Ojos, les yeux dans les yeux
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Auteur·ice : Paul Mougeot
27/10/2021

Ojos, les yeux dans les yeux

Après des mois passés à dévoiler les contours de ce qui s’annonçait déjà comme l’un des projets les plus excitants du moment, Ojos a définitivement emporté nos cœurs cet été avec la sortie de son premier EP, Volcans. On a profité de leur présence au MaMA Festival pour revenir avec Elodie et Hadrien sur leur parcours, la genèse de leur projet et les ingrédients qui composent cet univers unique qui est le leur. Un entretien sincère et profond, les yeux dans les yeux. 

La Vague Parallèle : Hello Elodie, hello Hadrien ! Comment allez-vous ?

Hadrien : Ça va très bien, on est très content d’être là !

Elodie : C’est assez bizarre de revenir ici, dans les loges de l’Élysée-Montmartre. Ça n’a pas changé depuis qu’on est venu jouer ici en 2018, quand on s’appelait encore Holy Two. Ça fait un petit quelque chose !

H : On est content de reprendre les concerts, même si pour nous c’est presque la fin de la tournée qu’on a commencée à l’automne avec notre date au Pop-Up du Label. Le MaMA, c’est toujours une date particulière parce que la pression qu’on y ressent est différente de celle des concerts habituels, mais c’est le genre de challenge qu’on aime bien.

E : Oui, c’est un public différent, c’est quelque chose d’un peu stressant. J’ai un rapport particulier à la pression, je l’aime autant que je la déteste… Là, par exemple, je passe un très mauvais moment avec toi (rires) ! Je sais que ce soir, je vais être dans un état de stress énorme, mais je sais aussi que ça va me procurer l’adrénaline dont j’ai besoin pour assurer.

LVP : Qu’est-ce que ça représente pour vous de jouer au MaMA, de figurer parmi les artistes qu’on considère comme les plus prometteurs du moment ? 

H : C’est flatteur, même si c’est toujours difficile de se positionner par rapport à ça puisqu’on n’a aucune prétention particulière.

E : Au-delà de ça, ce qui est génial, c’est de partager la scène avec des artistes qu’on adore : la moitié de la programmation est constituée de copains et ça nous donne énormément de courage et d’énergie.

H : Je ne voudrais pas parler de légitimité parce qu’il y a beaucoup d’autres artistes qui auraient mérité de pouvoir jouer ici, mais ça reste quelque chose d’intéressant et de gratifiant. Notre EP, on l’a bossé à fond, avec énormément de cœur et si c’est bien perçu, c’est qu’on a réussi ce qu’on voulait faire. On ne rêve que de ça, de pouvoir toucher les gens !

LVP : Justement, cet automne, vous vous êtes lancés dans une tournée qui vous a amenés de Paris à Toulouse en passant par Grenoble ou encore par Besançon. Quel accueil avez-vous reçu de la part du public ? 

E : Ce qui est chouette avec cette tournée, c’est qu’on l’a montée tout seuls car on n’a pas de tourneur. Donc déjà, c’était une grande satisfaction d’y être parvenu sans même avoir fait de concerts avant.

H : On n’a pas vécu ce démarchage comme un labeur d’ailleurs, c’était vraiment plaisant de le faire.

E : Totalement ! Et c’était gratifiant de voir que des programmateurs étaient prêts à nous faire jouer alors qu’on n’a pas de tourneur. Comme on avait un projet avant celui-ci, il y a aussi quelques programmateurs qui nous connaissaient déjà, donc ça nous a permis de caler un peu plus de dates que ce à quoi on pensait pouvoir prétendre. On a même reçu des propositions assez dingues, comme la première partie de Thérapie Taxi à l’Olympia, c’était fou.

H : Oui, c’était quelque chose d’incroyable. C’était une expérience inoubliable. Ça peut être compliqué de faire une première partie parfois, mais là c’était extraordinaire.

Et puis en dehors de ça, c’était vraiment un régal de pouvoir jouer à nouveau, plus de deux ans après nos derniers concerts. On a ressenti une forme de nouvelle osmose qu’on n’avait pas ressentie depuis un moment, c’était complètement irréel.

E : Après l’Olympia, on s’était demandé comment on allait vivre le retour à la normale, aux salles plus petites, mais ça s’est très bien passé parce que c’est un plaisir complètement différent.

H : C’est ce qu’on aime sur une tournée, que chaque date soit différente, qu’on puisse échanger le public… C’est quelque chose qu’on a beaucoup plus vécu sur cette tournée, ça nous a fait du bien de reprendre la route.

