Donnons aux belles choses des mots simples. Nikola est arrivé début mars avec un nouvel EP 20 hivers et 1 printemps, qu’il décrit comme la fin de son chapitre sur l’enfance, et ça résonne en nous. Fidèle à lui-même, on ressent la pleine conscience dans chaque syllabe, une palette musicale brute arrosée de nouvelles couleurs et défiant les structures musicales ordinaires avec sincérité, technique et justesse. Nikola revient pour célébrer les émotions universelles avec intensité, humour et douceur, et avec ses proches, aussi. Par cette sortie et en cristallisant ses rencontres dans trois feats, Nikola nous fait écouter ce qui parsème la vie et que l’on n’entend pas ; le partage, l’empathie, les sourires, la complicité. Il est de ces artistes libres qui capturent au vol la puissance de l’éphémère et le chérissent, ce qui a attisé notre envie d’en savoir plus. Rencontre…
La Vague Parallèle : Hello Nikola, on se rencontre suite à la sortie de ton second EP 20 hivers et 1 printemps, comment tu te sens ?
Nikola : Ça va et toi ?
LVP : Très bien je te remercie. Ce nouvel EP fait suite à ta première sortie Une saison en enfance en 2021, tu as décrit ce nouveau projet comme “la clotûre de ton chapitre en enfance”, avais-tu en tête cette volonté de continuité entre les deux projets ?
Nikola : Non pas du tout. Je ne sais pas de quoi je vais parler avant d’en parler. Et c’est aussi vrai pour ce projet, je ne savais pas que j’allais faire la suite avec le deuxième. Au fur et à mesure, je me rends compte de la direction que ça prend et réalise de quoi je suis en train de parler. À partir du moment où j’ai capté où je vais, j’oriente quand même en ce sens, afin de trouver les bonnes teintes qui collent aux propos. Du coup pour le premier EP, le fait de traiter le sujet de l’enfance s’est imposé tout seul. Tout s’est naturellement rassemblé autour d’un genre de récit de passage à l’âge adulte dans une ambiance un peu sombre. Pour celui-ci aussi ça s’est imposé naturellement, j’ai spontanément repris les mêmes thématiques en y apportant plus de recul.
LVP : Et aujourd’hui, as-tu le sentiment qu’il répond au précédent, qu’il y fait écho ?
Nikola : Oui oui, complètement. J’ai eu ce sentiment hyper vite. J’ai fait deux, trois chansons et j’ai compris que j’avais besoin de raconter ça alors je n’ai pas lutté contre et je l’ai fait. J’essaie d’être dans un truc instantané quand j’écris et ce nouvel EP m’a permis de traiter ces mêmes sujets avec le recul que j’ai acquis en écrivant le premier.
LVP : La moitié de l’EP est d’ailleurs marquée par une ouverture soudaine à des collaborations, d’où t’est venue la volonté d’accueillir d’autres artistes sur ton EP ? Ça faisait partie de ce processus de prise de recul ?
Nikola : Le premier EP, je l’ai fait de manière hyper solitaire, c’est comme ça que j’ai toujours fait de la musique, en étant tout seul dans ma chambre. Avant Toute La Vie, je n’avais jamais laissé personne entrer dans mon processus. En fait, mon premier EP m’a permis de prendre du recul ; faire de la scène, partager ma musique et être confronté au regard de l’autre. Tout cela m’a beaucoup ouvert, ça m’a permis de mieux me comprendre, de mieux m’accepter, et j’avais envie que ça se ressente dans le processus musical du second EP. Autant dans les collaborations sur la musique qu’avec les feats, c’est pour ça qu’il y a pas mal de monde, peut-être dix personnes qui ont bossé sur le disque.
LVP : Qu’est-ce qui a fait évoluer ce processus individuel d’après toi ? La scène ?
Nikola : Je pense que c’est la scène, c’est clair. Mais aussi le fait d’exister aux yeux des autres, autrement que juste en étant moi. De voir et comprendre ce que je transmets à l’autre par la musique. C’est un peu bizarre comme processus de sortir un projet sur lequel t’as bossé. D’un côté, tu as envie de raconter une histoire, qui est la tienne, avec un angle précis qui te fait du bien sur le moment. Et de l’autre, quand tu le sors, c’est une version finale, et c’est la version qu’ont les gens de toi, même ceux qui te connaissent bien. Le fait de faire écouter ma musique m’a fait du bien, c’était vraiment salvateur comme démarche, d’avoir des choses que tu oses dire à personne et de soudainement les livrer à tout le monde. C’était un grand saut un peu bizarre mais très cool en vrai.
LVP : Justement, tu parles de laisser les choses venir à soi dans le processus artistique, de prendre le temps d’écouter ce qui sort dans l’instant, ça me fait me demander comment tu appréhendes le fait de fixer un morceau dans un enregistrement ?
