OFFSHORE, un second projet exutoire pour EDGE
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Auteur·ice : Laura Marie
20/01/2022

OFFSHORE, un second projet exutoire pour EDGE

Avec OFFSHORE, EDGE aura marqué la fin de l’année 2021. Un an après OFF, son premier projet, le rappeur originaire du XIXe arrondissement se livre ici intensément sur les émotions qui le gouvernent au quotidien.

« Dans six minutes, il sera six heures ». Paris, station Jaurès. Il est 5h54. Le téléphone d’EDGE est sur messagerie. Voici comment débute OFFSHORE, deuxième EP du rappeur parisien dévoilé le 26 novembre dernier. Un an plus tôt, il dévoilait OFF, un premier projet de onze titres, qui se conclut par le morceau 5h54. Le temps d’une nuit, celui qu’on retrouvait sur Private Club avec Jazzy Bazz et Esso Luxueux en avril 2021, partageait les pensées qui tournent en boucle dans sa tête. Sur OFFSHORE, elles ne l’ont toujours pas quitté, et se font même beaucoup plus intenses.

C’est chez Les Frères Laumières, au 3 avenue Laumière, qu’EDGE nous raconte l’histoire de ce nouvel EP. « C’est la continuité de OFF, explique-t-il, de comment je peux me retrouver tout seul dans Paname, à regarder ce qu’il se passe autour de moi et analyser les choses, m’analyser moi-même ». Les premières angoisses répondent présentes dès l’introduction : « J’distingue plus le vrai du faux dès que j’guette les infos, j’sais plus si c’est l’monde ou bien la weed qui m’rend paro », fredonne le Parisien dans Météo. Le ton est donné : EDGE est en plein désarroi, et à mesure que les morceaux défilent, ses tourments se dessinent, ponctués par quelques titres où, le temps d’un instant, ils s’envolent pour laisser place à des moments de répit.

En plein désarroi

« Ma tête est pleine de maux, tout s’entrechoque, avoue EDGE. Je suis quelqu’un d’assez sensible ». C’est pendant le confinement qu’il débute ce second EP. « On a été bombardé d’infos à droite et à gauche, explique-t-il. Ce climat m’a perturbé encore plus que d’habitude ». À la pandémie se rajoute aussi la politique. Le visage d’Eric Zemmour, candidat d’extrême-droite à l’élection présidentielle, omniprésent dans les médias depuis plusieurs mois, alimente ses craintes : « La place qu’il est en train de prendre… c’est complètement absurde. Il est tellement fort avec les mots qu’il arrive à manipuler les gens et moi ça me fait peur ». Il poursuit : « Le monde est en train d’évoluer, tu ne peux rien y faire et tu ne sais pas où te placer ». De nature pessimiste, EDGE se questionne sans cesse. Et sans la capacité de contrôler ce qui le tracasse, comme l’avenir ou le temps qui passe, c’est sa sensibilité exacerbée qui prend le contrôle de son esprit.

Dans Schémas Monotones, morceau imprégné d’un spleen troublant produit par Johnny Ola, le rappeur fait état des humeurs instables qui rythment sa vie, et qu’il nourrit avec la drogue et l’alcool : « J’bois des litres quand mon cœur pleure des larmes, mes addictions m’entraînent vers lе bas ». Dès les premières secondes, un sentiment de confusion se fait ressentir avec ces notes désaccordées s’entortillant sur l’instrumentale : « Quand tu te diriges vers une addiction, tu perds la notion des choses, tu n’es plus du tout raisonnable ». Des paradis artificiels dont il ne parvient pas à se détacher, et qui l’enfoncent dans ses tourments, jusqu’à atteindre les plus noires des pensées : « Est-ce que prendre le large calmerait tous mes maux ? Et la vue d’en haut rendrait mon ciel plus beau ? ».

 

Un cercle vicieux

« L’avenir, c’est quelque chose qui me fait peur, reconnaît EDGE. Je suis assez cartésien, le temps, tu ne peux pas le contrôler et ça me perturbe beaucoup ». Coincé dans un cercle vicieux où tourne en boucle son spleen, il ne parvient pas à « apprécier les choses ». Il poursuit : « Je vais avoir la fâcheuse tendance à me dire que si un truc cool se passe, un truc mauvais va arriver ». Sur 100 pas, treizième piste de l’EP produit par Pibé, The Hop et Johnny Ola, l’esprit de l’artiste est justement pris dans ce tourbillon de pensées : « Tu sais, les cent pas, j’les fais souvent le soir, c’est l’enfer et ça, j’me l’répète tous les soirs ». Le rappeur tourne en rond et débite sur tout ce qui le tracasse : sa mère (« Voir sourire ma mère est le truc qui m’obsède et qui marque mes pommettes »), un amour impossible (« Baby, éloigne-toi d’moi, mon cœur s’perd quand j’bois »), sa vie après la mort (« J’verrai pas l’Eden, j’suis trop proche d’Hadès »).

