Alors que nous les suivons rigoureusement depuis quelques mois, il nous semblait impératif de faire les présentations ici-même avec Tristan et Tino, deux musiciens intrépides se qualifiant eux-mêmes de druides. C’est ainsi que nous avons décidé d’inviter Walter Astral à partager avec nous un pique-nique au bois de Vincennes un dimanche soir de juin au coucher du soleil. Alors qu’un orage s’approchait dangereusement de nos tartines et de notre couverture à carreaux rouge et blanche, nous avons joyeusement parlé banjo, inspirations druidiques et expérimentations scéniques. Plongée sans fil d’Ariane dans l’histoire du duo le plus ensorcelant de l’année.
La Vague Parallèle : Salut Tristan et Tino, on se retrouve aujourd’hui autour d’un pique-nique au bois de Vincennes, comment ça va ?
Tino : Ça va trop bien. Qu’est-ce qu’on est bien entourés ! Que des gens cool.
Tristan : Grave, on passe un moment de qualité absolue.
LVP : C’est la première fois qu’on se rencontre en interview pour La Vague Parallèle. Est-ce que vous pouvez nous présenter un peu votre projet ?
Tristan : C’est la rencontre de deux univers différents, celui de Tino qui vient du rock psyché pop et sucré, et du mien. Je viens de la musique house et techno. J’avais un projet avant qui était plutôt darkos. C’est un mélange de lui, pour le côté gratte et voix, et de moi pour le côté très machines, beaucoup plus dance et électronique.
LVP : Avant de former Walter Astral, vous aviez donc chacun des projets de votre côté, toi Tino chez Polycool, et toi Tristan avec Zaspéro et Ovhal44. Comment vous êtes-vous rencontrés et en êtes arrivés à vous dire que vous vouliez faire de la musique ensemble ?
Tino : Tristan, tu veux raconter notre back story ?
Tristan : Oui, bien sûr, c’est parti ! Alors, ça fait dix ans qu’on se connaît, mais avant de faire de la musique ensemble, neuf ans se sont quand même écoulés. À l’origine, on s’est rencontrés pour la première fois en club à Berlin. C’était le copain de ma meilleure amie, Zoé, avec qui j’étais parti avec une bande de copains, et il est arrivé en surprise, en prince charmant. Puis par la suite on a pas mal fait la fiesta ensemble, et on suivait chacun nos projets respectifs. Musicalement, la rencontre s’est faite au premier confinement qu’on a passé ensemble à Paris. C’est là qu’on a fait notre premier morceau. J’avais fait un titre qui s’appelle Velvet Woman, qui est sorti avec Zaspéro, mon projet solo. L’instru était là, je me disais que ce serait cool d’avoir une voix dessus, et j’ai pensé à Tino. Je lui ai envoyé l’instru qu’il a trop kiffée, et il a écrit un texte et l’a chanté.
Tino : C’était notre première collab’ sérieuse.
LVP : En fait votre premier morceau ensemble n’était pas avec Walter Astral.
Tino : Non carrément.
Tristan : Et même après ça on a monté deux autres groupes ! (rires)
Tino : On a fait deux autres morceaux pendant les confinements. Le premier s’appelait Link, et notre groupe The Ocarinas Heroes of Disco. On avait même fait un clip.
Tristan : Mais à l’époque on était juste en confinement, c’était un défi avec un groupe d’amis musiciens qui s’appelle Amour, où toutes les semaines on avait un thème, et on devait faire un morceau dessus. On avait fait ça pour le plaisir. Le thème c’était le lien, on trouvait ça chiant, donc on l’a appelé Link comme Zelda. Et puis on a fait le morceau Le Feu dans cette même période, en jammant ensemble. Le banjo de mon père était dans la salle, on a commencé à le gratter et on s’est dit qu’il avait un son de ouf. Ça nous a inspiré. Mais on ne pensait même pas encore à se lancer dans un groupe.
LVP : Finalement, c’est un projet qui est né grâce au confinement.
Tristan : Complètement. Notre rencontre musicale s’est faite grâce au covid. Pour moi, les premier, second et troisième confinements étaient des moments hyper créatifs. C’est peut-être terrible à dire, mais c’était presque des bons moments.
Tino : Grave, on a été amenés à ne faire que de la musique. Créativement, ça a été une bénédiction pour moi. Je créais déjà beaucoup, mais là, on m’a donné toutes les cartes pour ne faire que ça.
LPV : Et pourquoi ce nom, Walter Astral ?