Nikola : C’est compliqué comme truc… Je dirais que c’est pareil, c’est le processus. Je considère qu’il n’y a pas vraiment de bonnes prises, il y a la prise sacrée, celle où c’était le bon moment. Après concrètement, tu vas faire plein de trucs, puis réécouter à froid aussi. C’est le genre de choses que je ne fais pas trop. Toute la vie est un bon exemple, initialement il y avait une production, il y avait un morceau complètement différent. On est arrivé au studio, on s’est échauffés en faisant du clavier, on n’était même pas censé enregistrer. C’était un espèce de test du matos et l’ingénieur a appuyé sur REC et on a fait une prise. Après l’interprétation je lui ai dit « ça tue comme ça, sans prods, sans rien ». Et l’ingé m’a dit qu’il avait REC et que je pouvais l’écouter. J’ai su que c’était celle-là qu’on garderait, que c’était cette prise. C’est ce que j’entends aussi par la prise sacrée. Après, le morceau évolue aussi avec le temps. Des fois, je vais réécouter des voix que j’ai faites à l’époque et ça me dérange mais elles représentent un truc. C’est comme des photos de toi d’il y a deux ou trois, cinq ans que tu regardes. Tu te dis « ah j’ai un peu honte » mais c’est aussi représentatif de quelque chose.
LVP : L’aspect « produit fini » tu l’envisages plus comme faisant parti du chemin mais pas comme la finalité en soi ?
Nikola : Oui, j’envisage un peu tout via le processus. Les collaborations également, c’est un peu les mêmes démarches, c’était une manière de partager des éléments minimes auxquels j’ai pu penser de mon côté ; une batterie, une voix, et de voir vers où ça pouvait mener. Je me laisse complètement porter. La démarche est vraiment d’accepter qu’au pire ça ne donne rien mais que ça vaut l’expérience. Les morceaux que je sors peuvent être vus comme des expériences réussies, et derrière il y en a plein qui ne le sont pas mais ce n’est pas grave, ce sont simplement des expériences. Quand c’est terminé, ça m’intéresse beaucoup moins. Mais ce qui est cool c’est que c’est jamais vraiment terminé. Ça évolue, au travers du mix, de la scène etc.
LVP : Faire de la musique, tu le vois comme une exploration ?
Nikola : Ouais grave. C’est toujours ça… (silence) En fait, c’est toujours ça, toujours une exploration. Je pense qu’on pense trop au résultat tout le temps et que plus on y pense, plus on s’en éloigne. Quand on pense au processus et qu’on lui fait confiance, on arrive à un résultat qui est trop cool et surtout fidèle à la philosophie du processus.
LVP : Cette démarche est-elle aussi évidente dans un second projet ?
Nikola : Oui, parce que je pense que pour moi, la musique, c’est à la fois une passion, un truc qui me rend heureux tous les jours. Mais c’est aussi beaucoup un prétexte pour vivre des trucs, rencontrer des gens, voyager, avoir des expériences qui ne sont pas communes, qui sont propres à ce taf-là. Et pour le coup, je me lance des défis dans le processus.
LVP : C’est-à-dire ?
Quand j’étais petit par exemple, je faisais de la musique tout seul chez moi. Je n’avais pas de potes qui faisaient du son. Le jour où j’ai eu seize ans, j’ai monté une espèce d’association d’art à Besançon, où j’ai grandi. Non pas parce que je voulais faire une activité culturelle, mais simplement parce que je voulais me faire des potes qui partagent les mêmes passions que moi, ou qui ont la même sensibilité. À mes yeux la musique c’est vraiment ça. En plus d’une grande passion, c’est vraiment un prétexte à la rencontre, à la découverte, un prétexte pour vivre des choses.
LVP : Presque des défis constants finalement…
Nikola : Oui mais pas un défi de résultats. Il s’agit vraiment de défis dans le processus. Je me demande jamais à quoi je veux que ressemble ma musique. Je me demande toujours à quoi je veux que ma vie ressemble et où est-ce que je veux que ma musique m’emmène.
LVP : Cette philosophie-là, cette spontanéité et ce côté organique, on le ressent aussi dans ce que tu gardes des enregistrements ; les rires, les souffles, les raclements de gorge…
Nikola : Je garde tout (rires).
LVP : Dans ce projet, tu gardes toute la singularité de ton premier EP, et pourtant il y a de nouvelles couleurs, rythmiques, des fusions de genre aussi qui en ressortent. Quelles étaient tes intentions avec ce projet ?
