Myd, loser triomphal
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Auteur·ice : Guillaume Scheunders
05/05/2021

Myd, loser triomphal

| Photo : Alice Moitié

La coqueluche d’Ed Banger dévoile enfin son premier album, Born A Loser. Dans la lignée de son EP All Inclusive, le projet est solaire, emprunt de sonorités indie et pop mais toujours fermement ancré dans la musique électronique. On y retrouve des titres que l’on a eu le temps de connaître, comme The SunTogether We Stand ou Moving Men, le tout dans un ensemble très cohérent, qui ancre toujours plus le producteur dans un style singulier. Rencontre avec Myd, le loser qu’on adore tant.

On ne va pas vous mentir, on aime Myd. Beaucoup. Peut-être parce qu’il représente une forme de liberté assumée, un relâchement, une bouffée d’air dans un milieu où l’austérité est presque devenue la norme. Comme s’il existait un contrat tacite chez les producteurs qui les force à se fondre dans un moule de sérieux et de perfectionnisme. Pourtant, ce chemin austère, Myd l’a bien connu. Souvenez-vous de Club Cheval, le projet qui a duré le temps d’un album et une tournée en 2016, où il partageait l’affiche avec Sam TibaPanteros666 et Canblaster. Mais il a su décoller cette image de lui l’année d’après, avant de sortir son EP All Inclusive. Grâce, notamment, à son amie et photographe Alice Moitié.

Alice m’a énormément aidé à passer de chrysalide à papillon. Elle est arrivée au moment où j’avais trouvé quelque chose en musique et elle est venue me dire : “regarde qui tu es et regarde ce que l’on peut en faire”. C’est elle qui a mis le doigt au bon endroit et qui m’a aidé à m’assumer dans ce côté “image”. Elle m’a juste dit : “t’es là, t’es marrant, t’as une tête de dessin animé, viens on va te mettre sur un bateau de croisière”. On a commencé de manière très extrême et ça a débloqué plein de choses chez moi. Je ressortais de chez Club Cheval où l’on avait tous des styles super austères, on cherchait tous des choses très compliquées, conceptuelles. Elle m’a vraiment aidé à être moi-même et à avancer dans ce sens-là.”

C’est notamment elle qui l’a aidé à forger son image décalée, via ses photos mais aussi ses clips (Together We StandMuchas ou All Inclusive). Tout cela, en réussissant à révéler le vrai Myd. Mais pour lui, se montrer sur les réseaux et dans des vidéos, c’est une chose, mais ça ne crée pas une carrière. “Si les gens n’aiment pas tes morceaux, tu peux faire toute la com que tu veux, avoir les meilleures idées de clips, ça ne va pas avancer. Il faut surtout que ton image, toi et ta musique soient trois planètes alignées parfaitement, pour que ça raconte quelque chose aux gens.

 

Et on peut dire que ces trois planètes sont alignées à la perfection chez le producteur originaire de Lille. Son identité musicale, il l’a trouvée en 2017, pour son EP All Inclusive et depuis, elle ne le quitte plus. Vous savez, ce sont ces notes désaccordées, ces espèces d’accords dissonants qui font en sorte que dès qu’on a un morceau de Myd dans les oreilles, on reconnaît sa patte. La recherche de cette marque de fabrique prend énormément de temps pour un producteur et la trouver peut sonner comme un climax dans une carrière.

J’ai l’impression qu’au-delà de l’avoir trouvée, ce n’est pas comme si j’en avais testé plein et que je me disais “ah, enfin avec celle-là les gens me reconnaissent”. Avant de sortir l’EP All Inclusive, il y a eu ce moment de recherche. J’avais terminé Club Cheval, on avait sorti notre album, fait notre tournée. Quand je me suis dit que j’allais me concentrer sur ma carrière solo, je me suis vraiment posé en me disant “il faut que je mette en musique ce que j’aime et ce que j’ai en tête”. Ça a été 1 an de moi en caleçon dans un studio (le studio était chez moi), où j’ai essayé d’avoir ce que j’ai eu à la fin, c’est-à-dire un mélange d’indie-rock-folk avec de la musique électronique française. Au bout d’un moment, j’ai vu que j’arrivais à mélanger ces deux trucs ensemble et qu’il se produisait un truc, une nouvelle énergie, un truc très solaire, une émotion qui me ressemblait.

L’album emprunte toujours cette énergie remplie de vitamine D, avec des variations marquant toujours un peu plus l’identité de Myd. Certains morceaux sonneront très pop (Call Me, Let You Speak), d’autres auront plus un profil aux accents indie rock (Moving Men) et une grosse part sera évidemment laissée à la musique électronique, voire musique club (Born A Loser, Now That We Found Love…). Pour le français, l’album est la bonne occasion pour l’expérimentation. “Quand je fais l’album, j’ai juste un champ d’action plus large pour expérimenter un peu plus. Là où quand je faisais des singles avant, il fallait tout rentrer dans une case. Sur l’album, j’ai 14 autres occasions d’aller un peu plus loin. Sur Born A Loser, il a livré 100% de son ADN. De par son nom, déjà, l’album en dit long. Myd est peut-être né comme un perdant, mais ce qui a forgé son parcours, c’est de ne jamais se renier lui-même. Il n’est évidemment plus l’adolescent du club informatique, mais il n’a jamais mis de côté ses goûts personnels qui pouvaient paraître étranges ou nazes. Ce noyau d’inspiration est super important, il faut le garder. Autour de ça, j’ai grandi, j’ai appris à produire, j’ai eu des échecs, je me suis trompé. Je suis parfois allé dans de mauvaises directions pour de mauvaises raisons. C’est ça qui est mignon avec ce titre Born A Loser. Je n’ai jamais fait de musique qui ressemblait autant à ce que je voulais faire quand j’avais 16 ans.

