| Photos : Melissa Fauve pour la Vague Parallèle
Alors que d’autres regardent avec effroi moisissures et pourritures, Mui Zuy voit en ces petites bactéries une poésie insoupçonnée. À l’image d’un petit extraterrestre se forçant un chemin sur terre, l’artiste navigue les sonorités organiques sans s’effrayer devant des combinaisons d’accords étonnantes. Ayant trouvé une certaine zone de confort dans les ambiances plus ou moins glauques, l’artiste expérimente pop acidulée et arrangements audacieux, dépeignant un tableau unique dans lequel monstres et papillons se retrouvent en harmonie. Artiste londonienne d’origine hongkongaise, Mui Zyu explorait ses origines dans son premier album Rotten Bun for an Eggless Century. Son deuxième opus : nothing or something to die for s’apparente plus à une immersion dans un univers fantastique et pixelisé.
À l’occasion du Fifty Lab Festival à Bruxelles, nous avons rencontré l’artiste quelques heures avant son passage sur scène. On a parlé de David Lynch, de jeux vidéos et de son envie de transmettre une partie de son héritage cantonnais dans sa musique.
La Vague Parallèle : Salut, comment vas-tu ?
Mui Zyu : Bien, merci. Et vous ?
LVP: Bien aussi. C’est ta première fois à Bruxelles ?
Mui Zyu : C’est ma première fois ici, donc je suis contente d’être là. Je suis déjà passée par ici en Eurostar mais c’est la première fois que je prends le temps d’y rester.
LVP : As-tu eu l’occasion de te balader un peu en ville ?
Mui Zyu : Pas énormément. On s’est levés très tôt ce matin, donc on est allés à l’hôtel et j’ai dormi pour économiser mon énergie avant le concert de ce soir. Mais j’ai eu le temps de faire un petit tour dans le coin avant les balances.
LVO : As-tu hâte de te produire ce soir ?
Mui Zyu : Oui, très ! C’est toujours excitant de jouer pour un nouveau public et de partager mes chansons avec lui.
LVP : Tu as sorti un album en mai dernier, nothing or something to die for. La mort, la moisissure et la pourriture semblent être des thèmes récurrents dans ta musique. D’où te vient cette inspiration ?
Mui Zyu : Depuis que je suis petite, j’aime mélanger des éléments très opposés. Par exemple, des choses très douces et mignonnes avec d’autres qui sont assez grotesques et étranges. Et je ne sais pas vraiment pourquoi j’aime faire ça. C’est simplement quelque chose par lequel je suis naturellement attirée. Dans les films et l’art en général que je consomme, cet élément de contraste y revient souvent. Même les artistes avec qui j’ai collaboré pour les visuels de mes albums ont cette caractéristique dans leur travail, iels aiment des choses qui sont un peu troublantes, un peu dérangeantes. Encore une fois, je ne sais pas pourquoi, mais c’est quelque chose qui me fascine vraiment.
| Photo : Melissa Fauve
LVP : Tu sembles te sentir à l’aise dans des ambiances un peu sombres, qui pour d’autres pourraient être troublantes. Cet univers est-il une zone de confort pour toi ?
Mui Zyu : Oui, je pense. En grandissant, j’ai beaucoup regardé de films d’horreur, mais aussi des films surréalistes et innocents comme Edward aux mains d’argent. Ce mélange d’opposés me semble familier. J’ai aussi passé beaucoup de temps seule, mes parents étant très occupés avec leur restaurant et mes frères et sœurs souvent absents. Regarder des films a vraiment nourri ma créativité et mon amour pour ce qui est étrange, donc oui je suppose que ça a quelque chose de réconfortant pour moi.
LVP : Il y a aussi quelque chose de très organique dans tes arrangements musicaux. Quelle est ton approche pour créer ces atmosphères complexes et riches ?
