“On ne comprend rien du monde qui nous entoure” : entretien avec Joachim Pastor à l’occasion de son premier album
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Auteur·ice : Guillaume Scheunders
05/09/2021

“On ne comprend rien du monde qui nous entoure” : entretien avec Joachim Pastor à l’occasion de son premier album

Après une carrière longue de déjà douze ans et quelques grands hymnes d’electronica derrière lui, Joachim Pastor sort enfin son premier long format. Plus libre que jamais, il y a distillé son style de prédilection, tout en ajoutant quelques parties plus vocales. On a appelé le Français afin de discuter de celui-ci, poussant la discussion jusqu’à ses nombreuses passions ainsi que sur l’épisode Hungry Music.

La Vague Parallèle : Salut Joachim, super heureux de te rencontrer ! Félicitations pour Greater Message, ton premier album. Mais pourquoi avoir attendu plus de dix ans avant de sortir un long format ?

Joachim Pastor : C’est vrai que ça fait 12 ans depuis ma première sortie. J’avais déjà fait des albums qui ne sont jamais sortis, suite à des problèmes de logistique. Là, c’est bien, il y a une bonne maturité, j’avais le temps en studio et je sentais que c’était le bon moment. Mais c’est vrai qu’avec du recul, ça paraît long.

LVP : Le confinement t’a donc aidé à réaliser cet album ? 

JP : Oui, mais pas forcément au niveau de l’inspiration. Parce que tu peux avoir le temps, mais si tu es déprimé et que tu n’as pas la vibe, ça ne fonctionne pas. Moi, j’aime bien tester des trucs en live. Quand je voyage, je peux faire des nouveaux tracks super rapidement car j’ai des tonnes de presets, de synthés, etc sur mon ordinateur. Je fais les arrangements super vite et ensuite je les teste en live. Si c’est stylé, j’améliore et si vraiment je trouve que ça vaut le coup, j’en fais un morceau. Donc quand tu n’as plus ça, c’est un peu relou.

LVP : Tu étais dans quel état d’esprit pendant sa confection ? 

JP :Il y a quelques tracks que j’avais déjà fait depuis longtemps. Les autres, c’est comme d’habitude : quand je suis en studio, j’essaye de faire du bon son, quelque chose qui donne une émotion, mais je me détache beaucoup. Je n’ai pas un état d’esprit particulier en mode “je suis super heureux donc je vais faire de la musique super heureuse”. Je me mets un peu dans ma zone, je n’ai pas vraiment d’état d’esprit dans lequel je me mets quand je produis.

LVP : Dans l’album, on retrouve des pistes très “Joachim Pastor”, à savoir de l’electronica pure et dure. Mais il y en a d’autres, comme Saint Louis ou By Your Side, qui viennent un peu rompre avec ce style, qui sont plus pop, plus vocales. Pourquoi avoir ajouté celles-ci ?

JP : À la base, j’adore le vocal. Dans mes premiers morceaux, il y avait toujours du vocal. Pour moi, la voix humaine est un vecteur d’émotion. Je m’en sers presque comme d’un instrument, je m’en fous un peu des paroles. Saint Louis, c’était un morceau que j’avais déjà fait. J’ai proposé à Nathan Nicholson de poser dessus et il a vraiment bien fait ça, je trouve que ça allait bien. Mais ça faisait un peu trop pop, donc on a fait au moins dix versions. Finalement, aucune n’était aussi bien que le premier jet, donc on l’a gardé. By Your Side est aussi différent, surtout le vocal. Il fait moins “underground”, plus pop. C’est celui qui sera le plus passé en radio.

 

LVP : Tu as signé chez Armada en 2020. Ils ne t’ont jamais demandé de sortir des sons plus “grand public”, justement ?

JP : Franchement, je fais ce que je veux. Une des choses qu’Armada m’a proposé, c’était de faire un remix de What Ya Got 4 Me de Signum. Au final, mon remix était tellement remix qu’on s’est dit qu’il fallait le sortir comme un original, une collaboration. Et c’est devenu Something You Need. En fait, chez Hungry Music, j’avais en moyenne deux tracks par an, donc je ne pouvais pas vraiment sortir des sentiers battus et faire des trucs différents avec du vocal, il fallait que ce soit du pur. C’est pour ça que j’aime bien le côté album, j’ai 13 tracks où je peux faire du Joachim Pastor pur et des trucs différents en plus.

LVP : Est-ce que finalement, Hungry ce n’était pas un label taillé pour le live plus que pour les sorties ?

JP : Je ne sais pas, c’est la première fois que l’on me dit ça. Ça a un sens, surtout qu’on a fait énormément de soirées. À la base, le label a été créé parce qu’on en avait marre d’envoyer des démos tout le temps. À chaque fois, les mecs d’autres labels nous disaient de changer tel ou tel truc. Mais nous on savait que ce qu’on faisait était cool et on voulait sortir ce qui nous chantait. C’est compliqué de post-rationnaliser, je sais juste que maintenant je suis content de sortir plus de morceaux et enfin mon premier album. 

