On vous l’a déjà dit : on a beaucoup aimé le premier EP de Gabriel Tur, Papillon Blanc, pour son extraordinaire capacité à rendre le quotidien plus poétique. On est donc parti à la rencontre de son créateur, pour discuter avec lui de ses secrets de fabrication, de ses influences et de son avenir.
La Vague Parallèle : Hello Gabriel ! Comment s’est passé ton été ?
Gabriel Tur : C’était forcément un été différent des autres, notamment parce qu’il n’y avait pas le festival d’Avignon, auquel je suis un peu abonné. À la place, j’ai beaucoup surfé, je me suis découvert une vraie passion pour le surf.
Bien sûr, j’ai aussi préparé la sortie de mon premier EP, Papillon Blanc, et j’ai fait un clip pour mon morceau Biscuit. C’était un été assez sportif, on va dire (rires) !
LVP : Après une Mosaïque il y a quelques mois, c’est ta première véritable interview pour La Vague Parallèle. Est-ce que tu peux te présenter en quelques mots, pour celles et ceux qui ne te connaîtraient pas encore ?
GT : Pour ce qui est de la présentation un peu classique, je dirais que je suis musicien, auteur-compositeur et aussi metteur en scène et acteur de théâtre.
Pour ce qui est un peu moins conventionnel, je me définis comme un touche-à-tout, je suis très curieux. J’aime bien être aventurier et c’est ce que je cherche dans mon travail : le ratage, l’accident, la chute. En live, j’essaye de me bousculer moi-même, de remettre en cause mon confort et je pense que ça me vient du théâtre. C’est un milieu dans lequel on essaye de sortir de sa zone de confort pour aller chercher la réaction du public et les questionnements qui en découlent. Je ne sais pas si ça s’entend aussi nettement sur mon disque, mais je crois que les morceaux qui le composent ont une certaine façon d’être, une construction particulière.
Sinon, j’ai grandi dans le sud de la France, à Béziers, et je n’en suis pas fier politiquement, même si ce serait trop triste de réduire la ville à ça, car il s’y est aussi développé toute une scène artistique très intéressante. J’ai également vécu à Marseille, j’ai eu un label là-bas. Je suis un peu un baroudeur !
LVP : De notre côté, on t’a découvert en live dès 2018, et tu as fait un certain nombre de concerts depuis. Tu as pris le temps de mûrir ton projet sur scène avant de sortir ton premier EP, il y a quelques jours à peine. Est-ce que tu peux revenir sur ce choix ?
GT : En fait, le projet s’est vraiment écrit de cette manière. On a construit les trois quarts de ce disque à deux, avec Jean Thévenin (Jaune, NDLR), qui m’accompagne sur scène et en studio, et j’ai fait le reste tout seul.
On a écrit les titres au fil des concerts et des résidences, au 104, aux Trois Baudets, et c’était important pour moi qu’ils portent une véritable dimension physique. Dans ces morceaux, on travaille d’abord sur l’intellect de l’auditeur, puis on essaye de le faire danser, de le faire lâcher-prise, moins penser aux paroles. Ça s’est fait de manière assez instinctive en live et on a gardé ça sur le disque par la suite.
LVP : Avant ce projet, tu as aussi eu d’autres projets musicaux, notamment un groupe de rock psychédélique. Quelle influence est-ce que ça a eu sur ta musique ? Est-ce que ce rapport à la scène vient de là ?
GT : Je crois que ça m’a apporté une certaine curiosité et une certaine liberté dans la forme que prend ma musique. Quand tu es ado, pétri de la musique de The Brian Jonestown Massacre, de Pink Floyd, de Godspeed You! Black Emperor, de ces groupes qui font des morceaux de trois quarts d’heures et que tu n’écoutes que ça, tu ne te rends pas forcément compte que c’est une musique assez étrange, hors-format. Ce premier EP, par rapport à mon passé de “rockeur”, c’est de la musique sucrée, easy. Ce serait presque de la musique banale (rires) !
Le théâtre m’a aussi ouvert à d’autres musiques comme le jazz ou le classique, que j’aime beaucoup chanter d’ailleurs. C’est un univers personnel que j’ai construit petit à petit, et c’est vrai que ces différentes expériences m’ont beaucoup influencé.
LVP : Et justement, pour ce premier EP, quelles ont été tes influences ?
GT : Au lycée et à la fac, j’avais donc un groupe de musique, Cyd Jolly Roger, avec lequel on faisait des morceaux assez longs. Ensuite, pendant ma première année d’école de musique à Cannes, j’étais un peu plus isolé et je m’étais acheté un peu de matos pour faire un album tout seul. En le réécoutant quelques années plus tard, après avoir découvert Flavien Berger, je me suis dit que c’était quelque chose de ce genre-là que j’avais essayé d’initier : faire des trucs très psychédéliques avec des synthés cheaps à la Ariel Pink, tout en chantant des trucs à moitié en français et à moitié en anglais, en commençant à m’amuser avec la langue.
