November Ultra connait le sens de la douceur et l’amour du détail
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
16/04/2022

November Ultra connait le sens de la douceur et l’amour du détail

L’intime. En voilà un bien beau mot. Manipulé à toutes les sauces, vêtu de forces variables en fonction de la personne qui le convoque, l’intime est une sensation complexe à capturer. Et pourtant, November Ultra nous en offre une très belle définition sur bedroom walls, son premier album, en personnifiant cette énergie mystérieuse sous les traits des murs de sa chambre. ‪”Bedroom walls have seen me cry. Have seen me smile as well” confie-t-elle sur le titre éponyme du disque. Un océan d’émotions, empreint d’une mélancolie assumée tout du long, qui prouve également toute la maîtrise créative et technique de cette amoureuse de la pop culture, passionaria du travail minutieux et bien fait. Rencontre avec une magicienne de la douceur. 

Après une salve de singles remarqués tant pour leur profonde délicatesse que leur beauté épurée, celle que l’on surnomme Nova donne enfin naissance à un premier long-format. On s’y attendait : c’est bouleversant. Mais pas que. C’est aussi audacieux, avec monomania, parenthèse vocodée aux allures plus incandescentes, ou encore un morceau de plus de neuf minutes (l’intense nostalgia / ultra) qui rend un hommage subtil à la mixtape de Frank Ocean qui transcende tout son projet. C’est également hautement pointu, avec un gros travail sur les compositions, les textures mais aussi les outros, jamais négligées, toujours léchées – on pense à septembre ou l’excellent le manège. Un travail d’orfèvre qui fait du bien.

Malgré l’attention aux détails et les multiples subtilités cachées consciemment ci et là, le disque n’en perd pas de son esprit spontané, et inéluctablement sincère. Car même quand elle se la joue minutieuse, November Ultra manipule ses émotions, c’est sa matière première. En témoigne fade, crève-cœur comme on n’en fait plus assez, qui vient ciseler un sanglot de la chanteuse pour le boucler et ainsi le réutiliser comme une percussion légère et ponctuante. Génial.

Dénudés de ces packages de productions et d’instrus bien léchés, les morceaux de cette collection n’en perdent pas pour autant leur force. C’est d’ailleurs en guitare-voix, dans l’intimité d’un appartement centre-bruxellois, que l’on a eut la chance de découvrir les pépites qui constellent ce premier élan. Un moment hors du temps qui s’est suivi d’une discussion sans filtre entre deux scorpions qui balanceraient volontier·ères la rigidité du monde adulte pour se replonger candidement dans l’ultra-émotivité de l’adolescence.


La Vague Parallèle : bedroom walls, c’est l’histoire de quoi ?

November Ultra : Cet album raconte mon passage de jeune femme à femme adulte. C’est drôle parce que je ne l’ai compris qu’une fois que je l’avais terminé, à la manière d’un tableau impressionniste dont on ne décèle les traits qu’en prenant de la distance. Via cet album, je comprends comment j’ai avancé ces dernières années, qui j’ai été aussi. D’où l’utilisation plus assumée du “je”, alors que j’ai toujours eu l’habitude de me cacher derrière d’autres personnes pour raconter ce que je ressentais. C’est une chronique de mon odyssée personnelle.

La Vague Parallèle : Cette chronique s’est écrite à chaud, en parallèle à ton vécu, ou plutôt à froid, par la suite ?  

November Ultra : À chaque fois ça matchait : j’écrivais ce que je vivais, au moment même. Mes textes sont des espèces de Polaroïds de moments très intenses : une certaine période de détresse sur over & over & over, une confusion sentimentale sur le manège, un week-end de bonheur pur qui a donné naissance à soft & tender. J’écris sur des éclats de sentiments qui débordent, d’où notamment le “ultra” dans mon nom de scène : ultra-vie, ultra-sensibilité. Ultra tout, tout le temps. Et c’est là que ça devient essentiel d’écrire des chansons, pour cristalliser tout ce trop-plein quelque part.

