| Photos : Hugo Payen pour La Vague Parallèle
Alors que son premier album à paraître ce 14 mars fait déjà partie de nos coups de coeur de l’année, Bianca Steck enfonce le clou avec la sortie de Dragon’s Eye (pour lequel elle est accompagnée de l’inégalable Hania Rani) et vient mettre un peu de couleur à ce début d’année déjà bien trop long à notre goût. Un nouvel avant-goût d’un album des plus prometteurs pour l’auteure-compositrice, avec qui on a eu la chance de discuter.
Fin novembre, les derniers rayons de soleil de l’année envahissent les allées du Jardin Botanique. La morosité des mois à suivre n’est encore qu’un mirage. Quelques minutes de douceur, où la quiétude du parc résonne à merveille avec l’univers honnête et palpitant de l’auteure-compositrice que nous sommes venu·es rencontrer.
La Vague Parallèle : Deux années se sont écoulées depuis la sortie de A Site For My Mind. Comment tu vas ? Qu’est ce que ça fait de revenir avec plein de nouvelles histoires à raconter ?
Bianca : Écoute, c’est une super sensation ! J’en avais vraiment besoin. C’est toujours un sentiment bizarre, cette idée de « nouvelle musique ». Pour moi, toutes ces histoires dont tu parles sont loin d’être neuves (rires). Ce timing de création musicale est vraiment singulier. Tu écris quelque chose qui sort pas mal de temps plus tard et qui pourtant, te donne un sentiment de nouveauté et de fraicheur. Je suis contente du temps qu’on a pris ces dernières années d’ailleurs. Pour une fois, je voulais prendre mon temps. J’aurais pu sortir quelque chose avant aujourd’hui mais je ne sais pas…je ne le sentais pas. Travailler sur un premier album, c’est quelque chose. On a qu’un seul premier album. C’était super important pour moi de ne rien bâcler, de faire les choses aussi naturellement et calmement que possible. C’était long mais en même temps tellement organique comme manière de travailler.
LVP : En 2019, tu nous dévoiles ton univers avec Voices & Noises. Un premier morceau qui lance l’aventure musicale de Bianca Steck.
Bianca : C’est une histoire que j’ai commencée en rentrant de deux ans passés en Norvège. J’étais de retour à Barcelone et j’ai commencé à réfléchir sur les choses qui me rendaient heureuse. J’écrivais depuis quelques années déjà. Puis d’un coup, je me suis dit « pourquoi pas pousser la chose encore plus loin »… C’est à ce moment-là que j’ai loué un studio pour la première fois ! C’était une expérience quand même innocente : à l’époque, je n’avais aucune projection dans la musique. Ça n’a jamais été mon plan de carrière. Tout s’est passé très naturellement encore une fois, je dirais même que c’était un besoin, presque une nécessité que j’avais au fond de moi.
LVP : Ce que tu ressens quand tu sors un premier morceau, c’est toujours la même chose aujourd’hui avec la sortie de ces nouveaux morceaux ?
Bianca : La différence se trouve dans les connaissances que j’ai pu acquérir au fil du temps en ce qui concerne la création. Rien que sur le point de vue matériel… Au début, je n’y connaissais rien, je n’avais jamais été en studio auparavant ! Puis j’avais pas vraiment de recul ni d’esprit critique face à la musique que j’étais en train de faire. Tout sonnait parfaitement, selon le moi de l’époque (rires). Je dirais que le processus est différent mais que l’essence même du « pourquoi » je fais de la musique, elle est restée intacte.
LVP : On a pu découvrir un premier single, Do I Know Myself At All ?, qui figurera sur ce premier album dont on parlait plus tôt. C’est un morceau que tu as écris en arrivant à Bruxelles. Qu’est ce qu’elle t’inspire cette ville ?
Bianca : Alors là…C’est une longue histoire (rires). En résumé, je venais d’arriver à Bruxelles pour un mois. Déménager sur le long terme à Bruxelles n’a jamais fait partie de mes plans. Originellement, je suis venue ici pour le travail, en tant qu’architecte, pour aider un ami à réaliser une maquette pour un concours. Ce mois en question, c’était il y a plus de deux ans (rires), presque trois. Pendant un mois, je bossais comme une acharnée. J’ai rien pu voir de la ville finalement. On était enfermé·e toute la journée, je pense qu’on a dû sortir trois fois pour manger en tout. Après ça, je suis rentrée en Espagne parce que j’avais pas mal de concerts.
