinture noire, mix précis entre sa voix nerveuse et filtrée et des prods sombres – concoctée par neophron et Nanji sur LA FLEUR – couleur musicale qui dessine un univers singulier dans lequel le monde marcherait capuché et d’une allure déterminée, prêt à tout casser.

 Photo : Erika Deiana pour Metro+N

Mais si la musique de JOW est le compagnon idéal de la solitude forcée, créée pour froncer les sourcils dans le bus le lundi matin, elle sait se déployer en live et fédérer. C’est le cas sur l’aquatique Blue Festival. Et encore plus sur le solaire Basics, morceau en feat avec Jeune Pas$s, présent sur Updown Winter sorti il y a plus de deux ans.

 Photos : Erika Deiana pour Metro+N

Il est l’heure de constater l’efficacité des prods de Saable, à la compo du piano voix moderne UN PEU DE et du stimulant SAL*SAD, présents sur le définitivement bon MEMOIRE_vive. Encore un invité puisque shiba vient apporter son flow chanté sur Sous les fils du tram, douce ballade nocturne bien agréable sous la toile d’araignée en acier qui quadrille la ville.

 Photos : Erika Deiana pour Metro+N

Le miroir routier reflète la furieuse agitation d’une salle qui résonne plus fort que ce qu’elle en a l’air sur CHOSES À PROUVER, morceau qu’une ovation ponctuera. Un concert carré qui permettra à JOW d’attendre l’aurore sereinement. En l’attendant, la lune forme un croissant fin dont la brillance concurrence celle d’un panneau trônant au sommet d’une grue, sous laquelle la terrasse maintenant bouillonnante débriefe les deux premiers concerts.

Mais on aurait aimé que celleux venu·es pour soutenir leurs précédents poulains fassent preuve de plus de curiosité à l’approche du dernier concert. Car à l’heure où se pointe sur scène Boa Joo et sa veste de motarde, c’est seulement un tiers de la jauge qui est rempli. Qu’importe, car si l’artiste n’a probablement pas vécu son meilleur concert à cause de malheureux problèmes techniques, le public présent repartira chez lui avec l’assurance d’avoir découvert une pépite musicale brillante de charisme. Les absent·es ont toujours tort.

–  « Y’a des mecs dans la salle ? »
– « ouaaaaais »
–  « ben ce son, il est pas pour vous »

 Photo : Erika Deiana pour Metro+N

Ce sont maintenant nos mollets qui tremblent. « Ils sont tous misogynes mais ne t’en prends pas à Leurs mamans ». L’ironie de ce morceau vieux de 4 ans n’a pas pris une ride, tout comme le flow de Boa Joo découpant méthodiquement cette prod rebondissante. Plus mélancolique, Depuis nous donne envie de siroter un whisky au fond d’un bar sombre. Premier morceau de son excellent EP Sérénade, l’artiste y parle en facts : une mesure, une vérité.

 Photo : Erika Deiana pour Metro+N

Sur Shabondy, le public se voit aspergé de miel sans que le liquide visqueux ne l’empêche de bouger la tête frénétiquement. On découvre avec appétit la recette musicale populaire de Boa Joo faite de prods trap et de lyrics intimes mais universelles, le tout ayant le potentiel d’enflammer des clubs comme des festivals, et encore plus les mauvaises enceintes des voitures des jeunes conducteur·ices. On n’est d’ailleurs pas étonné·es que l’artiste bruxelloise se soit déjà produite à Esperanzah ou à Dour.

Le tube Pas si mal fait trembler ce qu’il resterait encore à faire trembler ce soir (nos genoux) tandis que le sourire rayonnant d’une jeune fille dans le public dirigé vers l’artiste veut dire beaucoup. « Ça c’est un son qui vient de sortir », l’efficace LÀ LÀ LÀ, un extrait de Requiem, premier projet à venir depuis deux ans, qu’on attend ici comme l’été.

 Photos : Erika Deiana pour Metro+N

Pour patienter, le reste de la discographie de Boa Joo devrait suffire au public qui s’époumone chaleureusement sur Dis moi. Et si ça ne suffit pas, l’exclusif et excellent Hors-piste nous est offert. Le dernier présent d’une soirée généreuse, où CTRL+N a su confectionner, pour son public, un rafraichissant bouquet. Les jeunes pousses qui le composent forment une scène rap locale pleine de vigueur – c’est son Printemps à Bruxelles.

Il ne nous reste qu’à vous conseiller de rejoindre le train en marche, car si la voix introductive du METRO+N aimerait que tout ça ne « reste qu’entre nous », c’est déjà trop tard.

Spécialement sélectionné pour toi :

Découvre d’autres articles :

Orange:
Orange: