On a parlé de son premier album avec Cola Boyy
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Auteur·ice : Paul Mougeot
26/08/2021

On a parlé de son premier album avec Cola Boyy

Au tout début de l’été, l’artiste californien Cola Boyy a révélé son tout premier album, Prosthetic Boombox, qui vient couronner un parcours aussi atypique que brillant, débuté en France il y a quelques années maintenant. Entretien avec le disabled disco innovator auto-proclamé.

La Vague Parallèle : Hey Matthew ! Comment vas-tu ?

Cola Boyy : Bien ! Je suis encore un peu en jetlag mais ça va. Ça fait partie du jeu. J’ai eu beaucoup de choses à faire depuis que je suis arrivé à Paris mais c’est une bonne chose. Quand je suis ici, j’aime faire des choses simples, pas forcément les activités touristiques : boire un verre dans la rue, aller à un concert, faire la fête… J’ai beaucoup d’ami·e·s ici et j’aime vraiment passer du temps avec elleux. En fait, je me rends compte que j’aime surtout les gens, donc j’ai toujours besoin d’être entouré.

LVP : Demain, tu sors ton premier album, Prosthetic Boombox (l’interview a eu lieu le 17 juin dernier, NDLR). Comment est-ce que tu te sens à l’approche de la sortie de ce premier format long ?

CB : Je suis excité parce que j’y ai mis beaucoup d’amour et de travail. Il y a forcément une partie de moi qui est un peu nerveuse parce que j’ai envie que les gens l’aiment. Je ne vais pas mentir, j’ai envie que les gens l’aiment. Mais je pense qu’être nerveux, c’est bien aussi parce que ça me permet de ne pas être trop confiant ou trop arrogant.

J’aime cet album donc je pense que les gens vont l’aimer aussi, on va voir comment ça se passe (rires).

LVP : Est-ce que tu peux nous en dire plus sur l’origine de cet album ?

CB : La moitié des chansons de cet album ont été écrites il y a 5 ou 7 ans, avant même que je ne rencontre l’équipe de Record Makers. À l’époque, je faisais encore de la musique dans ma chambre avec ma guitare électrique, j’enregistrais directement sur le micro de mon ordinateur portable. Je ne savais pas trop ce que je faisais (rires). D’un côté, j’avais donc ces démos, et de l’autre, il y a des chansons que j’ai écrites dans l’intention de sortir cet album.

J’ai commencé par choisir les démos que je voulais emmener jusqu’au studio puis je me suis mis à travailler avec Corentin “nit” Kerdraon, qui avait déjà produit mon premier EP. En même temps que je commençais à travailler sur l’album, plusieurs événements se sont enchaînés : je suis parti en tournée avec MGMT, de qui je suis devenu proche, et peu après, j’ai été contacté par The Avalanches pour travailler sur leur album. Il se trouve que ces événements ont trouvé leur point culminant au moment où j’étais en train de travailler sur mon propre album, donc je leur ai proposé de figurer dessus et ils étaient hyper enthousiastes à cette idée. C’était très naturel, c’est juste arrivé comme ça. Et en ce qui concerne les artistes français avec qui j’ai travaillé sur mon album, c’est juste que je passais beaucoup de temps à Paris à ce moment-là, et que Marc Teissier du Cros, qui a monté mon label, est un peu une légende ici. Il connaît tout le monde et en plus il a de bons goûts. Donc il m’a proposé de collaborer avec tel ou tel artiste : Nicolas Godin, Myd, Bon Voyage Organisation… D’ailleurs, j’ai d’abord chanté sur le disque de Nicolas Godin. Il a aimé ma voix et c’est comme ça que ça a commencé ! Ça s’est aussi passé comme ça pour Myd. Je me suis fait tous ces amis et puis on s’est mis à travailler ensemble. C’est trop cool !

LVP : Sur cet album, tu es parvenu à rendre à la disco ses lettres de noblesse et à la rendre beaucoup plus contemporaine. Comment est-ce que tu t’y es pris ?

CB : Je pense que l’une des clés, c’est que je ne veux pas être dans la nostalgie, je ne veux pas que ma musique soit un voyage dans le temps. J’essaye vraiment d’ajouter un côté contemporain à la disco. Cela dit, je ne serais rien sans les musiciens avec qui je travaille. Les artistes français sont vraiment au point de ce côté-là ! Je crois qu’il faut être ouvert à la collaboration, savoir communiquer ses idées, ses intentions.

LVP : Ce qui frappe en premier lieu sur ce disque, c’est son titre, Prosthetic Boombox. Est-ce que nommer ton album ainsi était une manière pour toi d’être plus à l’aise avec ta propre identité et d’en faire un atout ?

CB : Oui, c’est ça ! Quand j’ai eu l’idée de ce titre, c’était d’abord pour le donner à un morceau. Quand je l’ai écrit, je me suis rendu compte que c’était comme faire le grand saut : beaucoup de personnes qui me connaissent savent que je porte une prothèse, mais il y a aussi énormément de gens qui ne le savent pas. Je porte toujours un pantalon donc pour beaucoup de monde, ce n’est pas évident. C’est vraiment à l’adolescence que j’ai pris conscience de tout ça.

C’était une question de réconciliation avec moi-même. J’ai enregistré ce morceau intitulé Prosthetic Boombox, je ne l’ai pas conservé sur l’album mais j’adorais le titre donc je l’ai donné à l’album en entier. Je pense qu’il fonctionne bien pour l’album parce que tous les morceaux s’inscrivent dans des registres très différents et se mélangent les uns les autres, c’est un peu comme si tu allumais une radio et que tu naviguais entre les stations… Sauf que c’est ma voix qui est au cœur de tous les programmes (rires).

