Les cinq lascars de Parcels sont en quelque sorte des êtres humains augmentés. Ils sont plus jeunes que nous (peut-être), surfent mieux (sûrement) et bien meilleurs musiciens (assurément). Après un premier EP dynamite qui a propulsé les Australiens depuis Berlin jusqu’aux meilleurs concerts parisiens, puis un atterrissage à Coachella avec leur debut album, les voilà de retour avec Day/Night, double disque à la fois live, orchestral, intime et grandiose. On en a profité pour discuter avec Noah (basse, chant) et Toto (batterie) de musique, bien entendu, mais aussi et surtout d’attention et de connexion entre les uns et les autres.
La Vague Parallèle : Hello les gars, comment allez-vous ?
Noah : On est à Paris depuis deux semaines, à faire pas mal de promo. On est fatigué, mais c’est un réel plaisir car c’est la première fois qu’on peut discuter de ce dernier projet, et il y a tellement de choses à dire à tous les étages… On se sent bien !
LVP : Ce projet, c’est un double album très chargé et diversifié. Si le premier EP était efficace et évident, l’album suivant amenait une couleur plus pop. Cette fois-ci, l’idée était de s’affranchir de toutes limitations ?
Noah : Nous sommes partis d’un concept, d’une intention. À partir de là, tout était possible. Aucune limitation. On s’est affranchi des boîtes à rythmes pour aller vers un objet le plus organique possible, pour délivrer un message. Il est diversifié dans son essence.
LVP : Quel a été le point de départ ?
Toto : Nous étions à Coachella pour la première fois, en 2019. Il y avait ce sentiment d’arriver tout en haut du monde. Pourtant, on a vu pas mal de projets qui se ressemblaient. Puis, on a découvert un set sombre, agressif, qui sortait du lot. À force de tourner, on tombait petit à petit dans une routine, et ce côté abrasif et différent nous a tout de suite attiré. Sans vouloir non plus rompre avec l’esthétique que nous avions déjà. De là est venue l’idée de prendre deux chemins séparés, avec d’un côté la lumière et de l’autre côté l’ombre. C’est drôle, quand je l’écoute maintenant, je me dis que Night n’est pas non plus si sombre (rires). Mais l’idée était là.
Noah : Dans mon esprit, tu peux soit mettre tous les éléments qu’on a utilisés (que ce soit la disco, l’électro, ou les harmonies) dans une chanson pour obtenir un certain son, ou tu peux séparer ces éléments et te focaliser sur ce qu’ils peuvent apporter et signifier au cours d’un album. Donc, le côté harmonique sur l’album Day et électronique sur Night. Mais le voyage qui nous a menés depuis Coachella à aujourd’hui a amené d’autres dualités ; cité/nature, intérieur/extérieur…
Toto : Maintenant qu’on en parle, je réalise que n’importe quel concept démarre d’une manière beaucoup plus stricte que le résultat final. Je voyais vraiment ce double album tout blanc ou tout noir à l’origine, et en passant ce projet de concept à objet, c’est devenu plus nuancé. C’est donc surtout important d’avoir un concept fort pour toujours en ressortir l’énergie, l’ambition, une fois toutes les nuances apportées.
Day, c’est le son qu’on connaît, qu’on maîtrise et qu’on aime. Night nous sort un peu plus de notre zone de confort.
LVP : On comprend dans ce que vous dites que la deuxième partie relève plus d’un challenge, de quelque chose de nouveau. Vous souhaitez que le public l’apprécie différemment ?
Toto : On souhaitait vraiment que les deux disques puissent se suffire à eux-mêmes, qu’ils se challengent l’un l’autre, et pas que l’un soit très commercial et l’autre très underground. Day, c’est le son qu’on connaît, qu’on maîtrise et qu’on aime. Night nous sort un peu plus de notre zone de confort.
Noah : Night représente la partie sombre de toi-même. Il sert à l’introspection, à l’acceptation de cette part sombre. C’est quelque chose qu’on n’avait jamais vraiment fait, en tant que groupe mais aussi en tant qu’humains. Certaines chansons sont émotionnellement intenses.
LVP : Comment comptez-vous appliquer cette vision en concert ?
Toto : On a tellement d’idées (rires) ! On en parle constamment depuis deux ans.
Noah : On a évoqué l’idée de faire deux concerts séparés, un le jour et un la nuit. Parfois, on pense plutôt laisser le concert s’affranchir de ces deux albums pour devenir une bête disco à part.
Toto : Il faudra aussi distinguer les sets de 45 minutes en festival comme des moments fun, joyeux, et ceux plus longs sur nos propres shows. Quand tu vas en club, tu peux y rester quatre heures en écoutant le même dj sans t’ennuyer car tu ne passes pas tout ce temps à regarder le DJ. Ça serait top de faire ça avec un groupe, enchaînant les hauts et les bas, et que les gens soient au courant que nous jouerions quatre heures. Les gens pourraient aller au bar, discuter, fumer une cigarette, revenir sur le dancefloor.
