Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort. Cette expression, certes galvaudée au possible, n’a jamais sonné aussi juste qu’à l’écoute de ce premier long format de Prince Waly. “Moussa a traversé l’enfer”, et en est ressorti plus mature, plus vif et plus sincère. Bref, grandi par une épreuve qui l’a forcé à revoir ses priorités et son appréhension du monde et de la vie. Cette nouvelle perspective, il a réussi à l’articuler de façon admirable sur Moussa. Un album qui, du moins c’est notre souhait le plus cher, sera celui de la consécration.
Pour celleux d’entre nous qui suivent le parcours solo du jeune maire de Montreuil depuis le boom bap délicieux de Junior, il est évident que ce dernier dégage depuis bien longtemps un potentiel ne demandant qu’à exploser à la face du monde. Une personnalité d’une coolitude extrême, un flow unique étoffé d’un paquet de références pointues, une voix hautement charismatique… autant de qualités qui ont permis à Prince Waly de se forger un solide succès d’estime au fil de ses projets. Pourtant, et ce malgré une fan base d’une fidélité remarquable, il n’avait jusqu’à présent jamais réussi à dépasser un cercle composé principalement d’initiés. Pour expliquer ce phénomène, il suffit de se pencher sur BO Y Z, son précédent projet. En effet, si on doit reconnaitre au disque ses nombreuses qualités, l’aspect technique et ésotérique de ses références pouvaient créer le sentiment qu’il s’agissait plus d’un exercice de style que d’une œuvre réellement personnelle. Résultat, un disque certes fort appréciable, mais dont la valeur ne pouvait être accessible qu’à celleux qui partageraient les références de son auteur…
Si nous nous permettons de mettre en avant l’opacité des productions antérieures de Waly, ce n’est évidemment pas par amour du clash, mais bien parce qu’il est évident que le principal intéressé a lui-même constaté le phénomène. Mieux encore, sur Moussa, il parvient à se libérer de ces entraves avec brio, atteignant ainsi la portée universelle qui lui faisait défaut jusqu’alors. Globalement, la formule ne change pas du tout au tout. Les fans de la première heure y retrouveront son univers riche et référencé faisant le bonheur des plus cinéphiles tout comme des puristes de rap. Pour autant, Prince Waly ne se contente plus ici d’un rôle d’encyclopédie culturelle, et réussit à prouver qu’il a suffisamment bossé et digéré son sujet pour l’ancrer dans son propre scénario.
Dès l’introduction, solennelle et mystique, portée par la poésie d’Arthur Teboul (voix de Feu! Chatterton), le décor est planté, et avec lui la promesse qu’un paquet d’échelons ont été franchis depuis la dernière incursion de Waly dans nos oreilles. Les bases posées sur les précédents projets ont été solidifiées, affinées, pour enfin les mettre au service d’un récit plus sincère et personnel.
Mais chaque chose en son temps. Avant tout, il semblait essentiel de clarifier une chose : il est le Walygator et il est dans une forme olympique. Autant dire qu’en enchaînant les titres de la première partie du disque, on a vite fait de se prendre en pleine tronche toute la maturité et la détermination acquises durant cette période de pause forcée. Rien ne sert de chercher la faille : chaque phrase, chaque flow, chaque punchline est aussi efficace que la précédente, tout en maintenant un tout plus solide que la somme de ses parties. Et que dire de ces seconds rôles de premier choix… D’un côté, on sent un Freeze Corleone en totale maitrise sur Balotelli, pour un résultat dont l’alchimie magnifique rappelle celle de Dinos et Nekfeu sur Moins Un. De l’autre, la présence électrique de l’illustre Ali sur Rottweiler fait office de consécration pour un album tellement attaché à ses racines. Enfin, avec Movie, le disque offre une conclusion brillante à son premier acte, dans une masterclass absolue en storytelling dont lui seul a le secret.
Comme tout bon scénariste qui se respecte, Waly a plus d’un tour dans sa manche. Après avoir amplement rassuré les actionnaires sur la première moitié du disque, notre protagoniste prend une direction jusqu’alors quasi absente de sa discographie. Brutalement, Walygator le prédateur devient Moussa, l’homme. Ce n’est qu’à ce moment-là que l’on prend réellement la pleine mesure du changement opéré sur ce disque. Encore une fois, les invités sont de marque, et s’investissent corps et âme dans leur rôle. Qu’ils soient en totale zone de confort, comme Jazzy Bazz qui vient accompagner la douce voix d’Enchantée Julia avec son spleen légendaire sur Cra$h ; ou bien qu’ils soient en rupture complète avec leur style de prédilection comme c’est le cas pour Luidji et Makala sur le surprenant et sensuel Problème. Et au centre de tout, on découvre avec émotion le Prince Waly que l’on attendait depuis si longtemps sans vraiment l’avoir réalisé jusqu’alors. Avec franchise et sans artifices, ce dernier expose ses doutes, ses regrets et ses craintes vis à vis de l’avenir et de sa carrière. Il ne se cache plus derrière des références en cascade, mais se les approprie pour parler de son vécu avec une force évocatrice qui n’a d’égale que son authenticité. On le sent vulnérable, ébranlé par la perspective d’une mort prématurée et pourtant apaisé.
Ironiquement, cette mise sur la touche aura sans doute été un événement salvateur dans la carrière de Prince Waly. À travers cette épreuve hors du commun, ce dernier finit par réaliser à quel point sa pudeur excessive était devenue un frein à la pleine réalisation de son art. Plus qu’un grand album, Moussa est un témoignage des bienfaits que peut avoir la sincérité sur notre rapport au monde, et surtout à nous-même. Et pour Prince Waly, c’est la preuve que c’est réellement lorsqu’il cesse d’essayer de nous convaincre de son talent, qu’il finit par éclater au grand jour.
Le Walygator continue son marathon
Biberonné au rock de Pink Floyd et Led Zeppelin puis reconverti au hip-hop, j’aime ma musique comme j’aime mon café : dès le réveil et sans édulcorant !