N : Swing exorcise sa haine
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
07/11/2019

N : Swing exorcise sa haine

Ne demandez pas à Swing pourquoi l’avenir l’inquiète, vous connaissez déjà la réponse. À coup de vérités dérangeantes et d’injustices tristement d’actualité, le rappeur bruxellois amorce la suite de son projet solo avec N, une poésie brumeuse gorgée d’amertume, miroitant les démons tapis en lui. Au sein de son collectif L’Or du Commun, dont le dernier disque Homosapiens aura eu le mérite de belgiciser cette notion de rap conscient, le musicien nous avait déjà habitués à ses prises de positions éclairées s’inscrivant dans des élans d’humanisme inspirants et émancipateurs. Un premier projet solo, Marabout, avait d’ailleurs confirmé ce statut de penseur, de rappeur engagé et inspiré. Si son écriture est belle, elle n’en demeure pas moins sombre et habitée par les tourments du monde qui l’entoure, exposant craintes et angoisses face à demain. Le phénomène se répète.

Sur Homosapiens déjà, on l’entend scander : “Les miens ont des sales manies, plus j’observe et plus j’me rends compte que l’être humain est sadique. S’il te plaît, me parle pas d’avenir, plus j’avance et plus je panique à l’idée de donner la vie à un homo sapiens.” On garde ce même esprit analytique et on l’applique à une tout autre réalité, tout aussi alarmante. Ainsi, sur ce nouveau titre profondément personnel, Swing sale les plaies causées par un racisme anxiogène, expansif et intemporel. Épaulé par les visionnaires équipes des studios Bleu Nuit (mis à l’honneur dans nos clips de la semaine passée pour leur somptueux travail avec Blu Samu) et Beaucartel (présents sur différents projets de L’ODC), l’artiste nous offre notre dose de frissons de la semaine et certainement l’une des plus belles promesses de l’avenir du rap belge. 

Le visuel est une collection de tableaux, de panoramas colorés qui font s’entrechoquer couleurs, allégories et réalités. Le premier plan nous impose la dureté d’une détresse : celle d’un chérubin sanglotant, dénudé et atterré. Cet enfant, c’est Swing. Ces larmes, cette couleur de peau, cette urgence, ce sont les siennes. Introspection visuelle et musicale, N offre une tribune artistique à des débats compliqués, au travers de compositions esthétiques et d’associations magistrales de rimes percutantes. S’enfilent dès lors symboles et métaphores diverses : d’un homme noir assiégé par une horde de fusils à un autre homme noir tiraillé par les diktats de la virilité, les messages sont clairs et bouleversants. “Il paraîtrait qu’j’ai pas le bon faciès pour avoir le droit d’m’asseoir à leur siège” Des lignes qui font écho tant à la bravoure historique de Parks qu’à la lâcheté de misérables esprits d’aujourd’hui, libres d’exposer une intolérance graduellement banalisée se propageant dans nos trains (coucou SNCB) ou encore dans nos magasins de chaussures (coucou JD Sports).Entouré d’esprits étriqués, viens pas me parler d’équité. Dans le fond, personne sait qui t’es mais le coupable s’ra vite désigné. J’ai vu leurs doigts vers moi déviés, commandés par fausses certitudes. Vestige d’anciennes peurs héritées, réduits hommes noirs à servitude.” Les lignes visent juste et tremblent d’une force colossale, confrontant directement le suprémacisme blanc régissant nos sociétés et plongeant les “minorités” dans des cases toujours plus inconfortables, toujours plus anxiogènes.

Ce matin à mon reflet, j’ai dit : “Qui est-ce ?”

Des oppressions qui finissent par semer les doutes et ronger l’artiste, l’asphyxiant dans les méandres de sa propre identité. C’est aussi la force d’un tel morceau, son impudeur et sa fragilité assumée. Loin de la légèreté solaire qui fait le charme de son personnage, Swing dévoile ici la face plus tiraillée, plus complexe et moins lisse de son alter ego musical. Et qu’il est beau de voir un homme crier ses inquiétudes pour mieux chasser ses fantômes. Sans filtre, le Bruxellois nous ouvre les portes de ses engagements les plus intimes, pour nous emporter avec lui combattre les noirceurs de notre système. Quand la musique se veut politique, quand le rap se veut chevalier du vivre ensemble et ennemi de l’intolérance. C’est par ce coup de maître que l’artiste nous dévoile la couleur d’un second opus mystérieusement intitulé Alt+f4, qu’il nous tarde de savourer. À l’écoute d’une telle prouesse musicale, si Swing s’inquiète pour son avenir, nous sommes plutôt confiants quant à la suite prometteuse de son art.


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