Peut-on aller vers les ballades, en sommes-nous capables ?
LVP : Tu parlais de haut et de bas. Sur des chansons comme Reflex ou Once, on découvre une production et des paroles plus intimistes. Que représente ce côté fragile, exposé, à vos yeux ?
Noah : Reflex est venu de Jules. Quand il nous l’a montré, la chanson était déjà plus ou moins finie, une vraie ballade piano-voix émotionnelle. Très brute, très personnelle. Elle a servi de déclic, mais on s’est tout de même demandé « Peut-on aller vers les ballades, en sommes-nous capables ? ». On a même envisagé d’avoir une artiste féminine pour chanter le morceau car Jules ne se sentait pas forcément légitime. On a su le convaincre qu’il avait ça en lui. C’était un moment spécial. Je me rappelle m’être dit qu’il fallait absolument que ça finisse sur l’album.
Toto : De manière générale, c’était assez nouveau pour nous, mais on a beaucoup parlé des raisons derrière les chansons que chacun amenait. Cela nous a permis de chacun prendre conscience des sentiments derrière une compo, et donc de tous tendre en ce sens au moment d’ajouter nos petites touches.
Noah : On a réussi à se connecter encore davantage. Finalement, qui écrivait une chanson n’importait pas. C’est comme si on avait fait un effort commun et conscient avec une volonté de mettre les paroles plus en avant pour toucher les gens. Et se toucher soi-même, d’ailleurs. Au-delà des chansons que tu entends, on s’est davantage dévoilé dans la vulnérabilité entre nous en communiquant sur ce qu’on ressentait. Une ouverture d’esprit qui, je pense, se retrouve dans notre musique désormais.
Sur le volet émotionnel, on a passé beaucoup de temps à échanger sur les deux dernières années. Avant, nous étions juste cinq jeunes qui faisaient de la musique avant de rentrer dormir (rires).
LVP : En quelques années, vous êtes passés de cinq jeunes australiens dans un petit appart berlinois à un groupe qui enchaîne les succès. Cela a-t-il affecté les relations personnelles entre vous ?
Noah : Ça a pu être délicat à certains moments. Ça te force à apprendre des leçons sur la communication et l’humanité plus rapidement qu’ailleurs.
Toto : C’est devenu beaucoup plus sérieux (rires). Je me pose souvent cette question. Les choses que nous rencontrons en tant que groupe, la dynamique dont tu parles, je me demande si les autres groupes y font face.
Noah : Absolument, c’est pareil pour tout le monde. Et d’ailleurs, beaucoup de groupes se séparent à cause de tensions.
Toto : Oui… Je dirais tout de même que, pour moi, on est tous respectueux et à l’écoute les uns des autres. Il n’y a pas de diva parmi les cinq qui commence à partir hors de contrôle. Sur le volet émotionnel, on passe beaucoup de temps à échanger sur les deux dernières années. Avant, nous étions juste cinq jeunes qui faisaient de la musique avant de rentrer dormir (rires).
Noah : Et peut-être qu’à cette époque, il y avait de nombreuses choses qui étaient pensées sans être dites, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. De toute manière, la musique est un art très émotionnel. Pour arriver à le faire avec cinq personnes, il faut te sentir stable au milieu de tous. Parfois, on ne fait même pas de musique, on parle pendant quatre heures et on rentre (rires). C’est en soi un bon exercice. Je trouve qu’on se débrouille plutôt pas mal entre nous, et on s’améliore à chaque étape du voyage en faisant attention à chacun.
Toto : Je suis plutôt fier de nous (rires).
LVP : Cet équilibre doit être très difficile à maintenir quand vous tournez autant.
Toto : C’est sûr ! Et cette année, malgré le fait que j’aurais adoré pouvoir tourner comme d’habitude, ça a été agréable d’avoir un temps de repos. Dès que le monde va repartir à 100%, on risque de repartir dans ce rythme effréné de travail.
Noah : On en revient à cette idée d’entraînement et de faire attention les uns aux autres. Sur la prochaine tournée, il faudra être d’autant plus vigilants.
Chaque chanson était le chapitre d’un film dans nos esprits.
LVP : Que ce soit au niveau des productions, des choix musicaux ou même des vêtements, on ressent que l’esthétique globale du projet a une valeur presque similaire aux compositions dans votre groupe. Comment articulez-vous tout ça ?
Noah : Pour ce qui est de la production, nous sommes devenus moins pointilleux. Tu peux être un geek de synthés, avoir toutes les pédales de guitare que tu veux, la réalité est qu’une chanson dépend surtout de sa composition, c’est un sentiment organique. Tu as juste besoin d’une guitare, d’un piano ou d’un Rhodes. Avec ce double album, on revient sur un set-up assez classique, finalement. On le voulait live.