Justement, les auteurs que j’ai côtoyés au théâtre m’ont vraiment poussé à m’intéresser à la langue, et peut-être que quand tu retrouves du William Sheller dans mes textes, c’est parce que c’est un artiste qui a une écriture particulière, qui est une écriture d’auteur. C’est une vision de langue que partagent aussi des Souchon, des Bashung, des Ferré, qui consiste à utiliser des mots du quotidien avec un petit décalage personnel, une manière propre de jouer avec la syntaxe…
Le premier morceau sur lequel je me suis senti à l’aise en français, c’était La Mouette, pour le spectacle qu’on avait monté avec Le Grand Cerf Bleu. Il était justement assez “shellerien” : j’étais seul au piano pendant le spectacle. Ce qui est drôle, c’est qu’à ce moment-là, je ne connaissais pas vraiment William Sheller. Mais c’est vrai que ma manière d’inventer des mélodies en français et la couleur de ma voix font penser à lui.
LVP : Beaucoup d’artistes se construisent un univers fantastique pour voyager et transporter leur public. Toi, au contraire, tu t’inspires beaucoup du quotidien, dans lequel tu instilles magie et poésie. Qu’est-ce qui t’inspire autant dans la vie quotidienne ?
GT : Souvent, j’ai l’idée d’un personnage ou je suis inspiré par une pièce de théâtre qui me fait réfléchir à un thème assez concret. Ce n’est pas plus compliqué que ça. Pour Partez Devant, par exemple, on a travaillé avec un auteur et deux amis qui ont écrit une pièce sur un mec qui a fait de grandes études et qui décide de rester volontairement en retrait, de ne pas travailler, pour profiter de sa grand-mère, des choses simples de la vie. Quand on travaille en tant qu’acteur, on s’imbibe totalement des personnages et des problématiques, et ça me vient parfois comme ça.
Pour Biscuit, c’est Hadrien Bouvier, un ancien membre de Catastrophe, qui m’a inspiré : pour mon anniversaire, il m’avait récité un haïku, complètement bourré, à cinq heures du matin, en me disant : “voilà, je te l’offre, fais-en ce que tu veux”. Sur le moment, j’ai trouvé ça génial et ce haïku a donné naissance aux deux premières phrases du morceau. Ce sont des petits moments du quotidien qui te permettent de déployer tout un imaginaire, autour de situations assez banales. J’ai aussi l’habitude de travailler en improvisation, avec des moteurs de jeu, des mécaniques de théâtre… Dans mon rapport au texte et au spectateur, j’essaye toujours de faire marcher l’imaginaire pour donner à réfléchir.
En fait, ce n’est pas particulièrement mon quotidien qui m’inspire, parce que c’est le quotidien d’un jeune Blanc favorisé, issu de la bourgeoisie de province, qui fait du théâtre, qui est en couple avec la même meuf depuis 8 ans et pour qui tout va bien. C’est heureux et ça n’a pas grand intérêt (rires) !
LVP : Tu as déjà expérimenté plusieurs formules en live : seul, avec Jaune… Comment est-ce que tu comptes faire vivre cet EP sur scène ?
GT : Je vais continuer ce duo avec Jaune, parce que c’est quelque chose qui fonctionne depuis le début du projet. Dans l’idéal, j’aimerais bien qu’il y ait un ou deux musiciens supplémentaires, et qu’il y ait une parité entre femmes et hommes sur scène. Je voudrais ajouter une dimension supplémentaire au concert, pour pouvoir ensuite enregistrer les morceaux du prochain EP en conditions live. Comme l’enregistrement de ce premier disque s’est beaucoup étalé dans le temps, on a enregistré les morceaux piste par piste, et cette fois, je voudrais restituer quelque chose de plus live.
Dans l’économie actuelle, quand tu n’as pas de tourneur ni d’entourage très développé, c’est compliqué financièrement, mais je m’adapterai aux différentes salles pour pouvoir proposer plusieurs formules.
LVP : Tu parles d’un deuxième EP, sur lequel tu travailles. C’est quoi la suite pour toi ?
GT : Oui, ce sera un deuxième EP, que je vais essayer de sortir rapidement. Les morceaux sont déjà prêts, il ne me reste qu’à les répéter et les enregistrer. Je ne suis pas toujours très réaliste sur mes plannings, mais je pense que je vais essayer de le sortir avant l’été prochain (rires) !
En tout cas, c’est sûr qu’il sera plus live et plus dansant, car c’est aussi une dimension qui est importante pour moi, et qui peut créer une jolie surprise en live.
LVP : Pour terminer, est-ce que tu aurais un coup de cœur récent à nous partager ?
GT : Je dirais Gong!, le live de Catastrophe. Il est vraiment super ! Le concert, le concept, tout était génial ! Je me retrouve beaucoup dans leur démarche, dans cette capacité à surprendre en convoquant plusieurs émotions. Il y a des artistes qui t’émeuvent ou qui te font rire, mais c’est la seule émotion qu’ils te procurent. J’ai envie de proposer quelque chose de varié, pour pouvoir piocher dans toutes mes influences.
Pratiquant assidu du headbang nonchalant en milieu festif. Je dégaine mon stylo entre deux mouvements de tête.