On avait envie de revenir sur cette tendance qu’ont certains producteurs à distiller un peu de pop dans leur musique électronique, tendance à laquelle le producteur n’échappe visiblement pas. Et si la musique électronique était en passe de marcher sur les pas du rap, en devenant la nouvelle musique populaire par excellence ? Pas pour Myd.

“Le rap a toujours un champ d’action énorme. Ce sont les derniers vendeurs de CD, ceux qui passent le plus à la radio, qui sont en top des playlists sur les plateformes de streaming… Le rap est loin d’être détrôné par la musique électronique. Après, la musique électronique a un pouvoir, qui est moins visible en ce moment parce qu’il n’y a pas de clubs, mais il y a quand même quelque chose de super fédérateur dedans, parce que la fête c’est génial. Tout le monde aime aller faire la fête sur de la musique électronique et ça ne changera jamais.”

S’il en parle si bien, c’est surtout car le rap n’est pas un terrain inconnu pour le Lillois. Il a produit certains grands noms : SCHZolaLacrimGeorgio ou encore Theophilus London. Et s’adonner à cette tâche, c’est une façon pour lui de sortir de sa zone de confort. “Ce qui est génial dans le rap, c’est que tu peux expérimenter. Les rappeurs sont méga excités par les nouveaux sons, être différents des autres. Il existe des hits de rap qui sont très bizarres, ce qui est assez cool. Je n’ai pas l’impression que la musique rap soit formatée et ça c’est assez excitant pour un producteur. Quand tu as besoin un peu de prendre l’air de ta propre musique, c’est cool d’aller faire un tour là-bas.” Pourtant, le hip-hop ne détrônera jamais la musique dans le cœur de Myd.

 

Ce qui a animé le passé du Français, c’est aussi le ghostproducing. On a pu entendre son nom dans un documentaire sur le sujet et on sait qu’il a notamment travaillé sur des projets de Brodinski et Zola. On a voulu lui demander son avis actuel là-dessus.Avant, il y avait des projets où j’avais l’impression que produire pour les autres, ça interférait dans ma carrière. Là où je pense qu’aujourd’hui ça la nourrit et ça fait partie de mon histoire. Peut-être qu’à l’époque, je n’aurais pas dit que je bossais pour Squeezie, par exemple. Peu importe que les gens aiment ce que je fais à côté ou pour les autres, ça fait partie de ma carrière. Plus je me livre et plus le public me suit là-dedans et me connaît. Je n’ai pas honte, ce n’est pas un gros mot.”

Comme dit plus haut, le producteur a accepté de travailler avec le célèbre Youtubeur, avide d’une première expérience dans la musique. Potes depuis quelques années, c’est tout naturellement que Squeezie s’est tourné vers Myd pour son premier album. Et là où certains auraient pu questionner la légitimité musicale de celui qui compte plus de 15 millions d’abonnés sur YouTube, Quentin Lepoutre (aka Myd) a lui foncé la tête la première, en suivant sa tendance à l’excitation pour des projets compliqués. Et malgré l’amalgame qui a pu être cité de nombreuses fois entre vraie volonté de faire de la musique et caprice de starlette, il est extrêmement heureux d’avoir pu travailler sur Oxyz

“On s’est mis en studio et j’ai découvert qu’il avait une vraie envie de faire de la musique. J’ai vu des musiciens moins motivés que lui. Et ce n’était pas pour de mauvaises raisons. Il avait vraiment des choses à raconter, il écoutait énormément de musique, il avait des envies très très précises. Je lui ai dit “OK, mais c’est du taf, ça va être dur”. En fait, une carrière de 6 ans, il l’a faite en 6 mois. Il s’est tout pris: les up, les downs, penser avoir fait un hit, en fait ce n’en est pas un, puis c’est un autre morceau qui devient un hit, vendre des disques, préparer une tournée… Il s’est pris ça dans la gueule et c’était fou à voir, de participer à cette aventure folle et très rapide.”

 

Myd fait office de personnalité à part sur la scène électronique française. Il est attendrissant et rempli d’autodérision. Les Comyd du premier confinement peuvent l’attester : il est à l’aise quand il s’agit d’amuser la galerie. On a quand même voulu vérifier s’il était certain de sa décision, car une reconversion professionnelle pourrait s’avérer payante. Mais sans succès.

“J’étais vraiment à peu de choses de faire du stream de gaming sur Twitch. Mais je me suis dit qu’il fallait vraiment que je me calme. C’est la musique que je préfère faire et que je sais faire le mieux. C’est clair qu’on rigolait bien sur Comyd, et ça faisait du bien dans des moments de confinement de l’enfer, mais mon métier c’est musicien, pas présentateur (rires).”

Si Myd est un loser, alors nous sommes tous des losers. En stand-up, sur Ableton ou derrière des platines, il y a de toute façon peu de choses à l’heure actuelle qui nous feraient le détester. Born A Loser résonnera sans aucun doute tout l’été et les petits accords dissonants qui font sa marque de fabrique s’accorderont avec les rayons du soleil.