Nikola : J’avais envie de rendre hommage à la musique que j’ai écouté pendant mon enfance, en explorant toujours, et en étant dans le respect du propos. J’ai voulu trouver la musique qui matchait avec ce que j’avais envie de dire. Une fois que je savais de quoi le texte parlait, la question était de savoir avec quel habit il allait au mieux transmettre tout ce qu’il a à dire.
LVP : La mélodie, elle intervient plutôt après ?
Nikola : Non, non, ça dépend. Mais le texte arrive toujours en premier, parfois sur de la musique, parfois en musique. Et ensuite tout change. Madame était initialement un piano-voix et finalement, ça m’évoquait un amour adolescent. Alors la question est devenue : qu’est-ce que m’évoque ce truc-là musicalement ? La réponse était les BB Brunes, alors j’allais à fond là-dedans musicalement.
LVP : En parlant de titre précis, je voulais faire un focus sur un de tes titres : Winston Bleu et avoir ton regard dessus. Ce morceau conclut l’album avec une architecture étonnante et une sonorité rock. Il fait des rappels au début de l’album également, a-t-il une signification particulière dans la construction de l’EP ?
Nikola : Alors, c’est la clôture de ce chapitre sur l’enfance qui fait deux disques. J’ai fait plein d’explorations sur ce disque et je dirais que c’était la clôture de ces explorations. Il s’est imposé tout seul dans cette direction-là. Il y a eu ce jour où j’ai voulu refaire de la musique comme je faisais quand j’avais quinze ans.
LVP : C’est-à-dire ?
Nikola : Mes premiers sons, ils étaient chéper, ils partaient dans tous les sens, duraient huit minutes avec des boucles continues, sans tempo. Je posais une guitare ou des cordes qui d’un coup se transformaient en grosse basse sans raisons. Je ne me posais pas du tout la question. Le jour où j’ai écrit Winston Bleu, je ne me suis pas du tout posé de questions. Tout s’est imposé tout seul et à la fin, tout prenait sens et était hyper logique. J’ai fait ce morceau de cette manière, en parlant de ça, sans savoir que je voulais aborder ce sujet de cette façon. Maintenant avec du recul et si je t’en parle aujourd’hui, je pense que j’ai voulu inconsciemment faire de la musique comme quand j’avais quinze ans et raconter ce truc-là, de prendre la cigarette comme un artefact, un peu de l’enfance bizarrement, de l’adolescence. Ce moment où tu fumes pour avoir l’air adulte et en fait, quand t’es adulte, tu te dis que c’est vraiment un truc de blaireau. La clope me paraît bien représenter le paradoxe de l’enfance et du passage à l’âge adulte.
LVP : Oui c’est une bonne image du paradoxe liberté/enfermement aussi, tu évoques d’ailleurs beaucoup la liberté, ou du moins le sentiment de liberté, dans quoi tu penses la tirer ?
Nikola : C’est une vaste question. La liberté, c’est vraiment pour moi le fait de pouvoir se comprendre et de pouvoir avoir un champ d’action pour se mettre dans les conditions qui sont les bonnes pour nous. C’est très dur comme truc…
LVP : Tu la lies particulièrement à l’enfance ou pas vraiment ?
Nikola : Non, je ne crois pas que j’étais plus libre enfant. Je ne crois pas du tout même. J’avais beaucoup moins d’outils pour comprendre la vie, me comprendre moi. À mes yeux, la liberté, le bonheur, c’est le même mot. Je pense avoir été moins libre gosse parce que la société essaie de te vendre une définition du bonheur et de la liberté qui n’est pas forcément la nôtre. Et puis même en trouvant nos définitions, ça reste évolutif. J’ai l’impression que si la vie était un jeu, le but serait de faire sauter tous les verrous qui t’empêchent d’accéder à ce sentiment de liberté. Pour moi, je la tire dans la musique. Je me sens libre quand je fais de la musique et je comprends quand je fais de la musique ce qui me rend heureux. Ça revient à ce prétexte, de vivre des trucs.
LVP : C’est rare un artiste qui considère la musique comme un espace de vraie liberté.
Nikola : Déjà de manière très terre à terre, je ne vais pas au taf le matin.
LVP : Ou t’es au taf tout le temps…
Nikola : Oui mais je suis au taf quand je veux et comme je veux. C’est hyper néolibéral de prôner la liberté alors que t’es tout le temps entrain de bosser, et c’est vrai, je bosse comme un ouf, mais si demain je ne veux pas, je ne le fais pas. Je le fais parce que ça me rend heureux. Ça me permet de me mettre en danger aussi. Suffisamment pour savoir que la vraie liberté, ce n’est pas d’avoir plus de réponses à mes besoins, c’est d’avoir moins de besoins. Effectivement, faire de la musique c’est compliqué, économiquement notamment, donc ça m’a permis de me poser ce genre de questions et de les adapter à ma vie parce que c’est totalement lié. Il y a vraiment ce truc où à cause de la musique, j’ai fait plein de sacrifices. Et du coup, j’ai énormément baissé mes besoins dans la vie, ce qui me permet aujourd’hui de me sentir beaucoup plus libre, notamment maintenant que ça remonte un petit peu…
LVP : Il est aussi question de se laisser le choix ?