LVP : La pochette de l’album aussi semble être une manière de jouer avec ton identité en proposant un mélange parfait entre ton identité personnelle et ton alias musical. Est-ce que c’est comme ça que tu l’as imaginée ?

CB : Quand j’ai commencé à réfléchir à la pochette de l’album avec mon équipe, on était inspirés par la pochette d’un disque de Thelonious Monk, Underground. On l’y voit devant son piano avec un officier nazi ligoté sur une chaise au second plan. Il y a énormément de choses dans la pièce, énormément d’éléments que tu remarques progressivement. On se disait que ce serait cool de faire une pochette de ce style, c’était le point de départ de notre réflexion.

À partir de cette idée, j’ai apporté des objets qui me sont chers, des éléments personnels, ce qui permet de dessiner ce contraste entre le côté très sérieux de la pochette et son aspect très enfantin. J’aime assez le défi qui consiste à parler d’un sujet sérieux sans être déprimant, en parvenant à rester optimiste et positif. Accrocheur, même. La pochette remplit aussi cet objectif.

LVP : Justement, ta musique réussit à être très engagée tout en restant très groovy et entraînante. Comment est-ce que tu parviens à combiner ces deux dimensions ?

CB : Je crois que c’est quelque chose de très conscient, chez moi, de toujours ramener mes opinions politiques sur la table sans paraître moralisateur ou ennuyeux. J’essaye de faire en sorte que ça reste accessible à tout le monde, de ne pas simplement toucher une certaine niche. En fait, je veux proposer un message qui est même plus révolutionnaire que politique.

Je crois qu’on peut faire ça en restant créatif, sans que ce soit trop évident ou trop lourd. Ce qui m’importe, c’est surtout de parvenir à toucher les gens autant qu’ils peuvent me toucher. C’est ce qui me permet de faire connaître les combats quotidiens que les gens traversent, leurs conditions de vie, pour chercher à les améliorer… ou au moins en faire prendre conscience. C’est ce que j’essaye de faire, mais encore une fois, j’essaye de le faire d’une manière qui ne soit pas déprimante.

LVP : Il y a quelques années, tu disais dans une interview que tu voulais que ta musique reste “pop et assez naïve”, mais que tu réfléchissais déjà à la rendre plus politique et plus engagée. Qu’est-ce qui t’a décidé à franchir le cap de faire des morceaux plus engagés ?

CB : Je crois que ça a à voir avec le fait que les morceaux qui composent l’album ont été écrits à des époques différentes, ma conscience politique était très différente à ces moments-là. Même quand j’ai commencé à travailler concrètement sur cet album, ma conscience politique était très différente de ce qu’elle peut être maintenant.

Je pense qu’il y a sur cet album certains titres qui sont politiques et d’autres qui ne le sont pas vraiment, ou en tout cas de manière moins flagrante. En fait, j’ai surtout fini par comprendre que tout est politique, même dans notre vie quotidienne. Ne pas en parler, c’est servir les intérêts de la bourgeoisie. Tu ne peux pas séparer l’art de la politique. Avant cet album, j’avais un single, All Power to the People, qui était très politique de manière beaucoup plus explicite. J’aime toujours beaucoup ce morceau, mais je me suis rendu compte que je pouvais être beaucoup plus proche des gens, connecté à eux de manière plus profonde en comprenant leur vie quotidienne. C’est plus profond que de simplement scander : “Je suis un gauchiste ! Révolution !”. Je veux juste que ma musique puisse refléter leur vie et les encourager à se rebeller, à se battre pour qu’elle soit meilleure. Ce sont eux qui vont écrire l’Histoire. Moi, je suis juste là pour faire en sorte que ma musique en témoigne.

LVP : Comment est-ce que tu le définirais au fond, cet album ?

CB : Mmh… C’est de la musique populaire !

LVP : On peut dire que c’est en France que tu as véritablement lancé ta carrière solo, au moment de ta rencontre avec Record Makers. Qu’est-ce que tu as trouvé en France qu’il te manquait aux États-Unis ?

CB : Quel que soit l’endroit où tu vas, tu peux toujours trouver des avantages et des inconvénients. C’est souvent une affaire de personnes, bien sûr.

Il y a beaucoup de différences entre la France et les Etats-Unis. Venir en France m’a apporté de nouvelles perspectives d’un point de vue musical. Quand j’ai commencé à travailler avec Record Makers, je voulais vraiment sortir mes morceaux mais je ne savais pas comment faire. Je me contentais de les mettre sur SoundCloud en espérant que les gens les aimeraient. Ce sont les premiers à avoir cru en moi et c’est tout ce qu’il me fallait. Franchement, mes démos étaient… pfiou… brutes, on va dire (rires) ! Je suis très reconnaissant envers l’équipe de Record Makers d’y avoir trouvé du charme et du potentiel.

LVP : En quelques années à peine, tu es passé des petites salles au scènes des plus grands festivals et tu travailles désormais avec des artistes renommés (MGMT, infinite bisous, Nicolas Godin…). Comment est-ce que tu as géré ce changement soudain ?

CB : Le plus important, c’est que je me suis attaché à ne jamais me séparer des gens. J’essaye de ne pas être arrogant, de ne pas me croire meilleur que les autres… Souvent, les artistes ont tendance à rester entre eux, mais je n’ai jamais été ce genre de personne. Ce sont les gens qui m’inspirent, j’essaye de rester auprès d’eux pour garder les pieds sur Terre.

Parfois, on a tendance à prendre les choses comme acquises et à ne pas prendre de recul par rapport à ce qui arrive. Je pense que c’est un écueil à éviter.

LVP : Pour terminer, est-ce que tu peux partager avec nous un coup de cœur musical récent ?

CB : Je dirais Erika de Casier. Elle est dans mon radar depuis un moment, elle est incroyable.


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