Musique Chienne : “J’adore jouer sur les rythmes, me donner une sorte de mission.”
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Auteur·ice : Yinn Grab
23/07/2019

Musique Chienne : “J’adore jouer sur les rythmes, me donner une sorte de mission.”

On connecte nos micros d’ordinateurs, elle à Marseille, moi à Amiens, et les bruits triturés dans son appartement sont déjà en soi un concert pour moi. Je me prépare à dégainer mes questions, formées d’elles-mêmes les jours d’avant et très rapidement, car je la suis depuis longtemps. Elle semble trifouiller quelques câbles, dit aller chercher un papier et un crayon mais ce qu’elle fait chez elle reste mystérieux. On se lance dans un échange à bâtons rompus sur la musique qu’on aime tous les deux, instinctive, ancrée dans le réel, dans le partage, loin des automatismes financiers et d’un air de déjà-vu sentant le renfermé. Prenons un bon bol d’air frais avec Musique Chienne, artiste moderne dont la poésie n’est pas une recherche, mais bien la résultante indirecte d’un art constant et innocent, ancré dans les petites magies douces du quotidien.

 

La Vague Parallèle : Quel « bilan » fais-tu de ce que tu as fait jusque maintenant, depuis que tu fais de la musique ?

Musique Chienne : Le bilan… Il est positif, mais il n’y a pas vraiment de bilan à faire, car c’est une pratique que je ferai toute ma vie. Le bilan je le verrai quand je serai morte (rires). Quand j’aurai 80 ans. Je vois la musique comme quelque chose de constant, et ce projet-là est un projet artistique, ce n’est pas un projet de carriériste. Il sera présent tout le temps et je vois de l’évolution, du travail, des rencontres, je vois des expériences, des concerts, des albums futurs… Et le bilan aujourd’hui c’est que je suis très heureuse du contexte dans lequel je suis. Après, la musique, c’est assez large, il y a la pratique de la composition et aussi la pratique de concerts, qui pour moi sont très différentes.

LVP : Et en termes de rencontres, à l’instant T où on se parle, si tu regardes derrière toi sans trop réfléchir, est-ce que tu vois des visages plus marquants que d’autres ?

MC : Non, pas plus marquants, tout est à prendre. Aussi bien les personnes avec qui je travaille, que les personnes que je rencontre pendant les concerts, que les personnes avec qui j’ai envie de travailler.

LVP : Tout est au même niveau.

MC : Même les personnes virtuelles, les personnes que j’écoute…

LVP : C’est un « grand tout ».

MC : Oui.

LVP : Pourquoi avoir eu ce geste de gratuité le jour de la fête de la musique ?

MC : Par plaisir et pas par projet. Pour ne pas que ça freine de pouvoir se procurer des choses. Même si on peut télécharger ma musique sur le site, c’est prix libre donc les gens peuvent donner ce qu’ils veulent. Et aussi parce qu’avec la vente on ne gagne rien, vraiment, donc autant faire avec.

LVP : As-tu eu des retombées ?

MC : En fait j’ai fait ça aussi car j’avais un ami, une connaissance, qui me demandait de lui envoyer des morceaux de quelques albums, et je lui ai dit « tu peux les trouver sur Bandcamp à trois euros ». Je me suis dit : je vais les mettre à prix libre. Mais là c’est revenu à prix normal. Je n’ai pas des commandes tous les jours mais ça arrive quelque fois. Des inconnus notamment, c’est chouette.

LVP : Ça me permet de dériver un peu sur la question du commerce de la musique, quelle est ta vision des choses à ce sujet ?

MC : Il faut un mini-commerce, à échelle réduite. Moi je mets tout l’argent sur PayPal et après j’achète des vinyles et des cassettes avec ! Je ne gagne pas d’argent, ça me permet juste de partager. Après je peux gagner de l’argent avec les concerts – ça c’est du commerce aussi – ou avec les droits d’auteur.

LVP : Et on a l’impression, vu de l’extérieur, que tu travailles seule.

MC : Oui.

LVP : Là où beaucoup d’artistes, quand ils commencent à être dans ce milieu de la musique, s’entourent de personnes comme des attachés de presse, des tourneurs…

MC : J’ai un tourneur, mais je n’ai pas d’attaché de presse.

LVP : D’accord. On te l’a proposé j’imagine ?

MC : Euh… Non, il y a des personnes qui m’ont proposé pour de la distribution, mais c’est tout.

LVP : C’est quelque chose d’important pour toi, de garder une certaine indépendance ?

MC : Oui quand même. J’aime bien par exemple le fait que ce soit toi qui viennes me voir, que ce ne soit pas quelqu’un qui fasse l’intermédiaire, je trouve ça plus sympa. Faire les choses à une petite échelle. Que je n’aie pas de démarche à faire, même si dans le monde de la musique c’est comme ça. Moi ça me gêne un peu. Donc je préfère ne pas être là-dedans.