Tristan : Eh bien, « Walter Astral » est venu tout naturellement parce qu’on a rencontré le vrai Walter Astral. C’est un druide, un explorateur des multiverses. Il n’apparaît que dans le subconscient et dans le monde des rêves. Pour la petite histoire, un matin, je me réveille comme d’habitude, dans notre maison de campagne après une nuit à faire de la musique. Je dis à Tino que j’ai fait un rêve de ouf, où je vivais exactement cette situation, un matin comme les autres, avec le petit bol de Cheerios, le petit café, et tout se passait totalement normalement. Jusqu’à ce que dans mon bol ça commence à tourner de malade, et d’un coup il y a un bateau qui sort. Et là Tino m’interrompt, et me dit qu’il a fait le même rêve. Complètement déglingo quand même ! (rires) Et le man sur son petit bateau nous fait « whooohooo ! Ça va ? » avec une voix aiguë, parce que Walter Astral, il est tout petit sur un immense bateau trois mâts.
Tino : Il nous dit « les gars, let’s go, il faut raviver la flamme des druides ! Vous écrivez des chansons, utilisez-les pour parler de Walter Astral, de mon travail ! ». Et voilà. Ni une ni deux, il est retourné dans ses céréales faire ses trucs.
Tristan : On ne l’a pas encore revu…
Tino : Mais je pense qu’il est fier de nous là où il est. La légende dit que si l’on répète trois fois son nom en regardant un bol de céréales, il apparaît ! (rires)
LVP : On testera ! D’ailleurs, Tino tu t’occupes aussi du dessin et de l’animation autour du projet. Toucher à plusieurs arts au-delà de la musique, c’est quelque chose qui t’anime ?
Tino : Oui, en fait c’est ma formation de base. J’ai toujours été musicien, mais je suis aussi plasticien à côté. On peut demander à n’importe quel plasticien-musicien, je pense qu’on fait deux arts qui se complètent, ou en tout cas qui ont un lien très fort. Je trouve ça fou, et en même temps parfois frustrant parce qu’on ne peut pas toujours tout faire, et que bien faire les choses ça demande aussi du temps. Mais en tout cas, c’est génial de pouvoir amener ça dans la musique.
- © Alice Sevilla pour La Vague Parallèle
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© Alice Sevilla pour La Vague Parallèle
LVP : On parlait tout à l’heure de vos autres projets et du fait que Walter Astral est au croisement de ces derniers, en mélangeant un côté très joué instrumentalement parlant et une touche hyper électronique. À tout ça, vous juxtaposez des instruments plutôt inattendus comme le banjo, ce qui rend finalement l’ensemble très moderne. Ça vous plaît de faire revivre ce genre d’instruments dans les musiques actuelles ?
Tristan : Oui, ce son de banjo est devenu la signature du groupe. On n’a plus tellement l’habitude d’entendre ces sonorités dans les musiques actuelles. Puis celui-ci a quand même un son très particulier. Peu de gens devinent que c’est un banjo, on a plus l’impression que c’est un oud ou un saz. Il a vécu le petit pépère.
LVP : C’est quoi son histoire ?
Tristan : Il appartenait à mon père quand il avait une vingtaine d’années. C’était le truc qui faisait le plus de bruit dans tous ses instruments, donc il le ramenait à toutes les teufs (rires). C’était son truc dans le sud-ouest, dans toutes les bandas. Il se ramenait avec son banjo et c’était celui qui hurlait le plus.
LVP : Et là il vit sa deuxième vie !
Tristan : Exactement. Il a passé entre-temps trente ans à attendre dans un grenier, et là c’est reparti !
Tino : C’est dingue parce que pendant ce confinement, on était tous les deux chez son père, et je me souviens qu’on s’amusait à produire plein de trucs et qu’on commençait à sortir tous les instruments disponibles. On avait la sitar, et le dernier qu’on n’avait pas essayé c’était le banjo. C’est comme l’histoire qu’on raconte en live finalement. On l’a vraiment sorti du grenier…
LVP : Et là, Walter Astral est apparu ?
Tino : Carrément ! Assez rapidement d’ailleurs, deux ou trois jours plus tard ! (rires)
LVP : Vous avez pour le moment sorti deux morceaux, Le Feu et L’Eau. On devine aisément ce qu’il reste à venir. Qu’est-ce qui vous a poussé à vous tourner vers un projet aussi conceptuel ?