Mui Zyu : Il n’y a pas vraiment une seule approche. Avec Luciano Rossi, qui est aussi producteur, on aime expérimenter. On était ensemble dans un groupe et pendant la pandémie, on a travaillé sur la bande originale d’un jeu vidéo qui s’appelle Life is Strange, et on a dû composer des chansons spécifiques pour des personnages. Cette expérience a eu pas mal d’influence sur l’album, à ce moment j’explorais aussi beaucoup mon héritage hongkongais et puisqu’on habite ensemble, on a pu passer des heures à juste expérimenter. Pendant la pandémie, tout le monde était chez soi, donc on voulait créer un monde qui transporte les auditeur·ices ailleurs, un portail vers un univers différent.
LVP : Cette métaphore du portail elle revient plusieurs fois, tu peux nous en dire un peu plus ?
Mui Zyu : Dans la chanson the mould, ça représente le changement, la métamorphose et le fait d’évoluer, ce qui veut aussi dire qu’on se débarrasse des choses qui ne nous servent plus. Donc on passe ce portail sans se soucier de ce qu’on laisse derrière.
LVP : Cet album il parle aussi du fait de trouver la paix dans le chaos, est-ce que ton processus d’écriture t’a permis de trouver cette paix en toi ?
Mui Zyu : Quand je fais de la musique, j’explore beaucoup de thèmes. Pour mon premier album j’explorais mon héritage hongkongais, mon identité et ce que ça fait de grandir au Royaume-Uni en tant que personne chinoise. Avec cet album-ci j’essaye de trouver du sens au monde qui m’entoure et dans le chaos. Dans les deux cas j’estime que je n’ai pas vraiment trouvé de réponse, c’était une sorte de processus thérapeutique mais je ne suis pas arrivée à une conclusion. J’espère trouver des réponses un jour mais je vois ma musique plus comme une forme d’expression et une façon de gérer tout ça.
LVP : Ta musique est néanmoins très introspective, comment vis-tu les live et la connexion avec ton public ?
Mui Zyu : Je dois prendre le temps de me mettre dans un bon état d’esprit, je n’aime pas trop regarder le public, encore moins si il y a des gens que je connais. Mais récemment j’ai fait ma première tournée et le fait de jouer dans plein de villes différentes et de voir que les gens s’y connectent me rend heureuse.
Surtout lorsque je vois des personnes d’origine asiatique qui ont aussi vécu au Royaume-Uni et qui s’identifient à mes textes, je trouve ces connexions spéciales. En grandissant, je n’ai pas eu l’occasion de voir beaucoup de personnes chinoises faire de la musique indie et aujourd’hui ça commence à changer et c’est super. Plus jeune, on m’a dit qu’en tant que personne asiatique qui vit au RU, la musique n’est pas une option. Pour des personnes qui ont envie de faire de la musique mais qui ont le sentiment qu’elles ne peuvent pas, j’espère pouvoir faire partie de ce sentiment d’empouvoirement et encourager les autres. Avoir la confiance en moi nécessaire pour poursuivre cette carrière n’a pas été facile et de faire de la musique avec des personnes encourageantes, qui te mettent à l’aise et te laissent comprendre que tu peux être toi-même, ça m’a beaucoup aidée.
| Photo : Melissa Fauve
LVP : Récemment tu as aussi dévoilé des versions de tes chansons en cantonais, est-ce que c’est pour cette audience-là en particulier que tu l’as fait ?
Mui Zyu : J’avais envie que les gens puissent entendre du cantonais. C’est une langue qu’on ne parle plus vraiment, beaucoup de mes amis qui ont aussi grandi dans des foyers cantonnais ne maitrisent pas bien cette langue non plus, et j’ai appris qu’ils arrêtaient de l’enseigner à Hong Kong, donc c’était une sorte d’expérience. Avec mon amie Emi the Great on a fait quelques événements communautaires, on a connecté autour de notre héritage hongkongais et on a commencé par faire des covers de cantopop, donc une ballade très cheesy des nineties par Faye Wong, une des plus grandes pop star là-bas. Après on a eu envie de faire plus et de célébrer la musique cantopop parce qu’on a grandi en écoutant ces chansons avec nos parents.