LVP : Je suis assez d’accord avec toi…

MC : C’est un peu bizarre ! Tu sors un truc et tu vas demander à tout le monde de parler de ça, sans que ça intéresse vraiment. Moi j’ai déjà essayé, avec La Maison De Billy, j’avais demandé à des magazines… Ça n’intéressait pas, bon ben tant pis hein (rires).

LVP : Oui, on a l’impression que si on ne passe pas par les sentiers, par les canaux habituels, on n’a pas d’écoute.

MC : C’est sûr que ça réduit.

LVP : Mais peut-être que ce n’est pas ton objectif. Ton objectif c’est de toucher les gens qui vont sur SoundCloud et qui tombent sur ta musique et qui l’aiment vraiment.

MC : Puis aussi prendre le temps quoi ! Je ne veux vraiment pas à tout prix de diffusion. Je préfère quand ça se fait naturellement, c’est plus agréable.

LVP : Est-ce que ça te fait penser à certains artistes qui finalement sont arrivés à un certain « succès » sans passer par les canaux habituels ?

MC : Non je n’en connais pas. Je ne connais pas les biographies (sourire). Toi tu en connais ?

LVP : Je ne sais pas, je pensais à Brigitte Fontaine par exemple.

MC : Je ne sais pas du tout comment ça s’est passé.

LVP : Je suis sûr que ce n’est pas le genre de personne qui se vendrait à des professionnels bien inscrits dans le circuit, mais bon, ce n’est qu’une supposition. À propos de la fête de la musique, et c’est un thème que j’avais abordé avec Jardin, et il avait répondu que pour lui c’était tous les jours la fête de la musique…

MC : Oui je suis trop d’accord, moi je n’ai rien fait cette année, je ne suis pas sortie. C’est vrai que c’est tous les jours la fête de la musique. Après, la fête de la musique dans les villes, c’est pour les petits groupes, c’est en partie pour faire jouer les gens qui ne font pas de la musique toute l’année, c’est l’occasion. En tout cas à Marseille c’est un truc de malade, c’est n’importe quoi, c’est trop bien ! C’est autre chose, tout le monde a des stands partout, tout le monde vend des cocktails, tout le monde a sa grosse enceinte et le son le plus fort possible, c’est marrant.

LVP : Super !

MC : Je l’ai vécue l’année dernière mais là cette année j’ai décidé de ne rien faire. Pour protéger mes oreilles.

LVP : J’ai vu que tu avais enregistré un morceau le jour de la fête de la musique ?

 

MC : Oui c’est le morceau Baka, ça parle de ça justement ! L’année dernière quand il y avait la fête de la musique, j’ai enregistré, en même temps, avant de sortir, dans l’énergie de la fête. J’ai écrit les paroles avec une copine et le thème c’est la fête de la musique. C’est en japonais. En fait on habitait sur une place ultra-bruyante et on gueulait ensemble, mais c’était pour rire.

LVP : Qu’est-ce qui t’a amenée à Marseille ?

MC : Rien de spécial, le fait de partir de Paris surtout. J’ai suivi une copine qui descendait. Mais rien de particulier, aucune accroche, à part le soleil, les paysages.

LVP : Et de nouvelles inspirations musicales ?

MC : Vaguement, non, là où je suis ne me fait pas faire autre chose. Ce sont les outils qui te font faire autre chose.

LVP : Et on ne trouve pas d’autres outils à Marseille ?

MC : Je n’ai pas trouvé d’autres outils, non. Enfin si, les enregistrements, ils sont différents.

LVP : Les énergies aussi peut-être.

MC : Oui.

LVP : C’est une idée ou tu dérives vers une énergie un peu plus électro voire plus techno ?

MC : Oui, ça c’est ce qui en ressort mais je ne fais pas que ça. Encore une fois c’est les outils, car je suis entourée de personnes qui font plus ça. J’adore aussi jouer sur les rythmes, les tempos, me donner une sorte de « mission ». Parce qu’avant j’étais dans la répétition, c’était tout le temps pareil, même si j’aimais bien ça.

LVP : Tu jouais du triangle dans un groupe, c’est bien ça ?

MC : Non du vibraphone.

LVP : « Vibraphone » (sourires).

MC : Du triangle j’en n’ai jamais vraiment fait, c’est assez technique. Mais là j’aimerais bien reprendre dans un groupe. J’étais dans Lomboy, tu connais ? J’ai arrêté car je partais ici, mais j’aimerais bien reprendre, et pas faire ma propre musique, je trouve ça chouette. Donc je cherche, là, à intégrer un projet. Pour jouer des percussions, du xylo, du marimba, de la batterie, pour revenir aux instruments.