La Vague Parallèle : Ça laisse beaucoup de place à la spontanéité et à la sincérité. Tu as quand même le temps d’intellectualiser ton processus créatif ? 

November Ultra : Pas vraiment. Mais je ne compte pas intellectualiser mes chansons quand je les crée. Je préfère les laisser se dévoiler d’elle-même en expérimentant et en improvisant sur des mélodies. Et c’est presque une psychothérapie, parfois, en mode : “Ah, c’est ça que je ressens, en fait ?” Pour le morceau miel, par exemple, j’ai écrit instinctivement les premières paroles qui sont “I don’t wanna get married, I don’t wanna have a baby.” Et ce n’était même pas quelque chose que j’avais affronté dans ma vie, ce n’était pas une réflexion que je m’autorisais et écrire ce morceau m’a fait réaliser que je ressentais une certaine pression face à cette injonction à l’engagement, à la maternité.

La Vague Parallèle : Tu as exprimé sur tes réseaux sociaux la douleur qu’entraînait parfois la création de cet album pour la grande perfectionniste que tu es. C’était quoi la plus grande leçon de ce travail ?

November Ultra : J’ai appris à perdre le contrôle. J’avais une idée très précise de ce que je voulais faire de mon premier album, et petit à petit, il s’éloignait de cette image. Si j’essayais de reproduire ce que j’avais dans ma tête, j’allais à l’encontre de ce que cet album voulait devenir. C’est un peu comme en sculpture, il faut respecter le sens du bois pour obtenir quelque chose de plus beau. Et t’avais peut-être envie de faire une chaise, mais le sens du bois te fait comprendre que tu vas construire une étagère, au final. C’est un peu ce que cet album m’a fait. Et j’ai trouvé ça fascinant, cette façon de me laisser dépasser par ma propre création, d’en perdre le contrôle.

La Vague Parallèle : C’est quoi le déclic qui t’a fait réaliser que tu avais bouclé l’album ?  

November Ultra : C’est quand j’ai réécouté le tout premier morceau et que je me suis sentie très éloignée, trop éloignée, de la personne que j’étais au moment de l’écrire.

La Vague Parallèle : Ton univers est marqué d’une profonde mélancolie. C’est une émotion que tu aimes convoquer ?

November Ultra : C’est marrant car la mélancolie est une notion que mes proches associent souvent à moi. J’aime m’imaginer vivre une vie intense, à descendre les escaliers d’un château majestueux avec une grosse robe. (rires) Je veux vivre cette vie et pas rester en joggos-pantoufles toute ma vie. C’est cette idée d’en vouloir plus, pourquoi vivre une vie simple quand on peut vivre une vie romancée ? Et la mélancolie induit cette énergie. La dernière fois que je l’ai vraiment ressenti en musique, c’était en écoutant le titre I Lost A Friend de FINNEAS. C’était à l’aéroport, qui est un endroit qui me procure souvent cette main character energy. Je ressentais ce qui était raconté dans le morceau et ça m’a presque donné l’impression de vivre dans un récit de Jane Austen.

La Vague Parallèle : Et tu n’as jamais peur d’en faire trop avec ce côté mélo ? 

November Ultra : Non, justement. Pour ça, l’adolescence me manque, car c’est une période où on est rempli·es d’hormones et d’émotions qu’on laisse s’exprimer. On a des crushs sur tout le monde, on a envie de vivre plein de choses. Et toutes les émotions sont vécues de façon décuplée. C’est d’ailleurs pour ça que je crois que les adolescent·es sont un très bon public pour les concerts et les artistes, parce qu’il n’y a pas de place pour le second degré : c’est full sentiments, full cœurs ouverts. Donc moi j’essaie d’écrire avec cette énergie adolescente.

La Vague Parallèle : La plupart des morceaux sont conclus par des outros recherchées et travaillées. D’où te vient cette envie d’en donner autant, jusqu’à soigner tes conclusions ?

