NUNCA laisse entrevoir son vrai VISAG3
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Auteur·ice : Charly Galbin
07/03/2023

NUNCA laisse entrevoir son vrai VISAG3

17 février 2023, le monde francophone est emporté par un raz-de-marée d’origine musicale, causé par les nouvelles sorties d’Hamza et d’8ruki. Passée la tempête revint finalement un calme relatif matérialisé dans le bruit d’un ressac brut et irrégulier de la mer contre les rochers. C’est là qu’au creux des vagues, j’aperçus le VISAG3 dissimulé d’un homme tranquille, satisfait d’être coupé du monde, seul dans cet univers aquatique dont l’acoustique ne laissait passer que la musique. Des ondes sonores finirent par transpercer l’écume avant de me parvenir : NUNCA m’annonçait d’une voix métallique sortir le projet conclusif d’un triptyque en forme de voyage commencé il y a un an et demi. Je plongeai alors dans cet univers inconnu au sol tapissé de câbles jacks colorés, dans lesquels je me pris les pieds pour mieux y rester, et vous le raconter.

De NUNCA on ne connaît que sa musique : quatre projets en l’espace d’un an, dont M1ROIR et MI2AGE qui initiaient un voyage finalement conclu par VISAG3, son dernier opus sorti le 17 février dernier. C’est sur un NOUVEAU MESSAGE brouillé envoyé à un NUNCA injoignable que celui-ci s’ouvre. Le mystère de ce prélude énigmatique se dévoile en images dans BOITE VOCALE, court métrage à la direction photographique léchée, co-réalisé et co-produit par TLBrecord et Kamaji. S’y confrontent deux lieux aux ambiances concurrentes : un Paris concret, coincé entre ses nuages gris et ses tours vitrées d’où quelqu’un tente de joindre en vain le rappeur, et une ville méditerranéenne aux couleurs estivales survolée par des oiseaux libres de leurs mouvements, où NUNCA semble s’être isolé pour faire de la musique, sans qu’on soit certain·es qu’il y trouve la tranquillité qu’il semble chercher. Se dessine en creux de cette opposition d’espaces la dualité thématique que NUNCA va filer tout le long de son projet : des aspirations à l’évasion pour trouver un impossible apaisement face à une civilisation moderne qui l’enferme.

 

Cette modernité prend la forme d’un monde dystopique dont la voix filtrée de NUNCA regrette l’injonction au conformisme. NOVLANG, titre à la référence littéraire explicite, raconte sur un beat house cette solitude de l’artiste dans son refus qu’il exprime à ne pas aller « dans leur sens », à contre-courant de ces « users qui partent au taf ». Ainsi les habitant·es de ce monde deviennent ailleurs des « PNJ » identifié·es par un numéro qui finit de leur reconnaître une humanité. Lui-même rebaptisé USER999314 dans ce jeu vidéo pipé où faire du bénéfice permet d’engranger des points, NUNCA se veut lucide des structures matérielles qui nous conditionnent, escomptant qu’il « y’a pas tout qui se monnaie », mais vainement seulement – « y’a plus trop d’espoir ».

Paraitrait que l’oseille ruisselle, j’veux plus visser ceux d’en haut.

Cette angoisse du réel social contraignant s’exprime tout le long du projet dans une esthétique modulaire aux textures diverses que Kamaji, architecte des 13 titres de VISAG3, construit à base d’ambiant inquiétante, de basses qui frappent juste et de flanger délirant. Même quand la musique prend des accents latins sur le triste tube MILONGA, le grain de la guitare traditionnelle invitant à danser une valse argentine se voit revêtu de filtres et traitements pour en faire une interprétation moderne. On pourrait presque parler d’une B.O. pour la succession de ces productions aux humeurs changeantes et aux thèmes musicaux récurrents, qui, quand elles ne rejoignent pas la voix modifiée de NUNCA dans une parfaite alchimie, se laissent apprécier à nu pendant de longues secondes. C’est là que ses aspirations cinématographiques se dévoilent, comme sur VISAG3, où l’on s’imagine un NUNCA éclairé par des panneaux publicitaires géants, contemplant les décombres mouillés par la pluie d’un monde arrivé à la fin de l’histoire. Il recouvre alors tristement les violons modernes grinçants de sa voix à l’odeur d’électricité : « Il n’y a plus de rêve, y’a plus de mirage. »

 

Alors NUNCA cherche l’évasion, visiblement au soleil, comme dans le clip d’AHOE qui le montre pour la première fois dans un univers réaliste. Il s’IZOL d’une réalité hypocrite où il faut « faire des courbettes dans des soirées mondaines et des galas ». Mais même dans cette ville lointaine, des hauts murs s’érigent pour mieux l’enfermer. La possibilité de son apaisement intérieur semble encore se cogner contre la fatalité non plus de la condition sociale mais de la condition humaine.

Je fais tout pour ressentir d’être.

Alors qu’il semble se trouver dans l’océan au milieu des chants de baleines androïdes dans DE L’EAU, il se rappelle qu’on est fatalement « tous coincés dans un corps », sans possibilité de s’échapper de son sort de simple mortel. Il s’avoue dans SUENO le rêve qu’il poursuit, la liberté, « comme si c’était permis ». Tandis que son téléphone continue de sonner désespérément sans réponse.

Tout au fond de l’eau, j’entends plus les autres,

tout au fond de l’eau, j’entends plus que des notes.

Dans ce projet, NUNCA cherche son identité comme Kaonashi, laissant entrevoir, en plus de son corps sur la magnifique cover de Salucv, les deux faces nihilistes de son visage, sans jamais le montrer. On attend ici avec impatience la suite du déploiement de cet univers artistique travaillé comme rarement aujourd’hui dans le rap, où gravitent en cohérence textes, musiques et images. D’ici là, il vous sera possible de découvrir NUNCA en live à la soirée Reconnecting With People #2 à Paris le 10 mars où il a été convié par AnNie .Adaa, ou en première partie de la release party de Ucyll & Ryo le 31 mars, deux invitations qui témoignent de son talent. Maintenant profitons de VISAG3, un album dans l’air du temps à apprécier comme un tableau qui témoigne parfaitement d’une époque, autant sociale que musicale.

Tags: Nunca | Rap | VISAG3
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