Le Parisien mentionne aussi ce qui pourrait être une solution de façade à ses problèmes : l’argent. Présent dans la majorité d’OFFSHORE, EDGE l’associe au succès, au bonheur, à la fin de ses tourments (« Avec de l’oseille, j’peux contrôler la météo (mes humeurs) », Météo ; « Le bonheur sans billets verts ouais negr* ça sonne faux », Waze). Dans E.D.G.E, il parle même d’addiction : « Bonheur rime avec papier, tristesse avec pauvreté, du coup, j’pense qu’à mailler, sa mère y a pas d’magie, donc au bifton, j’suis addict (le billet j’pense qu’à ça) ». Une relation particulière qu’il mentionne dans deux morceaux : LBMLB, où il évoque son compte en banque « en crise », et Plata, où le rappeur martèle qu’il « faut toujours toujours plus de gain » sur le refrain.

 

Le rap, un exutoire 

« J’étais vachement paumé dans ma vie. J’ai fait un milliard de trucs et je n’ai pas fait beaucoup d’études, détaille EDGE. C’est compliqué de savoir ce que tu veux faire ». Après le bac, il s’inscrit pendant deux ans à la fac, « sans être vraiment rigoureux ». Déjà perdu, un évènement compliqué bouleverse la vie du rappeur. Il comprend alors qu’il a « besoin d’évacuer des choses » et cherche un moyen d’extérioriser. Décidé à ne plus «  rien regretter dans la vie », il se lance dans l’écriture en 2017, son exutoire : « Aujourd’hui, c’est devenu complètement logique de rapper, j’en suis bien content ». Ses premières inspirations ? « Mes potes, mon entourage, avoue-t-il. C’est eux qui m’ont motivé, m’ont donné l’envie ». Jazzy Bazz, Esso Luxueux ou encore Deen Burbigo, il passe « beaucoup de temps en studio » avec eux. Il observe dans son coin, et emmagasine beaucoup d’informations : « J’ai appris en les regardant, et c’est ce qui m’a permis de me former ».

Contrairement à OFF, OFFSHORE se veut beaucoup plus éclectique sur le plan musical. « J’ai grandi autant avec du rap français qu’avec du rap américain », révèle EDGE. Originaire de Guadeloupe, il écoute également « du zouk, et d’autres musiques des Antilles ». En grandissant, son oreille s’élargit à la pop avec Tame Impala, Beach House ou Little Dragon. Diverses influences qui se ressentent au travers de ce second EP, sur lequel il s’entoure de nouveaux producteurs, et convie de nouveaux artistes : Lowsaa, Enfantdepauvres ou encore La Fève. Sur 20.000, c’est sur une production 2-step qu’il convoque Alpha Wann. Il invite également Jäde, jeune chanteuse à la voix cristalline originaire de Lyon sur Palace, un hit ensoleillé produit par DMS, Kezo, Guapo du Soleil et Bougo, où ses tourments disparaissent le temps d’un instant.

 

Tout au long du projet, c’est un EDGE très tourmenté que l’on écoute, luttant seul contre ses démons, refusant tout appel sur son téléphone. Des nuages à la terre, le dernier morceau du projet, est aussi le titre le plus important. Il marque son envie de sortir la tête de l’eau car, à la fin, EDGE décroche enfin. OFFSHORE est un véritable exutoire pour le rappeur. Une grande performance de rap bercée par des productions millimétrées et baignée d’une forte sensibilité. Il se met à nu, s’épanchant sur les maux qui gouvernent son quotidien. Perdu hier, il s’est finalement trouvé aujourd’hui : « Je pense à la musique jour et nuit, je me réveille je pense à ça, je me couche je pense à ça, raconte le rappeur. C’est le truc qui m’anime au quotidien et le but, c’est de continuer à alimenter tout ça pour essayer de calmer mes maux grâce à ça. »