November Ultra : J’ai eu à cœur de travailler énormément les morceaux. Autant l’écriture était très spontanée, autant le travail derrière a été minutieux et conséquent. J’imagine que c’est parce que les albums et les morceaux que j’aime écouter, c’est ceux sur lesquels je peux ressentir que les artistes se sont fait kiffer en studio. C’est par exemple le cas sur le morceau Pyramids de Frank Ocean : il fait presque dix minutes, c’est hyper narratif et c’est scindé en deux parties bien distinctes reliées par une beat switch de dingue. Quand j’ai produit bedroom walls, j’avais cette envie d’oser et de m’amuser avec des subtilités. Je dis souvent “love is in the details” et cet album est bourré de détails.

La Vague Parallèle : Et ils traduisent quoi tous ces détails, toutes ces subtilités que tu as glissées dans l’album ?

November Ultra : Les détails c’est une façon de montrer aux gens qu’on les aime. Je crois que ça me vient de ce que ma mère m’a transmis. C’est le genre de personne qui est très nulle pour offrir des beaux  gros cadeaux. (rires) Mais par contre elle ne va jamais oublier si, dans une conversation, je glisse un truc dont j’ai besoin. Si un jour je raconte une histoire en disant que j’aime lire la nuit, le lendemain elle va venir me voir avec une petite lampe qu’elle a déniché quelque part en me disant qu’elle avait compris que j’en avais besoin. Tout se joue dans les détails, même dans la vie de tous les jours.

La Vague Parallèle : À travers ces détails, tu essaies de guider l’écoute de l’album, d’indiquer comment l’interpréter ? 

November Ultra : C’est compliqué, car je sais tout ce que j’ai caché dans cet album, et parfois j’ai juste envie d’expliquer aux gens “Regarde ce que j’ai fait sur cette chanson, remarque ce jeu de mots, etc.” Mais finalement j’ai eu un bon conseil de la part de Raphaël du groupe Terrenoire qui m’a fait comprendre que je ne pouvais pas du tout contrôler la façon dont les gens allaient rencontrer mon album. Et que c’est ça qui rendait l’expérience aussi intéressante. À force de trop expliquer les émotions ou les détails des morceaux, on interdit les gens de ressentir ce qu’ils et elles ressentent vraiment à l’écoute.

La Vague Parallèle : On retrouve trois langues sur l’album : une majorité d’anglais, de l’espagnol, et un petit peu de français. Et chacune semble porter une émotivité différente.

November Ultra : C’est vrai. L’anglais a toujours été la langue que je rattachais à la musique, pour la simple et bonne raison que c’était la langue que ma mère ne comprenait pas et que je ne voulais pas qu’elle comprenne ce que j’avais à chanter. (rires) Pour l’espagnol, je pense que la psycholinguistique explique pas mal de chose également : les langues B, celles qu’on apprend après notre langue maternelle, sont celles avec lesquelles on a la plus facile à être objectif·ve vis-à-vis de nos sentiments, car elles ne sont pas imprégnées de souvenirs. Quand je chante en espagnol, j’ai une assurance folle, je me sens stable, je me sens presque reine.

Finalement, le français, c’est les moments où je suis le plus complètement et extrêmement à nue. C’est d’ailleurs pour ça que je n’en ai mis que très peu. Sur septembre, la ligne en français est extrêmement vulnérable : Ai-je envie de sauter dans le vide?” J’avais cette pensée très sombre en moi, à l’époque, qui disait “Ai-je peur du vide, ou de mon envie d’y sauter ?” Et il fallait retraduire cela dans le morceau, avec toute l’intensité que ça comportait. Et c’est passé par la langue, en rendant cette ligne la seule chantée en français sur l’album.

La Vague Parallèle : Tu lui souhaites quoi, à ce premier album ?

November Ultra : J’espère qu’il trouvera une place dans les oreilles, les cœurs et la vie des gens. Je lui souhaite de voyager autant que moi, de rencontrer autant que moi. Surtout je lui souhaite de ne plus vraiment m’appartenir, de devenir une petite fleur dans le vase de chez quelqu’un pour y trouver tout ce que je ne peux plus lui donner. Je lui souhaite la fantaisie, je lui souhaite l’infini.


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