Producteur, multi-instrumentiste, mais aussi auteur, compositeur, interprète, et surtout artiste avant tout, Jasper Maekelberg multiplie les casquettes et déroule un CV à faire pâlir de jalousie. Balthazar, Warhaus, J. Bernardt, Sylvie Kreusch ou encore Tsar B : la scène indie belge n’a plus de mystère pour ses mains expertes en production. Son premier album sous le nom de Faces On TV, Night Funeral, avait déjà attisé la curiosité de nos oreilles en 2018. Nous l’avons rencontré aujourd’hui pour la sortie de Keep Me Close, un nouvel EP qui nous offre du groove et de l’amour pour les mois à venir.
La Vague Parallèle : Salut Jasper, certain·es te connaissent déjà pour ton engagement auprès d’autres groupes, mais nous te recevons ici pour ton propre projet, Faces On TV. Avant de parler de ton nouvel EP, veux-tu te présenter un petit peu ?
Jasper : Eh bien me voilà, profitant du dernier jour de l’été, j’en ai bien peur. Je suis heureux de pouvoir enfin sortir mon EP, et d’avoir enfin également quelques concerts programmés bientôt !
LVP : À ce propos, tu as dû repousser ta tournée prévue au printemps dernier à cet automne. Comment as-tu ressenti ce retournement de situation ?
Jasper : Je me souviens avoir joué sur scène un mercredi juste avant que le confinement ne soit annoncé ici. C’était un test pour finaliser la préparation de la tournée qui devait débuter le lundi suivant. Le confinement a donc commencé pile au début de notre tournée, c’était déprimant ! C’est pourquoi j’ai vraiment hâte de pouvoir jouer ces morceaux sur scène. Pour moi, ça fait partie intégrante du processus de création de musique.
LVP : Ces derniers mois, on a pu te voir défendre tes morceaux seul sur scène entouré de tous tes instruments, en première partie de Balthazar par exemple. Comment prévoies-tu de présenter ce nouvel EP sur scène ?
Jasper : Je jouerai de nouveau avec mon groupe. Je suis impatient car, comme tu l’as précisé, j’ai composé cet EP entouré de tous les instruments que j’avais choisis, et c’était en réalité plutôt tous les instruments qui rentraient dans ma voiture (rires) ! J’ai donc dû sélectionner ceux que je préférais, et j’ai gardé une boîte à rythmes, un synthétiseur de basse, ma guitare, quelques percussions, et quelques loop stations. C’était tout ce qui rentrait dans ma voiture pour partir en tournée. Je suis donc vraiment impatient de donner à ces chansons que j’ai composées dans cette perspective une nouvelle vie avec le groupe.
LVP : Tu sors ton nouvel EP, Keep Me Close, dont la plupart des titres ont déjà été dévoilés ces derniers mois. Certains d’entre eux ont été composés à jusqu’à 6 mois d’intervalle, et pourtant tout prend sens regroupé au sein du même EP. Le fait qu’ils appartenaient au même ensemble, c’était une évidence dès le début ?
Jasper : Oui, car j’ai terminé de les composer à divers moments, mais le cœur de ces morceaux était déjà là avant le confinement. Pour moi, c’est l’histoire que je veux réellement raconter avec cet EP. Ces cinq titres font parfaitement sens ensemble à mes yeux.
LVP : L’amour est un thème récurrent sur ce nouvel EP.
Jasper : Oui, encore !
LVP : Tu abordais déjà ce sujet dans ton premier album, Night Funeral, mais il est le fil conducteur de tes nouveaux morceaux. Parler d’amour en musique est depuis des siècles associé aux sentiments, et notamment à la tristesse, qui est ici plutôt absente. D’où t’est venue l’envie de choisir cette approche plus douce du sujet ?
Jasper : Mon premier album était très triste. J’étais dans une perspective de vie totalement différente lorsque j’ai composé les morceaux de Night Funeral. Quand j’ai commencé à jouer ce disque sur scène, l’atmosphère de la tournée et les réactions du public lui ont permis d’évoluer vers quelque chose de plus ouvert. Ça a donné une toute nouvelle dimension au disque. J’ai donc composé les nouveaux morceaux dans cet esprit beaucoup plus libre. C’est la raison pour laquelle je suis enthousiaste à l’idée de la sortie de l’EP.
LVP : Le clip de Womba et la pochette de ton EP revêtent des couleurs, des costumes et une mise en scène plutôt rétro. De plus, à l’écoute des titres, on ne distingue pas d’ancrage spécifique au monde de nos jours. Était-ce une volonté de donner un caractère intemporel à tes morceaux ?
Jasper : Je ne réfléchis pas vraiment dans ce sens lorsque je compose ou je produis de la musique. Je voue un amour éternel au vintage des années 60-75, et je pense que c’est entré dans mon ADN. Pour cet EP, j’ai pris cette boîte à rythmes des années 80 qui rentrait dans ma voiture et je l’ai épicée avec mon amour pour les couleurs des années 60-70. Il y a aussi le sentiment d’être présent ici et aujourd’hui, en 2020. Je pense que ce mélange d’époques crée un sentiment d’intemporalité, oui. Mais c’est plutôt intuitif, je n’y pense pas réellement, tu m’as surpris en train de m’analyser moi-même (rires).
LVP : L’image semble occuper une place importante dans ta musique. Tu as expliqué avoir écrit Time After Time en ayant en tête l’impression de rouler en Floride face au coucher du soleil avec les cheveux dans le vent. Tu as également composé Keep Me Close en t’inspirant d’un cliché d’une exposition du photographe Stephan Vanfleteren. Est-ce un processus nouveau pour toi et propre à cet EP ?
