Nilüfer Yanya nous raconte son envolée vulnérable et maîtrisée sur PAINLESS
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
17/03/2022

Nilüfer Yanya nous raconte son envolée vulnérable et maîtrisée sur PAINLESS

Si son premier album Miss Universe la propulsait à la tête d’un genre pop-rock niche à la croisée des genres trip-hop et jazzy, la Britannique Nilüfer Yanya revient avec un disque qui lui ressemble davantage. Et qui nous ressemble aussi, quelque part. Entre spontanéité et sentiments universels, la chanteuse se dévoile plus accessible que jamais, sans pour autant perdre une once de sa maestria de la mélodie et de sa textuelle lisible. Un disque truffé de grands moments d’effusion et de petits instants de minutie vulnérable, tout en prenant soin de faire dialoguer les deux avec une finesse indiscutable. 

Avec Nilüfer Yanya, tout semble couler de source. Nos comparses anglophones diraient “effortless”, on préfèrera parler de clairvoyance artistique. Sans jamais devoir basculer dans la surenchère, elle construit des univers convaincants et efficaces à partir d’éléments simples. Un concept visuel articulé autour d’une métropole imaginaire aux teintes de gris bétonné, une touche de fantaisie personnifiée par des volatiles rosés et un attachement au minimalisme.

Pour cet album, je suis partie de rien. Je n’avais pas envie d’être influencée par un concept ou une histoire. Je voulais que les morceaux se révèlent d’eux-mêmes.

Less is more sur cet album, et chaque instant semble confirmer que la musicienne n’a usé que du juste nécessaire pour transmettre ses morceaux. Voire d’en dénuder certains de tout habillage percussif, pour en retirer des pépites comme shameless ou company, ses “sérénades mélancoliques” comme elle les appelle. Mais c’est finalement quand elle affine son jeu de guitares post-punk et son goût pour les structures crescendo et effervescentes qu’elle nous émeut. belong with you et stabilise véhiculent ainsi un potentiel vulnérable et à vif imparable, en contant les déboires de la vie dans tout ce qu’elle a de misérable et solitaire sur fond de rythmes alertes et incendiaires.

En faisant coexister les deux ambiances, Nilüfer Yanya signe un disque complet, parcimonieux et crédible qui raconte sa vie de jeune adulte sans tomber dans le piège du pathos surenchéri ou du cynisme surfait. Et pour mieux comprendre comment s’effectue un tel tour de force, elle nous a délivré quelques bribes de son procédé de création, tout en nous parlant de la symbolique de la “douleur” dans le monde artistique et de son semi-divorce cathartique avec la guitare.


La Vague Parallèle : L’album s’appelle PAINLESS (“indolore”), mais en écoutant les morceaux on se rend compte que tu n’as jamais été aussi vulnérable et intime. C’était vraiment si indolore que ça de créer cet album ?

Nilüfer Yanya : Quand j’ai enregistré l’album, le procédé était vraiment indolore : tout s’est déroulé harmonieusement, sans couture, je produisais et composais ma musique dans la joie et la bonne humeur, en restant inspirée tout du long. Et c’est ce que devrait être la musique la plupart du temps. Mais, au même moment, je ne peux m’empêcher de penser à l’année qui a précédé l’enregistrement de l’album. C’était une période compliquée, j’étais perdue et je n’arrivais pas forcément à écrire grand chose. Et les deux périodes ont nourri cet album. Je ne pense pas que j’aurais été capable de parler de cette sensation indolore si je n’avais pas expérimenté la douleur avant. Je remarque qu’on dit souvent qu’on souhaite une vie indolore, sans douleur, sans soucis. Sauf que c’est inévitable, et qu’il faut savoir s’en nourrir.

LVP : Tu pourrais faire de la musique et raconter les mêmes choses si tu n’avais pas cette peine en toi ? 

Nilüfer Yanya : J’imagine que non. Mais d’un autre côté, quand tu es vraiment en train d’expérimenter cette peine, que tu es dans la tourmente, tu ne peux rien créer, tu ne peux pas faire grand chose. Et il y a tout ce mythe qui dit que les artistes doivent souffrir pour faire de l’art et de la musique qui soient vraies. Sauf que c’est un peu court-circuité de penser comme ça. La musique ne naît pas seulement des endroits tristes. J’ai galéré et j’en ai écrit des chansons, mais j’ai eu besoin d’être dans un climat plus agréable et sécuritaire pour pouvoir donner vie à ces morceaux.

LVP : Comment la musique que tu crées en studio affecte-t-elle ta vie en dehors du studio ?

Nilüfer Yanya : Parfois, j’écris des choses et elles se produisent dans la vraie vie. Mais je ne sais pas dire si c’est parce que j’ai envie qu’elles se produisent ou non. Cela me fait questionner le pouvoir du subconscient : est-il plus malin que nous le sommes ? Pour l’instant, j’ai du mal à séparer ma vie de ma musique, et j’ai du mal à dire qui influence l’autre.

LVP : C’est peut-être mieux comme ça ?

Nilüfer Yanya : Exactement ! (rires)

 

LVP : Ton premier opus Miss Universe état très conceptuel, avec de nombreux interludes qui servaient de liant entre les morceaux mais aussi pour construire une narration bien précise. Sur PAINLESS, tu laisses totalement tomber cela pour miser sur un disque plus spontané. C’était libérateur ?

