On a pris part à la fête de Tinariwen au Casino
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Auteur·ice : Victor Houillon
18/11/2019

On a pris part à la fête de Tinariwen au Casino

Tinariwen, ou la culture du paradoxe. Une formation à la fois énormément estimée par les connaisseurs et finalement assez peu connue du grand public. Des nomades ouest-africains qui citent le blues de Jimi Hendrix comme inspiration. Des odes à la culture touareg chantées en tamasheq, qui font pourtant mouche en France ou aux États-Unis. Rencontre surréaliste au Casino.

Si on vous disait que le point commun entre Santana, Kurt Vile et les Red Hot Chili Peppers se trouvait au beau milieu du désert, entre l’Algérie et le Mali, on ne vous en voudrait pas d’être dubitatif. Et pourtant, tous ces illustres artistes sont fans de Tinariwen, cette formation touareg à géométrie variable. Petit exposé rapide. Tinariwen signifie “les déserts” en tamasheq, un dialecte berbère. Plus qu’un groupe classique, ce qui se cache derrière ce nom tient plutôt d’une grande famille, d’un courant musical, voire d’un mouvement culturel. La musique qui en résulte est appelée assouf (solitude, nostalgie), synthèse de blues et de musique traditionnelle créée dans l’exil et la souffrance. Une esthétique à la fois festive, mélancolique et politique. Trois éléments omniprésents lors de leur passage dans un Casino de Paris plein comme un œuf.

 

La festivité, tout d’abord. On a rarement senti autant de positivité dans un public, au point d’avoir l’impression de faire partie d’un tout sans comprendre un seul mot. Ici et là, les gens se tournaient spontanément les uns vers les autres pour danser et communier, transformant le Casino en salle des fêtes. Il faut dire que le duo de musiciens aux percussions a fait preuve d’une maîtrise dardée de spontanéité, sur laquelle on ne peut rester de marbre. À vrai dire, on ne s’était pas laissé aller de la sorte depuis le concert de … Tamikrest, autre formation du désert de Kidal.

La Mélancolie, ensuite. Comme le blues, l’assouf est une musique qui tire ses racines d’une certaine souffrance. Ces chansons sont composées face à l’immensité du désert, et tournoient autour de la notion d’exil. Comme dépourvus d’ego, les membres de Tinariwen tissent ensemble une toile douce et onirique, en entremêlant les lignes harmoniques. Même si elles peuvent s’étendre de longues minutes, leurs compositions se limitent au nombre d’accords le plus succinct. Entre les moments de liesse, on se laisse donc aller à rêvasser en observant les images tournées au cœur du peuple tamazigh, projetées sur une toile de tente géante, pour une scénographie toute en subtilité.

La politique, enfin. Drôle de contraste tant ces chansons sont douces à l’oreille, mais la dimension activiste de Tinariwen est belle et bien omniprésente. Comme nous l’avait expliqué Ousmane de Tamikrest, le dialecte tamasheq n’est pas enseigné dans les écoles. Coincée entre un gouvernement malien qui cherche à l’effacer et des groupes terroristes, cette culture berbère trouve son salut dans ces chansons, sortes de capsules temporelles d’une langue qui se meurt. La musique ou l’oubli, en somme.

C’est justement ce brassage d’esthétiques qui a rendu ce moment si spécial. Dans la salle, les rockeurs occidentaux ont côtoyé les personnes en tenue traditionnelle, et il y avait de la poésie à voir un des leaders Ibrahim esquisser des pas de danse avec l’ingé son en t-shirt Hellfest. Un moment hors du temps, où l’on ne sait plus trop où on est. Mais assurément un moment d’exception. On ne remerciera jamais assez Josh Klinghoffer (guitariste des Red Hot) d’avoir apporté un peu de lumière sur eux. Une lumière que ces artistes fantastiques ont depuis largement éclipsée.