De base, j’étais censée déménager à Copenhague pour le travail. Puis j’ai réalisé que je n’avais rien vu de Bruxelles ! Et cet ami dont je te parlais venait de lancer son cabinet d’architecture à Bruxelles et m’a proposé de venir y passer encore un peu de temps. En tous cas, pour y passer les fêtes de fin d’année. Sauf que je suis tombée amoureuse de Bruxelles… J’ai refusé l’offre que j’avais à Copenhague et me voilà. J’ai eu beaucoup de chance en arrivant ici ! J’ai rapidement trouvé un chouette endroit où vivre seule et surtout où j’embête personne avec mon planning créatif (rires). Là, j’ai beaucoup de chance parce que je peux vraiment composer comme je l’entends, au moment même que je sens être le meilleur. Finalement, cet endroit qui ne devait m’accueillir que quelques mois est devenu ma nouvelle maison… Que je ne suis pas prête à quitter d’ailleurs vu que je viens de trouver mon job de rêve ici qui est de désigner des studios de musique !
LVP : Sur Do I Know Myself At All ?, tu abordes le fait que tu ne peux pas t’empêcher de te questionner sur les choses qui nous entourent. Que ce soit se questionner soi-même, questionner le monde actuel dans le moindre détail mais aussi la société dans laquelle on vit. Une thématique que l’on retrouve aussi, sous une autre forme, sur Old Fashioned Parade. Ces questions-là sont-elles la colonne vertébrale de ce premier album ?
Bianca : La manière dont la société fonctionne en général m’a beaucoup inspirée et m’inspire encore beaucoup aujourd’hui. Cet album, je l’ai écrit en pleine ville, avec l’effervescence qui en découle. Il y a pas mal de morceaux qui ont été écrits dans des bars ou des cafés. Cet album parle de rencontres quotidiennes et des réflexions qui s’en suivent sur la société actuelle justement. Comment cette société nous affecte nous, à titre individuel par exemple. Comment arrive-t-on à se créer notre propre petit univers dans un monde aussi bordélique. Cet album, je l’ai écrit pour comprendre et appréhender les différentes difficultés de nos quotidiens. Ou en tous cas pour prendre un peu de recul sur l’état du monde aujourd’hui. Si tu n’observes pas le monde qui t’entoure, c’est plus compliqué de le comprendre. Et je suis persuadée qu’on a besoin de discuter, de comprendre aussi toutes ces personnes que l’on rencontre. D’être curieux·se. Je pense que si tu n’es pas un minimum curieux·se dans la vie, que tu ne prends pas le temps d’observer toutes ces choses, tu finis pas te perdre dans tes propres pensées.
LVP : La musique fait partie de ta vie depuis toujours. Tu as 4 ans quand tu te mets derrière un piano pour la première fois. Quelques années plus tard, tu rejoins le conservatoire. Quand on écoute ton catalogue musical, on découvre un équilibre parfait entre cette vision plus classique et en même temps un univers très moderne. Réussir à combiner ces deux éléments, c’est quelque chose qui est venu naturellement ?
Bianca : C’était assez naturel ! Quand j’ai commencé le piano, je me suis concentrée sur la technique. L’importance était de pouvoir jouer vite, d’avoir le doigté le plus rapide et plein d’autres petites choses. Plus tard, lors de mon concert de dernière année, j’ai repris Children’s Corner de Debussy. Ça a été l’élément déclencheur. Ça a changé ma vision de ce que la musique classique représente. Finalement, l’imagerie que procure la musique classique est gigantesque. Au fil du temps, je me suis éloignée du piano. C’est plus compliqué à transporter quand tu voyages (rires). Mais cette base de classique, elle ne me quittera jamais.
LVP : Tu écoutais quoi en grandissant ? Plus de la pop, du classique ou justement ce mélange des deux ?
Bianca : Je me souviens, chez moi, il y a avait de tous les genres ! J’ai eu beaucoup de chance, mes parents sont assez éclectiques. On écoutait quand même pas mal de musique classique mais aussi beaucoup de folk ! De la pop, évidemment, mais aussi du blues, du jazz, du flamenco autant que de musique brésilienne. C’était super enrichissant !
