Monstre : la lucidité bouleversante de Martin Luminet
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Auteur·ice : Joséphine Petit
16/06/2021

Monstre : la lucidité bouleversante de Martin Luminet

Après nous avoir intrigués, émus et secoués ces derniers mois, tant par Cœur que Monde, deux titres absolument fascinants, Martin Luminet dévoile enfin son tout premier EP, subtilement dénommé Monstre. À travers cinq titres à la clairvoyance magistrale, il vient en maître frapper en plein cœur, là où rouvrir des plaies au couteau soulage et devient un exutoire nécessaire. Plongée immédiate dans un océan où les mots se font guides vers la surface et la lumière.

À chaque titre son mot, à chaque morceau son nom, Monstre se compose de cinq titres sobrement nommés, mais fièrement portés. Si les thèmes abordés sont souvent intimistes, ils ont malgré tout la force de se révéler indéniablement universels. Du syndrome de l’imposteur face à l’admiration d’un pair, à la solitude noyée dans les foules et l’alcool des samedis soir, ou encore à une conception générationnelle de la relation amoureuse, Martin Luminet se présente en subtil observateur et témoin de l’humain, offrant ici un nuancier pertinent de vécus et ressentis.

Alors que Monde s’attaque à l’espoir courageusement placé dans les mains de la société qu’on sait pourtant imparfaite, Cœur et Magnifique restent plus introspectifs et personnels, en caressant les différents qui se faufilent parfois entre le cœur et la raison, ou encore l’amour qu’il arrive d’oublier de se porter à soi-même avant de pouvoir accepter celui d’autrui. Et tandis qu’on appréciera le néologisme de Vodkaromance pour sa transparence brute, sa montée en tension tel un orage au loin frémissant d’électricité alimenté par “un manque d’amour sur les os” saura faire tourner les têtes et s’animer les corps. C’est alors qu’Amour, pépite de toute beauté venant précieusement clôturer le disque, s’offre à l’oreille comme l’hymne d’une génération déboussolée car débordante de préconceptions datées sur l’amour. Certains se réjouiront même secrètement de pouvoir y retrouver le générique du touchant podcast vidéo de l’artiste, Hardcœur.

Avis aux amateurs de langue française, Martin Luminet sait aussi jouer en virtuose des mots pour détourner avec élégance des expressions figées, aussi bien dans Magnifique (“un balai dans le cœur”, “mon double magnifique”), que dans Amour (“qui voudrait-on avoir à portée de peau ?”). Sachant avec sobriété parfois troquer sa plume fine pour des mots crus jetés face au vent (“mon cœur est un sale con”, Cœur), son écriture revêt une portée viscérale qui s’immisce sous les os pour toucher droit au cœur et y frapper fort.

Entouré de Benjamin Geffen à la production, avec qui il se produit également en duo sur scène, l’instrumentation du disque s’harmonise parfaitement d’un titre à l’autre, en conservant un fil rouge dans le contraste entre la douceur des refrains aériens et le tranchant des couplets déclamés en spoken word. La modernité de la composition et des arrangements se couple délicatement à l’écriture, pour sublimer le propos de chaque titre dans un écrin naviguant entre douceur, fougue et intensité.

 

Et si Monstre nous comblait déjà, le clip de Magnifique, dévoilé lors de la sortie du disque, s’offre à nous telle une perle scintillant sous les rayons du soleil. Dans une mise en images qui allie lumière et espace majestueux à de fines touches d’humour, entièrement écrit et réalisé par l’artiste lui-même, on aura rarement vu une utilisation aussi intelligente de sous-titres. Là encore, Martin Luminet prend plaisir à manipuler les mots pour nous faire valser entre des percutants “je ne suis qu’un cœur à pendre”, “va te faire aimer”, ou encore “faudrait se sortir les doigts du cœur”.

Livrant un premier disque d’une justesse incroyable à la sincérité éloquente, oscillant entre calme et tempête pour manier l’intensité dans une profondeur sensible et déconcertante, Martin Luminet pose ici les fondations de son monde. Un monde aux contours incisifs, dans lequel on plonge tête la première sans même penser à retenir sa respiration.

© David Desreumaux

 

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