Nobody’s Home : Bakar ose l’obscurité pour exprimer sa lumière
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
03/03/2022

Nobody’s Home : Bakar ose l’obscurité pour exprimer sa lumière

Après un premier essai juvénile en 2018 et un succès fulgurant suite à son tube Hell N Back l’année d’après, Bakar nous présente aujourd’hui l’album qui va le rendre mémorable : Nobody’s Home. De l’imagerie autour du disque jusqu’aux mélodies de plusieurs de ses morceaux, le second long-format du Britannique exploite une matière morose et sombre tout en regorgeant d’espoir et d’ouverture.

C’est à un drôle de jeu d’équilibriste que s’est essayé le visionnaire chanteur de Camden Town. Mais le dosage est respecté : si la mélancolie de Not From Here et la fureur de NW3 (taillé pour la fanbase d’un King Krule) nous marquent dès la première écoute, c’est surtout l’optimisme du propos de Bakar qui nous suit à la sortie du disque. La poésie de son discours réside dans cette résilience à toute épreuve : face au racisme, à l’abandon de son père, à ses propres démons, Bakar a trouvé sa voie et nous raconte comment ça se passe après le cyclone.

Abubakar Baker Shariff-Farr (de son vrai nom) est un pur produit de la génération millennial, de celle qui a témoigné de ce pivot pop-rock où les riffs de guitare et les lyrics claquants ont réellement tutoyé les structures accrocheuses de la pop avec des figures comme Avril Lavigne ou Blink-182. Et si la comparaison semble être bien trop réductrice, on peut déceler la même logique dans la musique de Bakar : jamais de la pop n’aura aussi bien sonné rock, ou est-ce l’inverse ? Un disque de plus qui s’inscrit dans la veine d’un Dominic Fike ou, plus récemment, d’une spill tab, et qui prouve que la notion de “genres musicaux” n’est plus qu’une futilité pour structurer nos plateformes de streaming.

 

L’une des tracks du projet s’intitule Gotham, comme une façon pour lui de nous planter le décor de l’album entier : une sorte de cité obscure au cœur de laquelle des justicier·ères à cape combattent le vice, en quête d’apaisement. Bakar est le Batman du récit, combat des démons multiples, mais pour la plupart identitaires, et s’accompagne, pour se faire, de quelques allié·es sur les vocals – Celeste sur l’intense GothamMaverick Sabre sur l’exaltant Reclaim! et Rosie Lowe sur l’entêtant Youthenesia. Une brigade menée par les productions léchées de Zach Nahome (à l’œuvre pour Biig Piig ou PinkPantheress) mais également sur la maestria électronique de SebastiAn qui infuse à The Mission une vibe dansante faite de synthétiseurs gras et généreux.

On retrouve deux guitare-voix aux percussions légères en guise d’intro et d’outro : Noun et Build Me a Way semblent se répondre. S’il affirme sur le premier s’être perdu et retrouvé (Still teethin’, don’t recognize the feelin’ like a child/I been lost and found) il demande sur le second un endroit, un refuge au sein duquel se loger pour s’en remettre (I’m on my way, so build me a way home). De l’ordre de l’intime, les confessions qu’il nous offre sur Nobody’s Home s’apparentent à des chroniques d’évolution, dont la plupart touchent à l’identité ou à la politisation. Bakar exprime sa volonté de s’affirmer en dehors des biais discriminants de nos sociétés ou des démons de son passé. Qu’il s’agisse de résilience spirituelle avec l’épiphanique Riot, d’élan d’empouvoirement avec le saisissant Free ou encore de ballade percussive avec Runaway, le message est délivré avec efficacité.

Are you still a slave?
Are you scared to count what you really made?
Half a milli’ made and I’m still a slave, like really, mate?
Am I really brave? I must be insane

Avec ses textes creusés, politisés, personnels et poétiques, Bakar fait scintiller son deuxième album d’une honnêteté et d’une transparence touchantes. Musicalement, Nobody’s Home ne révolutionne pas grand chose mais sublime une mouvance de genre-bending amorcée par beaucoup mais rarement aussi bien exécutée que sur ces quatorze titres qui brouillent délicieusement le prisme du genre musical. Un disque qui sonne juste tant pour ses mélodies que pour les messages émancipateurs qu’il transmet.


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