LVP : On va parler de nostalgie. C’est une notion qui fait partie de ton univers musical depuis pas mal de temps maintenant. Pourtant, on a l’impression qu’elle n’a jamais été aussi présente qu’aujourd’hui dans ta musique. Que ce soit à travers tes mots dans Old Fashioned Parade ou dans ton récent Do I Know Myself At All ?. La relation que tu as avec cette nostalgie, tu la décrirais comment ?
Bianca : Je suis très nostalgique… Mais genre, très très nostalgique (rires). Je pense que notre passé et les choses que l’on vit, toutes nos expériences, forgent la personne que l’on est. Chaque chose vécue a un impact sur notre manière d’être, de penser et d’agir. C’est quelque chose de très important pour moi. Je suis super heureuse et chanceuse de toutes les personnes que j’ai pu rencontrer dans ma vie. Peu importe comment, toutes ces personnes ont eu un impact sur la personne que je suis. À ça, tu rajoutes le fait que je suis tout aussi romantique. Par conséquent, j’arrive à garder cette vision assez romantique du passé. Je reste persuadée que chaque petite chose vécue influence à sa manière ma vision du présent.
LVP : Ce premier amour pour la musique classique dont on parlait plus tôt, tu as évidemment voulu l’emmener avec toi en studio pour ce premier album. Un studio dans lequel tu as aussi invité le talentueux compositeur espagnol Nil Ciuró. Je suppose que travailler avec un compositeur tel que lui change aussi la manière dont l’album prend forme ?
Bianca : On l’a entièrement produit ensemble ! Pour ce qui est des morceaux en tant que tels, je les ai écrit seule chez moi, à la guitare ou au piano. Je faisais mes démos avec ce que j’avais sous la main (rires). On les retravaillait dans son studio à Barcelone pour ensuite les enregistrer dans un plus grand studio. C’était important pour moi de travailler avec quelqu’un·e qui avait une certaine connaissance de l’écriture musicale. Chaque instrument, chaque musicien à sa partition ! Sur cet album, il y a pas mal de harpe, de violoncelle, etc… Chacune de leurs notes est écrite. J’avais besoin de travailler avec quelqu’un·e qui peut lire cette écriture-là.
LVP : Quand on écoute les premiers singles de ce futur album, on a l’impression que tout est très organique, très live presque, alors que finalement, tu nous expliques que tout est millimétré et écrit. Comment ça se passe au studio pour faire cohabiter tous ces musicien·nes ?
Bianca : C’est intéressant parce que ça dépend vraiment de chaque instrument ! Pour la harpe et le violoncelle par exemple, ça devait être écrit au préalable car les musicien·es venaient de la tradition classique pure et dure. Puis c’était fou (rires), on s’est rendu compte un jour que la harpiste pouvait aussi faire des harmoniques. Ce que je n’avais jamais vu chez une harpiste ! Je pense qu’elle était en train d’accorder sa harpe puis d’un coup, on s’est regardé avec Nil…On s’est dit « il nous faut ça sur l’album ». C’est ce qui définirait bien le processus d’enregistrement : la restructuration perpétuelle, enlever un élément pour en rajouter un autre. Pour les percussions ou la basse, c’était de l’expérimentation constante ! C’est aussi pour ça que ça donne cette impression d’organicité, parce que le processus en lui-même l’était.
LVP : Sur Do I Know Myself At All ?, tu laisses pas mal de place à la musique avec de belles envolées ou de long solos. On peut par exemple entendre ce beau solo de flugelhorn, qui rajoute un peu plus au côté cinématographique du morceau. Ce qui résonne pas mal avec la manière dont vous avez enregistré l’album en studio. Est-ce que c’est quelque chose que tu as toujours eu en tête, cette notion d’espace, ou est-ce que c’est venu spontanément ?