 

LVP : Tu viendrais avec tes propres instruments et l’envie de les utiliser ou tu t’adapterais à un groupe déjà existant en fonction de ce dont ils ont besoin ?

MC : Les deux.

LVP : D’accord. Maintenant que tu « baignes » dans un milieu musical, parmi d’autres, comment l’analyses-tu ? Est-ce qu’il y a des différences culturelles en fonction des pays, parce que j’ai vu que tu étais un peu en Belgique, un peu en Suisse, un peu en France…

MC : Oui c’est très diffèrent.

LVP : Qu’est-ce qui change ?

MC : Les scènes musicales, les genres musicaux, après j’ai été juste dans une ville par pays donc… Là, par exemple, Marseille c’est rap, trap, et ce n’est pas trop ce qui m’inspire maintenant mais… Il y a aussi pas mal de techno. À Bruxelles j’étais entourée de personnes qui faisaient ça, c’était plutôt électro que techno, et assez noise aussi, expérimental, assez chanson. Et la Suisse je vois ça un peu comme un truc rock… Pop… Folk (rires). C’est assez varié, chacun a ses références. Après c’est des petits réseaux, il y en a mille ! Mais je vois les différences, bien sûr.

LVP : Tu écoutes à la fois du très vieux et du très nouveau, tu ne fais pas trop de différence à ce niveau-là également ? Tout est musique donc tout est inspiration ?

MC : Si tu veux je peux te dire ce que j’ai d’ouvert sur mon ordinateur… Sinon j’ai aussi acheté récemment un vinyle venant de Belgique… Alors, qu’est-ce-que j’ai… J’ai Frank Zappa et Salut C’est Cool ! (rires). Et des morceaux que j’ai enregistrés en Suisse la semaine dernière.

LVP : Et quels sont les titres des morceaux de Frank Zappa et Salut C’est Cool ?

MC : Alors pour Frank Zappa l’album c’est Feeding the monkies at Ma Maison, et Salut C’est Cool l’album c’est Maison. Je cherchais des morceaux dans un même thème, et j’aime beaucoup ce qu’ils ont fait. Le thème c’est la maison, la House, avec lequel j’ai fait un mix pour Rinse, dans le cadre du Festival Milieux.

 

LVP : Est-ce que tu ne vas faire comme tu avais fait un peu sur Hotel Radio, où tu parlais entre les morceaux ?

MC : Non je ne parle pas. Un moment je chante par-dessus un morceau par contre.

LVP : Ah oui ? Trop bien !

MC : Acid House. C’est drôle car je dis des paroles qui datent des années 80 (rires). C’est vraiment dans un autre temps.

LVP : Quels sont tes projets futurs ?

MC : Il y en a un qui est un peu en cours : je suis allée en Suisse la semaine dernière pour enregistrer des choses en live, pas du tout électroniques. Deux basses, une batterie, des percussions, des synthés, des voix. On a fait ça dans un studio avec des copains du label Cheptel, et donc là c’est un projet musical assez libre, on ne sait pas dans quelle direction on va aller mais c’est collectif et ce n’est pas forcément pour un « projet », personnel. En fait je joue beaucoup de marimba et de xylo dans le projet, et on fait un peu du blues, du jazz, du rock, du krautrock, des trucs comme ça, des jam. Et sinon je vais sortir d’autres morceaux, peut-être un album, et peut-être travailler les live un peu différemment. Faire de la musique avec quelqu’un aussi ça me tient à cœur, et avec d’autres gens, faire des collaborations.

LVP : Et tu commences à avoir un studio ou quelque chose qui y ressemble chez toi ou tu te déplaces à chaque fois pour enregistrer ?

MC : Non je travaille dans mon salon, parfois on a un petit studio dans l’appart, mais non, je n’ai pas vraiment d’endroit attitré.

LVP : Et pour finir, ma question bonus : pourquoi le chien ?

MC : Parce qu’il est plaisant, qu’il court tout le temps, parce qu’on le voit partout quand on sort, parce qu’il m’a manqué quand j’étais petite… Parce que je les aime (rires), qu’ils me font rire, qu’ils sont intelligents, parce qu’ils sont sensibles à la musique, voilà.

LVP : Ça fait beaucoup de qualités.

MC : Oui ils ont plein de qualités !

LVP : Merci beaucoup.

Musique Chienne sera en concert au Supervue Festival (26 au 28 juillet, Liège), avec Basile3 et Piyojo à Bruxelles le 27 juillet, au Festival Milieux (29 août au 1er septembre, Payra-sur-l’Hers).

Photo : Christophe Robiglio pour Rockorama

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