Tino : Je pense qu’on a tous les deux toujours été très conceptuels dans nos projets musicaux, que ce soit Tristan qui raconte des histoires d’explorateurs de l’univers dans Ovhal44, ou moi qui raconte l’histoire du seigneur Citron qui a créé l’univers avec Polycool. Ça ne me paraît pas trop étonnant finalement (rires). C’est Tristan qui a eu l’idée de faire la suite quand on a composé Le Feu.
Tristan : Il y a quelque chose qui nous a paru hyper logique, dans le sens où la musique mélange le côté électronique avec le côté plutôt traditionnel du banjo, et je trouvais ça intéressant de tourner nos thématiques vers quelque chose de très nature et d’organique. Sachant que chaque morceau a un sous-texte qui parle aussi de l’humain : Le Feu parle de l’amour, L’Eau de la création ou la naissance. Ça marchait très bien avec notre idée de faire quelque chose de trippant, druidique. Ça coulait de source.
LVP : À l’écoute, le pari est réussi et je trouve vos morceaux plutôt figuratifs. Les sons et les instruments choisis portent des images en eux, et c’est aussi ce qui fait décoller le concept. Je pense à la guitare sur La Terre par exemple, qui ancre bien dans le sol.
Tino : J’avais envie d’y faire quelque chose de très éléphantesque, très terrien justement. C’est vrai qu’on ne s’en parlait pas trop, ça s’est fait assez naturellement. Mais quand on a pensé à La Terre, on voulait avoir ce quelque chose de très tellurique. Et sur L’Air aussi, ça se sent tout de suite.
Tristan : Je trouve ça hyper inspirant. À partir du moment où l’on se disait que tel morceau correspondait à telle thématique et qu’on avait une bribe d’idée de track, le nom arrivait très vite. Et tout le morceau s’accordait par rapport à ça. Ça aide à la création d’avoir une idée de thématique avant même de se lancer dans le morceau.
LVP : Est-ce que le côté conceptuel peut vous faire peur pour la suite ?
Tino : Je connais ça, parce que j’ai déjà vécu le deuxième album après un premier conceptuel. Je pense qu’avoir des concepts n’est pas forcément un emprisonnement ad vitam aeternam. Tu peux avoir fait un album concept et partir sur quelque chose sans aucune thématique ensuite, et simplement proposer de la musique. Quand tu as quelque chose à raconter, que ça se présente à toi, et qu’en plus de ça, tout se relie par un concept, c’est merveilleux. Mais il ne faut jamais se mettre de stress et de pression dans la musique, sinon ça se ressent ensuite.
Tristan : Moi, c’est plutôt quelque chose qui me rassure. Tous mes anciens projets étaient over-conceptuels, surtout Ovhal 44, où on était deux astronautes du début à la fin. Je trouve ça génial. Tu vas creuser, tu n’es jamais perdu, tout est possible autour de toi, t’as envie de le construire de plus en plus.
© Alice Sevilla pour La Vague Parallèle
LVP : Vos morceaux peuvent aussi être longs, notamment le titre d’ouverture de votre futur EP. Je trouve qu’ils ressemblent souvent à des épopées, avec différentes phases, parfois chantées et d’autres instrumentales. Est-ce que vous vous êtes posé la question de sortir des formats attendus de morceaux courts faits pour la radio ou le streaming, ou bien c’est venu tout naturellement ?
Tristan : De manière générale, nos morceaux commencent toujours sous une forme qui n’est pas radiophonique. Venant de la musique électronique où les morceaux font souvent six à huit minutes, je trouve ça bizarre de devoir couper, de se dire que ce sera plus facile d’approche, de le rendre plus digeste. En plus, si on met de la voix et des paroles, le morceau peu devenir un peu disparate quand on fait des morceaux très longs. Je suis très content d’avoir mis Hyperdruide dans l’EP, parce que ça représente cette part qu’on retrouve aussi en live.
LVP : Ce qui vous caractérise également, c’est l’aura que vous créez autour de vous, en vous appelant « druides », en parlant d’énergie, d’univers féériques, de sorcières du Berry, etc. C’est un monde qui vous parle ? Vous avez grandi là-bas ?