Bianca : En fait, je suis quelqu’une qui a besoin de temps pour digérer les choses. On vit dans une société où tout va super vite, trop vite. Et ça ne fait que s’accélérer d’ailleurs. En musique, chaque morceau doit rentrer dans une certaine case, avoir un timing bien précis pour pouvoir passer en radio par exemple. J’adore prendre le temps. L’envolée dont tu parles, elle est venue assez naturellement aussi. J’écrivais le morceau à la guitare et je ressentais le besoin que ces cordes montent doucement, ça résonnait encore plus avec l’histoire que je voulais raconter. J’avais besoin de cet espace. Puis je suis une grande fan de flugelhorn, j’avoue (rires). Je savais que c’était l’instrument parfait pour retranscrire ce que je voulais, il a un son tellement spacieux et chaud. Je suis super chanceuse que Konstantin ait accepté de venir en jouer sur l’album. Il fait partie d’un de mes groupes préférés qui s’appelle Conic Rose ! Je lui ai proposé de se joindre à nous parce qu’il a un son à lui et j’adore. Il n’en joue pas comme tout le monde… C’est juste magique. C’était une évidence de faire appel à lui pour ce solo.
LVP : J’aimerais qu’on revienne sur la rapidité des choses dont tu viens de parler et surtout dans l’industrie musicale. Le fait de réfléchir en terme de présence en radio mais aussi de présence sur les réseaux sociaux. La frontière entre artiste et influenceur·se se rétrécit aussi d’une certaine manière. En tant qu’artiste aujourd’hui, est-ce que c’est inévitable de réfléchir comme ça ? Est-ce que cette rapidité et ce besoin de présence numérique impacte ton processus créatif ou au contraire, est-ce que c’est quelque chose dont tu arrives à te détacher ?
Bianca : Je dirais que j’arrive à ne pas y réfléchir pendant le processus créatif en tant que tel, durant l’écriture surtout. Puis après tu retrouves ton téléphone, tu te replonges dans cette rapidité. Puis à un moment, tu arrives à avoir quelques morceaux que tu présentes à un label. C’est là que ça commence, on te demande ce que tu as comme clip pour le single, etc… C’est pour ça que j’essaye de travailler avec des ami·es vidéastes qui ne sont pas dans l’industrie musicale. Des gens super talentueux·se qui voient l’image de la même manière que je vois la musique. La synergie qui s’en dégage est d’autant plus belle parce qu’on fait ces clips non pas parce qu’il faut en faire, mais surtout pour raconter des histoires. Après, ces questionnements là, sur notre présence sur les réseaux sociaux, c’est impossible de ne pas y penser un minimum. Mais pour moi, les réseaux sociaux sont plus un moyen qu’une fin.
LVP : On a parlé de tes influences musicales mais tu es aussi architecte. Tu mélanges deux mondes singuliers aux formes multiples. Est-ce que la manière dont tu perçois l’architecture influence ta musique ?
Bianca : Je pense qu’inévitablement, quand tu travailles avec le son, tu travailles aussi avec l’espace. Je le réalise encore plus aujourd’hui, depuis que je me concentre sur la question de l’acoustique dans un espace. Je ne dirais pas que l’influence entre les deux est directe, mais je pense que l’endroit dans lequel j’écris un morceau par contre, oui. Les odeurs, les proportions, les lumières, … Pour moi, elle est là la relation entre les deux. Écrire un morceau à quatre heure du matin, rideaux fermés quand il fait dix degrés dans la pièce n’aura pas le même impact qu’écrire sous le soleil dans un parc.
LVP : 2025, c’est l’année de quoi pour Bianca Steck ?
Bianca : L’année de l’album déjà (rires), mais aussi une année pleine de concerts ! C’est important pour moi de pouvoir transmettre toute la joie qu’on a eu en studio à un public. De faire perdurer l’expérience et les histoires. Je serai entourée des musicien·nes dont on a parlé aujourd’hui aussi ! J’ai vraiment hâte. Quand tu enregistres un album avec plein de couches et d’instruments, tout se fait séparément souvent. Là, l’idée de pouvoir jouer ces nouveaux morceaux toustes ensemble, de partager cette énergie, c’est quelque chose que j’attends avec impatience.
- 15/05 – AMOR, De Roma (Anvers, Belgique)
- 25/05 – Ancienne Belgique (Bruxelles, Belgique)
Toujours au premier rang d’un concert par amour mais surtout parce que je suis le plus petit. Je fais de la mélancolie mon principal outil.