Nilüfer Yanya : Sur mon premier album, j’ai un peu forcé le concept. C’était amusant de le faire, mais je crois également que je l’ai fait parce que je me sentais encore incertaine par rapport à comment les morceaux s’agençaient entre eux, comment ils co-existaient. J’avais peur que cela sonne trop random, trop méli-mélo. Du coup, je dis souvent que ce n’est pas un vrai album concept, car je n’avais pas de concept à la base, je l’ai rajouté à la fois pour construire une histoire et donner du sens à cet ensemble de titres. Pour PAINLESS, les choses étaient différentes : je suis partie de rien, je n’avais pas envie d’être guidée et biaisée par un concept ou une histoire. Je voulais que les morceaux se révèlent d’eux-mêmes.

LVP : Et maintenant, avec le recul, quelle est l’histoire que raconte PAINLESS ?

Nilüfer Yanya : Forcément, j’ai ma propre interprétation des choses. Mais, tu sais quoi ? Je préfère ne pas répondre, parce que je veux laisser les sons s’exprimer eux-mêmes et parvenir aux auditeurs. Quand j’ai fait l’album concept la dernière fois, les gens venaient me voir en étant persuadés d’avoir compris toute la complexité de ce que je voulais transmettre : “Du coup, l’album parle d’anxiété !” Alors que pas vraiment , en réalité. (rires)

LVP : Tu as laissé beaucoup de place à des rythmes plus doux et calmes sur cet album. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Nilüfer Yanya : C’est vrai qu’il y a vraiment deux types de morceaux bien distincts sur cet album, entre upbeat et lents. Mais je crois que dans le fond c’est toujours le même genre de morceaux, j’ai simplement décidé de ne pas rajouter certains éléments à certains d’entre eux et ça leur donne cette allure de sérénade mélancolique un peu brouillonne, avec cette impression qu’on pourrait leur rajouter des choses par dessus. Et je trouvais ça intéressant de leur laisser cet effet de morceau inachevé. C’est un procédé qui laisse transparaître beaucoup de vulnérabilité, alors qu’avant je n’aurais jamais été capable de le faire. J’aurais eu tendance à couvrir ma voix et mes paroles sous des arrangements de guitare et des percussions. Ici, tout est ouvert, tout est à nu.

LVP : Tu as décidé d’ouvrir ce nouvel album avec stabilise comme lead single. C’est son mood sonore ou bien le sujet du titre qui t’a donné envie de le dévoiler en premier ?

Nilüfer Yanya : J’aimais le mood drum’n’bass du morceau, je trouvais que c’était une bonne énergie pour faire un comeback. Mais en contraste avec ces rythmes uplifting, les paroles sont assez sombres et tristes et cet aspect aigre-doux annonçait assez fidèlement l’ensemble de ce que l’on retrouve sur le reste de l’album. C’est aussi le morceau qui couvre le mieux les éléments que j’ai utilisés pour construire l’univers autour de cet album : la ville grise, le paysage urbain, le côté metropolis.

LVP : Tu es aussi bonne guitariste que autrice-compositrice. Sur cet album, laquelle des deux facettes a été la plus aiguisée ? 

Nilüfer Yanya : La facette autrice-compositrice, sans hésiter. Contrairement au premier album, je ne joue pas beaucoup de guitare sur PAINLESS. J’ai composé tous les morceaux avec Wilma Archer, avec qui j’avais déjà collaboré sur le premier album. Je lui ai laissé gérer les arrangements de guitare, et ça m’a donné l’occasion de me concentrer sur l’écriture et les mélodies. Et c’était très déstabilisant au début car la guitare fait partie intégrante de mon identité artistique. Je ne pouvais pas m’empêcher de me dire : “Si je ne suis pas derrière la guitare, alors je ne fais pas mon travail. Je suis une fraude, je suis une menteuse.” Alors qu’en fait, non. J’ai appris à faire confiance à Wilma et ça m’a apporté tellement de choses de laisser ma guitare de côté.

LVP : Ta guitare t’excusera certainement.

Nilüfer Yanya : (rires) Je l’espère !

 

LVP : En tant qu’artiste, c’est souvent compliqué de mettre le doigt sur son “son”, son identité sonore. Maintenant que tu en es à ton second long format, tu dirais que tu as trouvé ce “son Nilüfer Yanya” ?

Nilüfer Yanya : Je pense en tout cas que j’ai mieux cerné mon identité sonore actuelle sur cet album. Au niveau des sonorités, tout est plus clair et cohérent. Mais je m’interdis de rester figée dans cette identité sonore : j’ai trouvé le son que je voulais produire aujourd’hui, c’est très bien. Mais je reste ouverte aux nouvelles textures sonores que je vais découvrir dans le futur et qui définiront la musique que je vais proposer demain. Tout restera sans doute connecté, le côté grungy-guitares-nineties est quelque chose qui ne disparaîtra jamais vraiment, mais je vais m’autoriser de superposer toute sorte de choses sur cette base sonore.

LVP : Disons que c’est la fin du monde (on ne s’éloigne pas trop de la réalité), et tu dois laisser un morceau de l’album derrière toi pour le léguer à la génération qui survivra, tu choisirais lequel ?

Nilüfer Yanya : L/R, c’est le son parfait pour la fin du monde. C’est vraiment un titre qui parle de choses simples, de façon simple : l’importance de faire des choses qu’on aime, d’aller au soleil si on a besoin de soleil. “Take me out to the beach/Takin’ off all your clothes/Whatever makes you happy” Dans un climat apocalyptique, ce serait certainement la meilleure chose à laisser derrière soi : le plaisir de faire des choses qui nous rendent heureux.


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