Ensuite on a eu l’idée de traduire nos chansons en cantonais, Emi l’a fait pour ses chansons et moi j’ai demandé à mon père de m’aider. C’était un boulot beaucoup plus complexe que prévu. En cantonais le ton de la voix a son importance, un mot peut avoir plusieurs significations selon le ton qu’on emploie, donc lorsqu’on y ajoute une mélodie ça change tout. J’ai aussi demandé à Emi de repasser sur les paroles de mon père pour leur apporter une touche plus poétique. J’ai bien aimé l’expérience, c’était chouette de pouvoir travailler avec mon père, mais je ne suis pas sûre de retenter l’expérience parce que c’était très compliqué. (rires)
LVP : Tu t’inspires beaucoup de compositeurs comme Ryuichi Sakamoto et Angelo Badalamenti qui a notamment travaillé avec David Lynch. On a aussi compris que la chanson Sparky était une référence à Blue Velvet. Est-ce que tu te verrais composer toi aussi une bande originale de film ?
Mui Zyu : J’adorerais ça ! Puisque j’ai travaillé un peu dans le jeu vidéo, j’espère que ça pourrait me mener à composer des bandes originales, surtout que les films et les jeux vidéos m’inspirent beaucoup.
LVP : Quelle serait l’histoire ? Qui le réaliserait ?
Mui Zyu : Bonne question, je ne sais pas. Probablement David Lynch parce que j’adore son travail, j’adore le surréalisme. Je ne sais pas à quoi ressemblerait l’histoire mais j’imagine que ça serait très surréaliste aussi, je suis ouverte à tout ! Récemment j’ai revu le film Uncut Gems, et j’adore la façon dont la musique contraste avec le film tout en faisant parfaitement sens. J’aimerais bien faire quelque chose qui serait à la fois très différent de ce qu’on voit à l’écran et en même temps quelque chose qui colle complètement.
LVP : On peut t’envoyer des scénarios donc !
Mui Zyu : Oui ça serait chouette ! (rires)
LVP : Comment as-tu procédé pour développer une identité visuelle très forte et très particulière ?
Mui Zyu : En général j’ai une idée assez claire de ce à quoi je veux que les choses ressemblent, mais j’adore aussi collaborer avec d’autres personnes et je savais ce que ces artistes allaient créer. Je savais que ces artistes allaient comprendre, je leur avais un peu expliqué les différents thèmes de l’album et je leur avais envoyé certains morceaux. Avec Danny Grant qui a créé beaucoup des visualiser c’était pareil, j’avais parfois une idée qu’il développait ou alors il me proposait lui-même des choses. C’était vraiment un processus ouvert, je n’ai pas une vision rigide de ce que je veux, il y a des choses que j’aime mais je ne suis pas attachée à un résultat spécifique. Heureusement les artistes avec qui je travaille ont des goûts similaires aux miens, iels aiment aussi ce mélange de choses très douces et mignonnes avec des éléments un peu dégoûtants.
LVP : C’est quoi l’étape suivante pour toi ?
Mui Zyu : J’ai une tournée en Asie qui commence la semaine prochaine à Hong Kong, puis on ira à Taïwan, en Corée du Sud et au Japon après ça. On a vraiment hâte, et ce sera la première fois que je jouerai avec ce projet devant ma famille, parce qu’ils sont à Hong Kong. Ce sera intéressant, ma mère est très honnête. Je suis curieuse de savoir ce qu’elle en pensera. Ensuite, je vais travailler sur de nouvelles musiques. Il y aura des morceaux l’année prochaine, je pense qu’on fera peut-être des concerts aux États-Unis aussi. Donc, plus de concerts et plus d’écriture et peut-être une musique de film. (rires)
Ma playlist est aussi bipolaire que moi. J’aime le metal, le sang et les boyaux, tant que ça reste vegan.