Tristan : Pas du tout, mais on y est connectés car mon père y a déménagé il y a dix ans. C’est là qu’on a écrit l’album et qu’on a vécu les confinements. C’est notre studio où on va composer. On a une connexion hyper forte avec la terre du Berry. Et en soi, cet univers un peu folklo, pour nous il est un peu twin peaksien, avec des sorciers, des fées, des korigans…
Tino : Rien n’y est rationnel en fait. Déjà, les chances pour qu’on soit en vie ici et que l’on vive ce moment sont incroyablement basses. Quand tu penses à toutes les conditions réunies pour qu’on soit sur Terre et qu’on vive cette expérience fun, tu te dis que tout a beau s’expliquer, ça reste quand même très peu rationnel. Twin Peaks et la magie, ça nous fait triper. On y est sensibles. Le trip des druides, tout en gardant les pieds sur terre, c’est venu du fait qu’on a des dégaines de druides et qu’on vit comme des hippies.
Tristan : Oui, il y a vraiment ce côté hippie. Moi, je voyais ce délire druidique un peu comme quelque chose qui me faisait marrer. Puis avec le temps finalement, ça connecte aussi avec des choses qui nous touchent profondément. Évidemment, il y a beaucoup d’humour, mais ça fait aussi du bien d’avoir de la spiritualité dans ce genre de zones. On s’y sent bien.
LVP : Vous poussez d’ailleurs l’expérience encore plus loin sur scène, avec par exemple des lancers de dés entre deux morceaux pour savoir lequel jouer ensuite. Pour vous, la scène est un terrain d’expérimentations ?
Tino : Grave !
Tristan : Carrément. C’est aussi l’envie de faire plus que de la musique, de mettre en place une atmosphère, un spectacle, et que toute la salle se retrouve dans notre tente druidique et qu’on s’en souvienne. C’est hyper important. On se laisse beaucoup de libertés. On aime bien changer le live à chaque fois.
Tino : On a plein d’idées pour le futur. Je vais danser avec les gens, et pourquoi pas leur faire un petit tour de magie de temps en temps ? (rires)
LVP : On attend ça impatiemment au prochain concert !
Tino : Non, le prochain concert ça va être quelque chose de plus mystique. On va faire chanter les objets.
Tristan : Ah ouais, ça va être trop cool ça !
Tino : Tu veux des gâteaux ?
Tristan : Ah yes, merci !
© Alice Sevilla pour La Vague Parallèle
LVP : Vous avez enchaîné beaucoup de dates récemment, notamment une sélection aux iNOUïS du Printemps de Bourges Crédit Mutuel. Comment est-ce que vous avez vécu ces derniers mois ?
Tristan : C’est incroyable !
Tino : Oui, c’est la folie ! Les iNOUïS, c’est quelque chose qui transporte très rapidement, et ça s’est avéré depuis notre premier concert aux auditions. Tout s’est accéléré grâce à ça.
LVP : Et quelle est la suite dans les prochains mois pour Walter Astral ?
Tristan : Déjà, ça va être de surkiffer cet été avec toutes ces dates incroyables. On a un enchaînement de vraies belles dates, avec de très beaux festivals.
Tino : Et des gens de la famille comme la Douve Blanche et Pete the Monkey.
Tristan : Puis on finit avec Rock en Seine, yo ! De voir notre nom sur cette affiche, ça me fait délirer. C’est génial ! Pour un projet qui est né il y a si peu de temps, avec un morceau qui a vraiment pris, c’est magique.
LVP : Et l’EP suivra après l’été, c’est ça ?
Tino : C’est ça, tout début octobre. C’est cool, on commence à Paris avec le Beau Festival, et on y termine avec Rock en Seine. Quelle aventure !
LVP : Pour finir, est-ce que vous auriez un artiste ou un titre à nous confier qui aurait tourné en boucle dans vos oreilles pendant l’écriture de cet EP ?
Tino : Je pense à Jagwar Ma qui est vraiment une super bonne ref !
Tristan : C’est vrai que c’est l’un des groupes où l’on s’est très vite rejoints. Il y a cet aspect musique électronique et rock chez eux.
Tino : Aussi King Gizzard & The Lizard Wizard, et Horror Inc !
Tristan : Oui, on écoute Horror Inc depuis longtemps, et je pense que ça a beaucoup inspiré les sonorités que j’avais envie de mettre dans la musique électronique qu’on fait ensemble.
Si l’orage nous aura coupés ici, nous retiendrons d’avoir plié couvertures et pots de confiture sous la pluie avant de rebrousser chemin en chantonnant un Have You Ever Seen The Rain mémorable sous les éclairs et coups de tonnerre.
En perpétuelle recherche d’épaules solides sur lesquelles me hisser pour apercevoir la scène, je passe mes concerts à faire les chœurs depuis la foule.