Nikola : Oui, tout est possible, je me le dis toujours. Et je me laisse aussi la liberté de ne pas être emprisonné. Le jour où ça ne me rend plus heureux, j’arrête, je fais autre chose et ce n’est pas grave ! C’est cool, tant mieux, je vais découvrir autre chose.
LVP : La pochette de l’album reste dans une continuité esthétique du premier EP tout en mettant parfaitement en image cet aspect de détachement par le dédoublement, comment tu l’as réfléchi ?
Nikola : Je l’ai pas du tout réfléchi (rires). C’est un peu le miroir de ce que je te disais avant.
LVP : C’était spontané ?
Nikola : Oui, la pochette, c’était vraiment un moment. En fait, j’adore cette satisfaction incroyable de faire un truc sans y réfléchir et de se dire que c’est exactement ce que je voulais et que je n’aurais pas pu le faire mieux. Ça fait partie des choses que j’adore.
Pour la cover du premier EP, j’ai rencontré ce photographe, Dario. On est devenu hyper potes. Il m’a proposé d’aller sur son toit, on a fait une photo, on a fait une photo, et c’était la bonne. Pour la photo du deuxième EP, on s’est dit que ça serait marrant de retourner sur le même toit, un an après. On y est donc retourné, on a fait cette photo, et c’était la bonne. Il y avait ce truc de dédoublement dont tu parles, c’était complètement ça, alors que c’est vraiment juste une photo un peu « erreur » de base. Sur les clips c’est pareil, c’est genre, « prends ta caméra et on part là-bas ».
LVP : La signification du moment…
Nikola : Oui, et j’ai l’impression que si moi je suis en train de vraiment prendre du plaisir, ça va se ressentir. Ça ne m’intéresse pas de conceptualiser dans l’anticipation d’un rendu. Bien sûr, je conceptualise tout le temps, mais j’essaie de conceptualiser à partir d’une matière qui existe déjà et qui s’est imposée toute seule. Imaginer tout un plan sur des années ne m’intéresse pas, je fais de la musique pour vivre des moments et me laisser porter par la vie.
Et j’en profite pour partir toujours plus loin de chez moi. J’ai vraiment le sentiment qu’on ne se rencontre que loin de chez soi. Que c’est en partant qu’on capte des choses en soi, sans être submergé par des identités qui nous sont renvoyées. Ce que tu vis, ne serait-ce qu’en passant une semaine chez tes potes, change la perception de chez toi quand tu reviens, ça la nourrit. En partant de chez toi, tu détermines en quelque sorte quelle est la part de toi et quelle est la part du reste. Nous sommes tous hypersensibles aux gens qui nous entourent, à notre environnement. Je pense que changer ce qui nous entoure permet de mieux comprendre qui on est.
LVP : Les dates, les tournées, ça te permet de toucher à cette ambition ? Tu arrives à prendre le temps ?
Nikola : Oui, et juste le fait de me dire qu’au réveil, je suis dans une autre ville qu’hier, je trouve ça génial. Et prendre le temps, oui, parce que je fais aussi ce métier pour ça. Pour voir autre chose et avoir l’impression que j’utilise chaque seconde de mon existence. De la meilleure manière selon moi.
LVP : Justement, en parlant des scènes, tu as des morceaux très orchestraux, tes formations sur scènes resteront du clavier/batterie ou tu en travailles plusieurs ?
Nikola : Plusieurs, je continue à faire pas mal de piano-voix aussi.
LVP : Tu as des dates qui arrivent ?
Nikola : À partir de juin j’ai quelques festivals, il y a pas mal de dates à partir de cet été et la Maroquinerie en novembre.
LVP : Top, pour conclure ce moment, je me demandais s’il y a des artistes, designers, architectes, des films ou des lectures qui t’ont inspiré ou pris une place importante pour toi pendant la construction de l’EP ?
Nikola : De l’EP directement non mais ma construction pendant cette période oui carrément ! Il y a beaucoup d’objets culturels du Monténégro qui m’ont inspirés. Les deux premiers films auxquels je pense sont Underground et Le Temps des Gitans d’Emir Kusturica. C’est incroyable et les B.O. de ces films sont de Goran Bregović, elles sont exceptionnelles.
Amoureuse de la nostalgie heureuse des morceaux de Joe Dassin, je n’ai rien d’autre à confesser.