Pablo Alfaya, Hero lunaire aux chants solaires
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Auteur·ice : Joseph Lanfranchi
04/11/2020

Pablo Alfaya, Hero lunaire aux chants solaires

“I think I’ve waited too long to sing this song”, chante Pablo Alfaya. Son premier album, Hero, clame le contraire. Dix pistes qui brûlent d’une ardeur invulnérable et d’une vie aussi insoumise qu’enivrante. Le jeune musicien joue aux Beach Boys et y invoque la poésie des amours consommées, le spleen de l’adolescence révolue et la nostalgie du temps qui passe. Avec magie et brio, il mêle les instruments et les mélodies. Les couches se superposent avec finesse et se suivent avec précision. Car derrière l’ardeur et l’embrasement d’une musique du cœur se cache un adroit et minutieux travail de composition et production. Chanson après chanson, accord après accord, Pablo Alfaya façonne un monde musical tout en nuance, dont les teintes chamarrées évoluent sans cesse. Chaque pulsation de basse actionne nos sens, chaque bruissement de cymbale vise juste et touche, chaque vibration de sa voix amplifie notre sensibilité, et le frémissement des baffles finit de nous bouleverser.

L’ouverture, Hero In Disguise, annonce autant la fin d’une vie passée que la promesse d’un futur radieux (Today is the day I’ll be cooler than before // I’ll be a hero in disguise, a hero in my time). Affirmation et reconnaissance d’une nouvelle maturité trop longtemps refoulée ? (By keeping all my options opened I committed suicide). Les vagues s’échouent, se transforment en nappes vaporeuses de synthétiseurs et brassent les galets de nos derniers souvenirs d’été. Alors, Pablo Alfaya nous embarque pour un périple sans retour.

Une aventure qui demande parfois de tourner le dos au soleil et au passé. “Leave it behind”, exhorte-t-il sur Sad Night Dancing, brume de pop rêveuse où surgit parfois le spectre d’Étienne Daho. Songe d’une nuit d’été où les arrangements emplis de spleen tentent de conjurer l’attrait funeste pour un passé fantasmé et perdu. “Tu tu tudu”, sans un regard en arrière, et le casque sur les oreilles. Nous voilà happé par les percussions ensoleillées et chaloupées d’In Phase, qui lui donnent un air de fable mélancolique tropicale. Alors que la basse glisse dans les embruns et que les notes de clavier surfent avec insouciance, apparaissent, pour réchauffer nos cœurs, le sable doré et la mer turquoise.

Pièce maîtresse de l’album, le duo du prélude et des rêves de Tyffany réunit les atouts dont le jeune musicien pare ses chansons. Symphonie lunaire et prière romancée glissent avec grâce et se transforment en quelques notes de synthés en une chevauchée stellaire à laquelle il est impossible de ne pas succomber. Sur une telle bande son, on coupe les ponts sans hésiter, pour rejoindre la turbulente bande des “runaway children” et profiter des dernières gouttes de chaleur et de liberté de l’été indien. Les jeux de lumière semblent habiter ses chansons, les accords électrisent les notes de piano, qui ruissellent avec bonheur sur Ocean. Seul, par son immensité insensible et sa beauté infinie, capable d’anéantir les peurs, de vaincre les incertitudes et de triompher des doutes. Vieil océan dont l’eau salée régénératrice et purificatrice permettra la renaissance.  

La cavalcade débridée repart sans attendre, avec les riffs saturés d’It’s You In The Middle. Portées par une batterie grondante et offensive, les harmonies vocales prennent leur envol, pour une balade aérienne en clair-obscur.

 

 

La Sortie de route de Pablo Alfaya finit de faire chavirer nos cœurs. L’unique titre en français clôture l’album avec fougue et indépendance. Dans son combat le musicien nous entraîne, avec lui nous perdons des points de vie, parfois la ligne de mire, mais toujours gardons la vie en horizon. 

Nul besoin d’artifice pour que la musique de Pablo Alfaya déploie ses charmes juvéniles et bruts. Les rythmiques sont sobres, et les mélodies, épurées. La voix est sans doute l’instrument le mieux maîtrisé et le plus travaillé. Mais ce n’est que rarement la technique qui nous fait tomber amoureux d’une œuvre. C’est davantage l’âme que l’artiste imprime dans sa musique et l’injection d’une part de lui-même qui nous font tendre l’oreille, puis écouter en boucle un morceau. Ce sont les quelques notes miraculeuses, et peut-être leur association avec une subtile alternance entre les silences et les mots. Et à ce jeu, Pablo Alfaya éblouit. Sans doute car, comme il le chantait il y a un an sur Ocean, All I want is to be, in a better place to be me”, le jeune homme construit, avec Hero, son propre chemin, et répond d’abord à une injonction aussi intime que fondamentale. 

Crise générationnelle, quête métaphysique ou poursuite romantique idéaliste, le chanteur refuse de trancher et affirme à raison que les trois éléments ne peuvent vivre l’un sans l’autre. Aussi indissociables qu’attachés à l’artiste, ils se nourrissent mutuellement, s’influencent tour à tour, tout en conservant une certaine indépendance. Protégé des océanides, le jeune musicien compose des mélodies aquatiques où l’attrait pour la lumière solaire le dispute à l’euphorie obscure des abîmes. La jeunesse transpire de chacune des dix pistes de Hero, le conflit bouillonne dans les veines de l’artiste, les aspirations et les désirs s’entrechoquent alors qu’il chante “I’m the hero of a thousand faces”. Et de leurs collisions surgit la grâce. 


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