Nappy Nina, une MC au chagrin lyrique
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Auteur·ice : Anne-Sophie Rasolo
15/03/2023

Nappy Nina, une MC au chagrin lyrique

Aussi discrète que puisse être sa musique de notre côté de l’océan, Mourning Due est pourtant le sixième album de Nappy Nina. À ses côtés depuis ses débuts, le beatmaker Nelson Bandela, ainsi que Dane.Zone et JWords, aussi productrice et beatmakeuse hip-hop, ont fabriqué avec elle cette poésie hypnotique longue de 14 morceaux entre 2019 et 2022.

Nappy Nina se distingue dans sa façon de dessiner une mosaïque du chagrin et a ajouté ces mots à la publication de son album :

« Mourning Due est un disque qui considère le deuil comme une monnaie et qui pose la question de savoir à qui l’on doit quelque chose. »

Basée à Brooklyn, il s’agit d’une artiste queer noire-américaine qui façonne son écriture avec une certaine oralité oscillant entre rap et slam, qu’elle pratiquait davantage durant son adolescence. Cet équilibre lui confère un ton solennel et doux à la fois, pour parler de choses qui le sont moins, promenant ses pensées sur un tempo fluctuant. Le spoken word sert le texte, les accélérations plus nerveuses servent la musique.

Si l’on cherche un peu plus loin, ses origines de la baie de San Francisco se font ressentir et rappellent légèrement un certain groupe nommé The Internet, par ses guitares électriques, ses synthétiseurs, ses basses profondes et son groove électronique, très présents dans (B)ending et Tucked In. Elle cultive néanmoins sa touche personnelle : son flow alto, calme mais sans être figé, en contre-temps sur des samples jazzy et un boom bap élégamment mêlé à des accents UK, tels que dans le morceau Peddles ou Scuffle.

Elle s’assoit avec sa tristesse, déplie l’origami du deuil et nous parle d’une lutte de l’esprit. Suspendues à une valse de violons dans Weeping Waltz, les larmes de Nappy Nina appellent à écouter nos pertes et nous demandent « et vous, que pleurez-vous ? ». Elle nous invite à danser à travers ces gouttes, et à composer avec ce qui nous ensevelit dans Stone Soup. Ce titre est porté par une rythmique plus incisive à laquelle répondent des harmonies mélodieuses : appelons ça le bruit de la débrouillardise, ou quand le rythme de la vie nous malmène, il y a toujours des notes heureuses quelque part.

 

Entourée entre autres de Moor Mother, poétesse et militante, et du rappeur MAVI, qui avait publié fin 2022 un album plein de dextérité (Laughing so Hard, it Hurts), elle tricote avec ces featurings une pièce intime sans doute favorable à cette écoute fluide et continue. Chaque morceau est imprégné d’une couleur tantôt chaude, tantôt plus froide, mais tous sont portés sur cette ligne rythmique et soul, tracée par ses paroles et par ses beats. Vers la fin, Yes yes yes signe les restes certains d’un attachement à une fibre hip hop plus ancienne, morceau que Stas THEE Boss termine sur un ton similaire à celui de The Roots (si l’on se réfère à The Return to Innocence Lost), suivi des premières notes du piano de Cope, d’une substance plus smooth encore. 

Nappy Nina possède un panel de beats et de percussions large qu’elle parcourt avec aisance, prenant le temps d’explorer un monde en feu (Prayer Posture), apprenant à se rendre au chagrin avec grâce.

Depuis ses débuts, cette MC est attachée aux questions socio-raciales, défend le postulat de la vulnérabilité et de l’expression des émotions. Chercher les endroits où les sentiments affleurent, sans compromis entre l’écriture et la musique, c’est sans doute ce qui rend cet opus dense et cohérent de bout en bout. Enfin, sa propension à évoquer des sujets deep tout au long de vers habiles, ainsi que cette représentation du désert dont elle a fait son lit en couverture de l’album, forment un écrin de poésie.


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