 

LVP : Sur Right Now, on ressent une certaine dose de mélancolie. C’est un sentiment que tu aimes bien faire transparaître dans tes musiques ?

JP :C’est marrant parce que j’ai l’impression que ma musique tu peux l’appréhender vraiment suivant ton humeur. Il y a plein de gens qui me disent que justement c’est un son très “summer”. Je vois pourquoi on peut le prendre de façon nostalgique, tu peux faire pareil pour tous mes tracks je crois. Par exemple Greater Message, tu peux le prendre comme un truc épique, surtout le drop, mais aussi comme un truc triste. Il y a vraiment une certaine dualité. Et je ne le fais pas exprès, mais effectivement souvent on peut le prendre de la sorte.

LVP : Justement, parlons de Greater Message, qui est en plus le nom de l’album. Est-ce que tu as voulu faire passer un message avec celui-ci ?

JP : C’est un titre que j’avais depuis longtemps en tête. Je voulais souligner le fait qu’on ne comprend rien du monde qui nous entoure. Tout le monde pense qu’on sait tout, qu’il y a des règles, que la science, la physique, l’astronomie sont des choses figées. Mais en fait on ne comprend rien. Rien n’est figé, un truc qui paraît hyper vrai à tout le monde aujourd’hui fera pisser de rire des gens dans 200 ans. Il y a quelques centaines d’années, si tu disais que la terre était ronde tu te faisais péter la gueule, aujourd’hui si tu dis qu’elle est plate tu te fais péter la gueule. Il y a des tonnes de trucs qu’on ne sait pas. Je suis croyant, catholique traditionel et l’autre jour je voyais ma chienne, un berger allemand très intelligent. Et je me disais qu’elle a beau être intelligente, elle sera toujours limitée. Elle ne comprendra jamais le concept d’une table hexadécimale, ou de ce qui se passe à 7000 kilomètres. Elle ne sait même pas ce qu’est un kilomètre. Je me disais que si ça se trouve, c’est pareil pour nous. On croit qu’on est trop forts, qu’on sait tout, mais si ça se trouve, il y a quelqu’un qui nous regarde comme on regarde notre chien. C’est un peu ça Greater Message. Il y a quelque chose de plus grand au-dessus de nous. On fait partie d’un tout petit truc qu’on croit comprendre. C’est difficile pour la majorité de comprendre ce concept, comme la mort ou le néant. Mais il n’y a pas forcément un message tangible derrière ce titre.  

LVP : La musique Wardenclyffe, c’est un hommage à Nicolas Tesla ?

JP : Exactement ! J’aime beaucoup Nicolas Tesla, je lis souvent ses brevets. J’avais envie de fabriquer une bobine Tesla il y a un bout de temps. J’ai un voisin qui en vend une énorme d’ailleurs et j’avais envie de l’acheter. Mais oui, c’était un hommage à la dernière tour de Tesla, qu’il a fait du côté de New York et qu’il n’a jamais pu finir car JP Morgan avait coupé ses fonds. Et puis, je trouve que les sons du track ont ce côté un peu dark, électrique, froid. Et le bruit des synthés fait un peu penser aux bruits des bobines Tesla, donc je trouvais ça cool d’appeler ça comme ça. Mais tous les tracks ont un petit clin d’œil. Par exemple, Godspeed, ça veut dire bonne chance. Je trouvais ça marrant de l’appeler comme ça vu que c’est la musique la plus lente de l’album. 

 

LVP : Tu es très passionné par tout ce que tu peux faire de tes mains. Tu es passionné de machines en général, des synthétiseurs analogiques jusqu’aux voitures de collection. Ce sont des passions complémentaires ? 

JP : Oui, c’est clair. Je suis un profil de personne qui n’est pas trop aimé dans le monde d’aujourd’hui parce que ce qu’on veut, c’est le Taylorisme au maximum, donc la séparation des tâches. Mais pas que dans une usine : il faut que le mec qui est avocat ou juriste, ne soit que ça et qu’il ne connaisse rien en médecine. Le médecin, il n’est que médecin. Avec des profils comme ça, quand tu es hyper spécialiste, c’est bien mais le problème c’est que tu es un peu handicapé, tu ne peux pas comprendre le monde dans sa globalité. Moi, je suis hypermnésique, c’est comme si ma mémoire n’avait pas de fond, je peux me souvenir de tout ce que je veux comme de tout ce que je ne veux pas. Je peux me rappeler comment était habillée une personne il y a dix ans par exemple. C’est aussi ce qui fait que je suis hyper curieux. Je suis un peu atypique parce que je m’intéresse à tout. Ma femme est médecin donc je m’intéresse à la médecine, à côté j’ai des bases solides en tout ce qui est technique et électricité, vu que je suis ingénieur à la base. J’ai aussi un côté artistique, vu que je fais de la musique. J’aime le droit, j’adore la politique, l’histoire. Ma journée est toujours compartimentée en plusieurs plages horaires où je fais des choses différentes, à chaque fois à fond. Les personnes comme moi sont un peu des casse-couilles, des emmerdeurs.        


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