LVP : Aujourd’hui, vous incarnez Ojos, après avoir formé Holy Two pendant plusieurs années. Est-ce que ce nouveau projet a modifié votre manière de travailler, d’évoluer l’un par rapport à l’autre ?

E : En fait, on n’a jamais vraiment acté ensemble le fait qu’on voulait changer de projet. C’est plutôt qu’en faisant de nouveaux morceaux, on s’est dit qu’ils appartenaient à un nouveau projet. Du coup, à l’origine, dans notre manière de fonctionner, c’était sensiblement la même chose qu’auparavant. Simplement, les morceaux avaient une identité nouvelle et pour être honnête avec nous-mêmes et avec les gens qui nous suivaient, il fallait une rupture franche.

H : Il fallait que le propos soit clair et on ne se sentait pas du tout de faire du nouveau avec de l’ancien. On parle de transformation, d’évolution plutôt que de rupture parce qu’elle se sent dans la manière dont on travaille ensemble. Avec le temps, on sait mieux comment travailler l’un avec l’autre, on connaît nos défauts, nos qualités.

Je crois que notre processus a évolué aussi avec Ojos, la manière dont on échange entre nous. C’est une histoire de vie aussi, on a grandi !

E : Quand on a commencé la musique avec Hadrien, on ne savait vraiment rien faire. Moi j’avais fait du violoncelle dans un orchestre et Hadrien faisait de la guitare. Il y avait un côté très enfantin dans notre démarche. On a vraiment appris ensemble, en fait. Au début, quand on écrivait des chansons ensemble, tout était vraiment très segmenté dans la répartition des rôles, et maintenant, ça ne l’est plus du tout. On est plus indépendant dans notre manière de créer, ce qui nous permet d’écrire et de composer séparément.

C’est aussi lié au fait qu’on se retrouve davantage dans l’identité d’Ojos. Avec Holy Two, on avait fait tellement de choses différentes qu’on ne savait plus trop où on allait. Là, quand a eu le temps de se poser pour réfléchir à ce qu’on voulait faire, on avait une idée assez précise de la direction artistique qu’on voulait prendre.

LVP : Ce nouveau projet, vous avez pris le temps d’affiner son esthétique, de la dévoiler à petites touches, d’abord avec les capsules dans lesquelles vous revisitiez des classiques de la chanson française, puis avec des singles, puis avec ce premier EP. Comment vous l’avez travaillée, cette nouvelle esthétique ? 

H : Ce qui était nouveau avec Ojos, c’est qu’on s’est retrouvé tous seuls tous les deux avec un entourage beaucoup plus restreint et on était contraint d’en faire un maximum nous-mêmes, que ce soit en booking, en production, en communication… En termes d’images, on s’est dit qu’on allait faire ce qu’on pouvait avec nos outils et nos moyens, et qu’on allait surtout faire ce qu’on avait envie de faire avant tout. C’est ce qui fait que ça nous ressemble et que ça qui correspond vraiment à nos envies.

E : Je vais même aller encore plus loin, c’est que la différence entre ce qu’on faisait avant et ce qu’on fait maintenant, c’est qu’on ne se pose plus la question de ce que vont penser les gens de ce qu’on fait. On ne se met plus de filtres. C’est aussi pour ça qu’on s’est autorisé à chanter en français : on voulait toucher directement les gens, qu’ils comprennent nos intentions.

H : Ça passe aussi par l’image, dont on voulait qu’elle soit plus lisible et plus claire. On s’est rendu compte que plus on mettait de filtres et plus ça nuisait à l’authenticité du projet.

E : Ce qui ne nous empêche pas de travailler avec d’autres gens, évidemment, mais c’est vrai qu’aujourd’hui, on est beaucoup plus indépendant sur ces sujets.

Alors bien sûr, il y a des domaines qu’on maîtrise moins bien, je pense notamment à la vidéo : on s’y est mis un peu par dépit, ce qu’on a fait aurait pu être plus propre ou mieux produit, mais à l’arrivée, on raconte exactement ce qu’on voulait raconter. Au départ, c’était des choix par défaut, mais finalement, c’est génial d’acquérir ces connaissances-là et ça nous permet de garder la maîtrise de notre projet.

LVP : Effectivement, cette authenticité et cette sincérité, c’est quelque chose qu’on ressent de manière assez intuitive dans le projet. À travers l’usage de l’espagnol et du français, les thèmes que vous abordez, on a le sentiment que ce projet est peut-être plus intime encore que ce qu’était Holy Two. Vous avez également produit une minisérie qui raconte la naissance du projet, sa genèse, et comment il est le prolongement presque logique de vos existences respectives. Est-ce qu’Ojos, c’était aussi une manière pour vous de vous rapprocher de ce que vous êtes au fond ?

