I Photo : Linus Johnson
Here in the Pitch, le quatrième album de l’artiste pop-folk Jessica Pratt s’impose comme la soundtrack d’une journée pluvieuse d’été, idéal pour se rêver flânant dans des rues qui sentent l’asphalte et la sérénité.
Contrairement à la croyance populaire, on ne pense pas que les chansons de l’été devraient se résumer à une ambiance playa-ibiza-tourista. Si l’occasionnel I met you in the summer trouve sa place lors d’une partie de volley en short fluo – et on ne crache pas dessus – (emphase sur “occasionnel”), l’été est trop souvent bafoué à se voir invariablement résumé à une suite de beats acidulés. Cette année – on le voit venir gros comme une balle de volley dans la tronche -, c’est Espresso de l’auto-proclamée reine des bains et du vin rouge, Sabrina Carpenter, qui prendra d’assaut toutes les stations services et bars de plage pour être rapidement oublié à la rentrée. Alors, en prévision de la saison à venir, laissez-nous vous présenter notre vision de l’été plus nuancée, celle qui voit aussi la langueur estivale et le ciel lourd gris et chaud du mois d’août et l’après-midi enfermée dans le noir pour cause d’insolation. Laissez-nous surtout vous présenter notre soundtrack de cet été-là, à savoir Here in the Pitch, le formidable dernier album de l’américaine Jessica Pratt.
Gracieusement offert à nos oreilles le 3 mai dernier, Here in the Pitch est le quatrième opus pop-folk de l’artiste résidant à Los Angeles. Et sa musique est empreinte de la ville de Californie. Cheveux blonds platine et yeux nuit noir, Jessica Pratt semble l’arpenter tantôt comme une jeune Eve Babtiz déambulant dans le quartier de Los Feliz sur Get Your Head Out, tantôt comme un personnage de Joan Didion broyant du noir dans un motel maussade en bordure de désert sur Nowhere It Was. “La façon dont sa voix et ses harmonies se poursuivent dans un flot sans fin – la façon dont ses lignes mélodiques se poursuivent, comme de petites rivières séparées – c’est vraiment sauvage“, a dit de la musique de Pratt la chanteuse Angel Olsen. C’est que dans son apparent dépouillement, le style de l’artiste reste inimitable. Le couplet de Get Your Head Out en est une démonstration ; à la façon de Cass Elliot de The Mamas and the papas (elle aussi très Los Angeles-coded), Jessica Pratt y dépose sa voix, pleine d’intention, comme sur un courant, emportée par une mélodie que seule elle semble saisir.
Une savante maîtrise que l’artiste déployait déjà sur son second album, On Your Own Love Again, sorti en 2015. Une oeuvre musicale sans pareille où l’on trouve notamment Jacquelyn in the Background, morceau dont la guitare – à cordes en nylon, signature de Pratt – paraît se désaccorder dans d’improbables sonorités qui tapissent sa voix fluette. Sans parler de Back, Baby, titre qui nous a fait aimer l’artiste et qui continue encore à s’imposer comme un amas d’harmonies suaves frôlant le divin. Là encore, on voit l’été brumeux. Dans Here in the Pitch, la voix de Jessica Pratt se fait presque nasillarde sur Better Hate, tandis que sa guitare effleure la mélancolie sur un titre instrumental comme Glances. Elle ne manque pourtant pas d’ouvrir ce quatrième album sur une pointe d’optimisme prudent avec Life Is. La musicienne superpose ensuite des airs de bossa nova à des bruits de caillasses qui s’entrechoquent sur By Hook or by Crook à la façon d’une Astrud Gilberto lasse qui ne sait pas trop si elle veut nous faire danser ou pleurer. Nous on est pas contre faire les deux en même temps.
Dans toute sa langueur discrète, Jessica Pratt ne nous donne en fait jamais ce que l’on veut, mais toujours ce dont on a besoin *wink wink*. Sur World on a String, l’artiste maintient sa voix et son audience dans un délicat malaise mélodique, jamais tout à fait résolu et nous en console sur Empires Never Know et son piano rêveur. Et alors que Taylor Swift brandit des albums à 31 morceaux (no shade promis), Pratt préfère la frugalité de neuf morceaux modelés trois ans durant. Et alors que d’autres encore font monter la sauce sur une compile summer hits pour retomber comme un soufflé après trois malheureux beats, Jessica Pratt et ses vaporeuses mélodies nous tiennent dans le creux de leur main toute la belle saison durant. La musicienne se produira le 3 juin prochain à l’Ancienne Belgique, en guise de before au solstice d’été.
Imagine Mercredi Adams qui écoute Abba très fort dans son bain.