Noga Erez au Botanique : championne toute catégorie
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
07/06/2022

Noga Erez au Botanique : championne toute catégorie

| Photos : Giulia Simonetti pour La Vague Parallèle

On vous parle partout de genre-bending, cette capacité à transcender les genres pour offrir une musique plurielle, sans véritable marqueur rigide mais plutôt inspirée d’une variété de textures et d’éléments. Peu arrivent à assurer la prouesse autant en audio que sur scène, mais la sensation israélienne Noga Erez nous a prouvé qu’elle était clairement dans ces rangs-là. Retour sur une folle soirée à l’Orangerie qui aura vibré au tempo de cette championne toute catégorie. 

Tout commence avec Magi Merlin, cantatrice montréalaise qui s’essaie elle aussi à la pratique du mélange de genres musicaux. De quoi introduire la soirée avec un message clair : ce soir, pas de cases. Le public présent le reflète d’ailleurs assez bien. Une variété de profils se fondent dans la fosse de la grande salle du Botanique, guidés par une affiche qui n’annonce pas tant une couleur musicale, mais plutôt une philosophie créative débordante et une énergie qu’il fallait venir vérifier par soi-même pour y croire.

Magi Merlin, signée chez Bonsound, sortait un jour plus tôt son EP Gone Girl. Un excellent objet aux multiples textures qu’elle s’est donc fait un plaisir d’interpréter pour l’audience belge, réceptive et engagée. Les titres voguaient d’une trap grasse vilipendante sur Free Grillz à une funk lascive et langoureuse sur Milkweed avant d’emporter la foule sur des rythmes clubby plus pop (pas loin de ce qu’un Kaytranada propose) avec des bangers comme Children of Fate ou Pissed Black Girl. Un set efficace, une prestance scénique qui promet de jolies choses pour la suite, et une synchronie parfaite avec son bassiste qui rendent l’ensemble agréable autant à l’oreille qu’aux rétines. À suivre de près.

Photo | Magi Merlin par Giulia Simonetti

Quand arrive la tête d’affiche de la soirée, la salle est déjà à sa merci. C’est un vrai bonheur de retrouver les foules dévouées du Botanique, et celle-ci témoignait d’un véritable respect pour Noga Erez, qui le leur a rendu mille fois. Elle commence fort : son tube You So Done (dont le clip nous avait totalement renversé·es) amorce la soirée dans un esprit déstructuré délicieux et rythmé par des refrains semi-cauchemardesques semi-jubilatoires qui ont éveillé nos sens dès les premiers instants. D’entrée de jeu, Erez nous dégaine une gestuelle absolument fascinante, une espèce de femme-pantin étirable à l’infini capable d’assurer un show scénique de haut vol.

On pense à cette notion de no-skipper, ces albums qui glissent tout seul dans les oreilles, où rien n’est vraiment à jeter. Le set de Noga Erez se construit comme ça. Les tubes s’enchaînent, les rythmes efficaces et engageants également. L’entêtant End Of The Road, l’esprit circassien de l’imparable Cipi ou encore son tube électro de 2017 Off The Radar : la pluralité artistique de la chanteuse est en ébullition et ne laisse aucun temps mort au spectacle.

Photo | Noga Erez par Giulia Simonetti

Sa corporalité scénique, entre assurance charismatique et élasticité infatigable, nous rappelle autant une M.I.A. qu’une Billie Eilish. C’est que Noga Erez est une enfant intemporelle, puisant dans des ères musicales différentes pour composer son propre projet. On aimera l’esprit rétro de son interprétation de Story et VIEWS, ses deux featurings avec son acolyte et producteur RoussoLui, discret et plutôt chill à l’arrière (bob vissé sur la tête et lunettes de soleil de crooner sur le nez), infuse aux deux titres une couche vintage délicieuse et catchy. On aimera aussi les détours plus pop de sa setlist, à l’instar de cette reprise d’Industry Baby de Lil Nas X qui offrira une respiration à la performance.

Elle n’a pas peur des transitions tranchantes, enchaînant aussi bien les tubes pops qu’une parenthèse rappée bluffante : le Black Friday de Kendrick Lamar interprété avec une justesse captivante. Sur ce morceau, elle balance un flow incisif et une versatilité sans borne, les mots de Lamar résonnant plus fort que jamais une fois déblatérés de la sorte, avec une diligence performative honorable. Autre décalage audacieux : le fiévreux Dance While You Shoot, hybride électronico-pop-expérimental (pensez SOPHIE) qui aura fait se tordre le public de façon délicieusement irrégulière.

Photo | Noga Erez par Giulia Simonetti

Aussi, Noga Erez est une artiste du partage. Si les interactions avec la foule deviennent rares dans un monde de performance chronométrée, millimétrée et souvent distanciée, il n’en est rien ce soir. L’artiste exprime sa gratitude face aux visages tout sourire venus la voir ce soir, et n’hésite pas à les inclure dans son moment. Invité à clapper en rythme sur Knockout ou à hurler “We swallow” (littéralement “on avale”) pendant le très revendicateur Spit, le public du soir a eu la chance de sentir le quatrième mur se fissurer devant lui pour transformer l’Orangerie en une scène collective. Le clou du spectacle sera d’ailleurs son Switch Me Off, pendant lequel elle aura fait s’asseoir au sol les 600 personnes face à elle pour un moment suspendu, mais pas forcément mélancolique. La raison de cette demande : une expérience sonore hors du temps, une façon de mieux ressentir les basses intenses du refrain. Un vrai moment suspendu, exemple de toute l’imagination d’une des artistes les plus excitantes de sa génération.


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