H : Complètement ! On est hyper touché que tu l’aies ressenti de cette manière parce que ça nous importe beaucoup de travailler avec le cœur et que ce soit perçu comme tel.

E : J’ai l’impression qu’on fait partie d’une époque où plus tu es impudique, plus ça parle aux gens. C’est bête, mais si on poste demain une photo de nous dans notre canapé, elle marchera mieux qu’une photo prise par un photographe qu’on aura payé des mille et des cents. Et dans le texte, c’est pareil : plus tu racontes des choses intimes, plus ça parle aux gens.

C’est bizarre mais par exemple, je me suis toujours posé la question de ce que mes parents pensaient de ma musique. Quand on a sorti Mysterio, je me suis dit “woh, si mes parents écoutent ça, je suis dans la merde” ! Et en fait, bizarrement, c’est le morceau qu’ils aiment le plus ! Ça fait partie de ces déclics qui nous ont permis de nous libérer.

H : Oui, on s’est forcé à faire abstraction de ces jugements pour tomber les masques et arriver à un certain degré de lâcher-prise.

LVP : À travers votre premier EP, vous nous avez proposé un incroyable travail de réécriture de vos premiers singles, à la fois dans les paroles et dans la musique. Est-ce que vous pouvez nous parler de cette démarche ?

E : La genèse du truc, c’est qu’à un moment donné, il a fallu qu’on réadapte les morceaux pour des sessions qu’on devait enregistrer. On avait déjà des sessions de ces morceaux-là et on s’est dit qu’on n’allait pas faire en faire une énième. Comme on venait d’avoir ce déclic de la langue, cette envie de chanter en français, on a décidé de traduire ces morceaux et pour leur rendre justice, il fallait absolument passer par cette étape d’adaptation musicale.

H : Si on avait su le travail monstrueux que ça impliquait, on ne l’aurait peut-être pas fait (rires) ! On adore se lancer des défis, et pour le coup c’en était un immense.

L’idée, c’était aussi de lier ces morceaux entre eux, de leur créer une identité commune, et on s’est dit que la meilleure manière de le faire, c’était de tous les retravailler dans un laps de temps très réduit. Tout s’est fait en deux mois, de manière très intense et condensée. On recherchait vraiment ce travail dans l’urgence, cette contrainte qui te pousse à créer, sans te poser de question.

E : Là, on a fait l’EP intégralement chez nous avec pas grand-chose, deux synthés et une guitare. Ça nous a contraints à ne pas aller chercher dans les méandres d’Internet le dernier son de synthé qui est sorti, à ne rien écouter pendant cette période pour ne pas être influencés par d’autres choses…

H : Je crois d’ailleurs qu’il y a de plus en plus de producteurs ou de compositeurs qui recherchent ce retour aux sources, qui travaillent avec peu de moyens et un minimum de temps, et ça donne naissance à des choses magnifiques. À un certain stade, la contrainte peut devenir vraiment positive, c’est ce qui donne une couleur à l’ensemble.

LVP : Il y a un morceau qui incarne bien cette recherche de la sobriété et de l’épure, c’est Le volcan qui dort. Est-ce que vous pouvez nous parler de son histoire ?

E : Ce morceau est particulier parce qu’il a été écrit quelques jours à peine avant qu’on lance le pressage de l’EP. C’est un titre qui n’était pas amené à sortir à l’origine, c’était juste un morceau écrit en dix minutes et quand on l’a écouté ensemble, on s’est dit qu’il était cool. Même s’il est différent dans le style, il condense tout ce qu’on avait envie de faire sur cet EP.

H : Il a toute sa place dans l’ensemble parce qu’il clôt l’EP mais il ouvre aussi sur autre chose. Quand on n’avait que les quatre premiers morceaux, on se disait qu’il manquait quelque chose mais on ne trouvait pas la bonne solution pour le terminer. C’était vraiment la pièce manquante du puzzle.

LVP : Pour finir, est-ce que vous pouvez partager avec nous une découverte musicale récente ?

E : Ce n’est pas super original, je me ponce l’album de Noga Erez en ce moment.

H : Moi je me suis remis récemment à tout ce qui est cold wave, et j’ai beaucoup aimé le dernier album de Cold Showers notamment.

E : Je voudrais aussi parler du livre de John Steinbeck, Des souris et des hommes. J’ai adoré ce livre et j’aime beaucoup ces ouvrages au ton enfantin comme La Vie devant soi de Romain Gary ou En attendant Bojangles d’Olivier Bourdeaut. C’est quelque chose qui me touche énormément.