Jasper : Chaque fois que je compose ou que je produis de la musique, et même simplement quand j’en écoute, j’ai une connexion très forte avec des images dans ma tête. C’est un peu comme un tableau. Le guitariste devient cette petite plante qui a cette couleur spécifique sur le côté droit, et la batterie, quant à elle, devient un songe… C’est comme ça que j’écoute la musique, que je vois la musique. Et plus je m’affaire à la musique, plus ces images deviennent précises. Pour moi, c’est naturel de la voir de manière abstraite. Je n’avais donc pas un grand pas à franchir pour travailler à partir d’une image réelle. Mais c’était néanmoins la première fois que j’étais inspiré par un cliché concret de Stefan Vanfleteren.
LVP : Est-ce qu’il est ainsi important pour toi d’avoir des clips qui correspondent aux images que tu visualises en composant ?
Jasper : Oui. C’est difficile de réaliser un bon clip, et pour moi celui de Womba représente plutôt une célébration. Ça correspond au sentiment que je souhaite que les gens perçoivent à l’écoute du morceau. Ça place le titre, ou même plutôt l’EP en entier, dans la lumière que j’ai voulu lui donner.
LVP : On ressent qu’être un artiste multi-instrumentiste apporte beaucoup à ta musique, dans la diversité des sons mais aussi dans tes influences variées. Est-ce que tu te sens plus libre de créer et retranscrire ce que tu souhaites en musique ?
Jasper : C’est finalement compliqué d’avoir toutes ces options (rires), car les morceaux ne sont jamais terminés ! Pour moi, il était plutôt question de me libérer en utilisant seulement les instruments qui rentraient dans ma voiture. À mes yeux, fixer des limites me permet d’être plus créatif.
LVP : Alors, quand as-tu le sentiment qu’un morceau est terminé ?
Jasper : Jamais, en réalité (rires). Il existe toujours tellement d’options ! Mais pour ce disque j’ai réussi à prendre plus de recul. Quand le morceau a le sens que j’ai envie de lui donner, je le considère maintenant terminé. C’est ce que je me répétais à moi-même quand je travaillais sur cet EP, et je pense que ça a plutôt fonctionné. Je ne sais pas si ça s’entend, mais ces titres me paraissent plus naturels que ceux de l’album précédent.
LVP : Comment procèdes-tu pour la composition et en studio ? Est-ce que tu joues toi-même tous les instruments ou bien fais-tu appel à d’autres musicien·nes ?
Jasper : Je pense que je joue la plupart des instruments. Sur Time After Time j’ai fait appel à Pomrad, un joueur de synthé absolument génial. C’est lui qui joue du Wurlitzer sur ce titre. Je travaille aussi régulièrement avec un très bon percussionniste, et j’ai réussi à avoir quelques femmes qui font les chœurs dans mes morceaux.
LVP : À ce propos, je pense par exemple à la présence de chœurs féminins que l’on retrouve chez Warhaus mais également dans de nombreux morceaux de Faces On TV. Dans quelle mesure ton rôle de producteur ou même de musicien au sein d’autres projets est-il une source d’inspiration non seulement pour ta musique, mais aussi pour celle des autres ?
Jasper : Il y a Jasper le compositeur, Jasper le producteur, et même Jasper le musicien sur scène. Je dois garder l’équilibre entre tous ces personnages, mais ils s’influencent beaucoup car c’est quand même toujours moi. Je prends cependant la peau d’un personnage différent chaque fois que je m’attèle à une autre tâche. Évidemment, tous les musiciens et compositeurs avec qui j’ai eu la chance de travailler m’ont également beaucoup inspiré.
LVP : Tu parles néerlandais depuis ton enfance et chantes en langue anglaise depuis les débuts de Faces On TV. Pourquoi as-tu choisi cette langue ?
Jasper : Il y a pour moi plus de musicalité dans la langue anglaise qu’en néerlandais. Je pense même que la langue française est encore plus musicale. Je ne suis pas assez bon en français, sinon je chanterais dans cette langue car je trouve ça plus sexy. Ma prononciation du [ʀ] n’est pas encore parfaite, mais j’y arriverai un jour (rires) ! Aussi, toute la musique que j’ai toujours écoutée et que j’écoute aujourd’hui reste pour la plupart en anglais.
LVP : Tu es très présent auprès de la scène belge, non seulement confirmée comme Balthazar, mais également émergente. Nous avons pu t’écouter par exemple il y a quelques mois reprendre un morceau de Leonard Cohen avec Glauque pour la RTBF. Est-ce qu’il existe aujourd’hui un autre artiste émergent que tu aimerais bien produire ou avec qui ça te plairait de collaborer ?
Jasper : Très bonne question… Pas vraiment ! Aujourd’hui, aucun artiste émergent dont personne n’aurait entendu parler ne me vient à l’esprit. Mais j’ai fait un EP avec Tin Fingers il y a longtemps, et je pense qu’il est temps que Felix (Machtelinckx, le chanteur de Tin Fingers, ndlr) fasse quelque chose de nouveau. Ce serait cool de le recontacter pour passer un peu de temps avec lui !
Faces On TV se produira en live à Bruges le 6 novembre, à Gent le 10 novembre, ainsi qu’à Bruxelles à l’Ancienne Belgique le 11 novembre prochain. On vous conseille déjà de réviser vos meilleurs moves des bras et de la tête pour ces concerts assis qui s’annoncent flamboyants.
En perpétuelle recherche d’épaules solides sur lesquelles me hisser pour apercevoir la scène, je passe mes concerts à faire les chœurs depuis la foule.