Pour ce qui est de l’aspect visuel, l’idée était de faire quelque chose de cinématographique avec cet album. C’est ce qui nous a amenés vers ces arrangements orchestraux. On souhaitait vraiment avoir cette vision de la musique, même depuis le studio de répétition. Par exemple, le lever de soleil sur l’océan ou un instant dans le cycle Day/Night. Comme si chaque chanson était le chapitre d’un film dans nos esprits. Enfin, pour ce qui est des vêtements, par le passé nous étions vraiment concernés par comment nous nous habillions en tant que groupe.
Toto : Pourquoi me regardes-tu en disant cela (rires) ?
Noah : Je pense que nous avons désormais chacun trouvé notre style individuel plutôt que de chercher à être assortis.
Toto : Au-delà du style, nous avons toujours eu nos propres personnalités. C’est vrai que par le passé, nous avions une valise de vêtements de scène. Pour mettre en valeur le fait que nous sommes un groupe, tous égaux, l’aspect visuel était important au début. Il y avait l’exemple des Beatles, dont on connaît chaque membre individuellement, mais qui étaient toujours assortis. Petit à petit, on aime se détacher de ça pour montrer qu’on est chacun une personne différente et les habits sont une manière d’affirmer nos personnalités. Plutôt que les Beatles, nous pouvons être les Red Hot Chili Peppers (rires).
LVP : Sur la section commentaires de Live Vol. 1, il y avait d’ailleurs ce commentaire qui disait « on dirait qu’ils viennent chacun d’une décennie différente ».
Noah : On nous le dit souvent.
Toto : Je viens de laquelle moi, les 50s ?
LVP : À quand Live Vol. 2 ?
Toto : On verra !
Noah : C’est difficile à imaginer quand précisément. Mais après en avoir appelé un Live Vol. 1, on n’a pas le choix.
LVP : Un autre commentaire ressortait de ce concert sur YouTube, « je me sens coupable de regarder ça gratuitement ».
Toto : On avait tourné avec ce set pendant plus d’un an, et on voulait faire une pause pour se concentrer sur l’écriture du nouvel album. C’est intéressant de toucher les gens qui regardent des lives sur YouTube. Si tu regardes King Gizzard & the Lizzard Wizzard, il doit y avoir 24h de contenus live d’eux.
Noah : Les sessions From the Basement de Radiohead ont aussi été une énorme inspiration !
Toto : Tout à fait ! Nous étions si rodés sur ces chansons que nous avions envie de les faire une dernière fois pour les mettre sur YouTube, à la postérité.
Noah : Pour ce qui est de la gratuité, c’est comme ça que fonctionne le monde désormais. Je ne pouvais imaginer une autre plateforme que YouTube pour ce contenu. Nous sommes toujours en train de nous faire connaître, et cette vidéo marquait vraiment la fin d’une étape pour nous. On ne voulait pas que notre public se heurte à un paywall avec Amazon ou autre. C’était un cadeau pour les fans, et aussi la possibilité d’en rencontrer de nouveaux.
Toto : Dans les groupes que nous écoutons, certaines versions live sont au-dessus des versions studio. En tout cas, les nôtres ont évolué depuis les premiers enregistrements, ce ne sont plus les mêmes.
Noah : D’ailleurs, on voyait passer pas mal de commentaires qui disaient que nos versions live dépassaient nos versions studio (rires). Ça nous est peut-être monté à la tête. Mais ça fait aussi partie de l’évolution qu’on évoquait tout à l’heure, depuis l’électro du premier EP à ce live YouTube pour aboutir sur Day/Night qui est totalement live également. Tout ça est peut-être une réponse aux gens qui nous disent aimer quand nous faisons du direct. Nous aimons ça aussi (rires).
Plus que pour tout autre, nous l’avons fait pour nous, notre psychologie, nos traumas. Le label nous a dit « c’est top, mais c’est long » et nous étions à leur répondre « c’est top parce que c’est long » (rires).
LVP : Vous accordez beaucoup d’importance aux retours des gens, des médias ?
Noah : On n’y pense pas forcément, mais dans ce cas précis, on s’est rendu compte que ce que nous voulions correspondait à ce que voulaient les gens. Après, honnêtement, à aucun moment avant le produit final nous n’avons vraiment quelque chose à faire de ce que peuvent penser les autres. On ne fera jamais quelque chose dans l’espoir que les gens l’apprécient.
Toto : Une fois que l’album sort, j’ai vraiment envie que les gens l’apprécient. Mais pendant le processus artistique, je n’y prête pas attention.
Noah : Si nous étions si soucieux, nous n’aurions pas fait un double album. Plus que pour tout autre, nous l’avons fait pour nous, notre psychologie, nos traumas. Les sons de l’album parlent vraiment de nous. Bon, le label nous a dit « c’est top, mais c’est long » et nous étions à leur répondre « c’est top parce que c’est long » (rires). Je suis fier de cet album, et je pense que nous le sommes tous.
Toto : Tu ne dois pas laisser l’environnement extérieur altérer l’art. Cela arrivera forcément inconsciemment, mais si tu t’en aperçois, balance-le immédiatement.
Petit, je pensais que Daniel Balavoine était une femme. C’était d’ailleurs ma chanteuse préférée.