Palace revient nous submerger d’émotions sur Shoals, un troisième album libérateur
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Auteur·ice : Hugo Payen
22/01/2022

Palace revient nous submerger d’émotions sur Shoals, un troisième album libérateur

| Photo : Daniel Alexander Harris

Selon son étymologie, la peur se rapporte à l’effroi, à une émotion pénible. Souvent vue comme quelque chose de négatif, la peur se terrerait au plus profond de nous, et finirait par se montrer au moment où l’on s’y attend le moins. Pour Palace, il était temps de faire face à cette peur, et ce, pour s’y attaquer une bonne fois pour toutes. Avec la sortie de Shoals, troisième album du groupe, l’objectif est brillamment rempli. S’attaquant avec sensibilité à toutes les formes que la peur peut revêtir aujourd’hui, Palace signe une véritable ode à la sérénité. N’ayez pas peur, et plongez avec nous au cœur de Shoals, cette nouvelle aventure musicale signée par ces doux rockeurs londoniens.

La magie de la musique réside dans son caractère très sélectif, laissant la porte ouverte à ce qu’on pourrait appeler la « musique de niche ». À travers le globe existe alors une multitude de groupes et d’artistes, qui finissent par passer sous les radars, mais qui arrivent pourtant à accumuler des millions d’écoutes, et à réunir plusieurs centaines de personnes dans de magnifiques salles. Aujourd’hui, Palace fait potentiellement partie de ces groupes dont la renommée n’est reconnue qu’au sein de leur petit marché musical. Peu écoutés en dehors des frontières anglaises – le Brexit n’arrangeant pas la chose -, les quatre compères issus des rues bondées de Londres n’en sont pourtant pas à leurs débuts.

Un doux mélange

En effet, amis depuis leurs adolescences, Leo Wyndham, Matt Hodges et Rupert Turner ont toujours eu la musique dans le sang. Après un premier EP en 2014, des plus réussis, les portes s’ouvrent pour le jeune groupe. Quelques années plus tard, c’est en 2016 que le groupe décide d’inviter ses premiers aficionados un peu plus loin dans son univers en sortant son premier album, So Long Forever. On y découvre alors la voix apaisante de Wyndham, venu nous parler des fantômes de son passé sur des titres forts comme Holy Smoke ou Live Well. Sur fond de riffs enivrants et d’arrangements assurément rock, les mélodies de Palace ne nous laissent aucune échappatoire. Après quelques morceaux, Palace rentre dans nos cœurs, et y laisse indéniablement sa trace.

 

La force du groupe réside dans son doux mélange entre un rock libérateur et des sonorités langoureusement hypnotisantes. Naviguant à contre-courant, Palace nous parle des relations humaines sous un autre angle. Le groupe n’a pas peur de se mettre à nu et aborde alors des sujets comme la mort, l’amour, la jalousie, et l’éloignement, tout en rajoutant cette forme très poétique de sincérité. Toutes les émotions sont alors exploitées en deux temps : la claque, suivie de l’acceptation. « You’ve broken promises to me, so fuck your word / Why am I bitter, bitter, bitter? Why am I always led astray? / It’s gonna get better, better, better / I’d always hear you say », nous chante par exemple Wyndham, leader charismatique du groupe, sur Bitter.

Après le succès de leur premier album, le groupe ne veut pas aller trop vite en besogne. Un hiatus musical de trois ans plus tard, et voilà que leur deuxième album se faufile (enfin) dans nos oreilles impatientes. Ce qui nous saute directement aux yeux, c’est que l’ADN Palace est inchangé. Avec Life After, ce sont de nouvelles histoires que Wyndham nous raconte sur les arrangements méticuleux de ses meilleurs amis. Un second opus qui leur vaudra une tournée à travers le globe, ainsi que la tête d’affiche du mythique Glastonbury Festival.

Un enregistrement atypique

Comme beaucoup de groupes à travers le monde, la créativité des jeunes anglais s’est vu prendre un nouveau tournant à l’arrivée du premier confinement. Et si l’idée d’un nouvel album n’était pas évidente pour Palace, la plume de Wyndham avait manifestement d’autres envies. Au lieu de se terrer tous ensemble dans leur studio habituel, c’est éparpillés aux quatre coins de Londres que les membres du groupe ont commencé à écrire et à composer. Entre des envois de vocaux et des transferts de fichiers à superposer au reste de l’ensemble, l’expérience de création en est devenue des plus atypiques.

Le fait de ne pas être tous ensemble au studio nous permet de ne pas réfléchir de trop à certains détails. On remet moins en question chaque petite chose que l’on fait.  – Wyndham

Écrit en toute innocence, ce n’est qu’à la fin de l’enregistrement que le groupe réalise qu’il vient de créer ce qui sera son troisième album, et surtout, quel en sera le thème général. Et comme un message issu de leur subconscient collectif, Shoals venait de voir le jour. Pour une fois, l’amour dont il est question ici est celui de la peur. Comme le souligne Hodges, la majeure partie des chansons qui composent ce nouvel opus parlent de ces émotions humaines complexes, qu’il est parfois compliqué de comprendre et d’articuler. Un éventail d’émotions complexes qui font ainsi de Shoals leur album le plus sincère.

Peur de l’amour ou amour de la peur ?

Les bas-fonds marins, ou Shoals en anglais, sont pour certaines personnes une grande source d’incertitude, de noirceur et de mystère. À travers ce nouvel album, les profondeurs de l’océan occupent le lieu de l’intrigue, autour de laquelle s’organisent les douze titres qui la composent. L’eau représente ainsi ce côté très turbulent que peuvent prendre nos différents états d’esprit au fil des jours. Une métaphore aqueuse qui résonne jusqu’aux nouvelles sonorités du groupe, faisant écho à cette force de la nature, aussi calme qu’insaisissable. Des sonorités, au final, non pas inchangées mais bien sublimées. Naviguant entre chaos et beauté, Wyndham et ses compères s’essayent ici à de nouveaux effets, qui ne font qu’embellir ces nouvelles histoires.

J’ai toujours été attiré par l’océan, il y réside quelque chose dont je suis fan mais que je ne peux expliquer. C’est un endroit magnifique rempli de mystères. Et en même temps, c’est quelque chose de si dangereux qu’il peut t’avaler sans jamais te recracher. – Wyndham

De manière resplendissante, Palace nous fait comprendre que, tout comme les vagues, nos humeurs peuvent être houleuses, sans forcément être quelque chose d’anormal. Sur Never Said It Was Easy, titre sur lequel s’ouvre ce nouvel opus, Wyndham donne le ton. « It’s a strange life that shapes me », chante-t-il sur ces percussions entêtantes, avant d’enchaîner avec Shame On You. Ce deuxième titre des plus rythmés traite de la confrontation que l’on peut avoir face à nos propres fautes et défauts, qu’il nous arrive de déverser sur notre entourage. Wyndham nous parle alors de l’importance qu’il peut y avoir à juste comprendre ses imperfections et les accepter, au lieu de vouloir à tout prix y échapper.

Par la suite, aucune surprise. L’album se poursuit sur deux titres que le groupe nous a fait découvrir il y a déjà quelques mois. Sur l’incisif Fade, le groupe nous parle de cette sensation, souvent infondée mais inconsciente, que notre corps tout entier s’effondre lorsque l’anxiété nous gagne. Avec Fade, Wyndham chante son cri de colère envers toutes ces défaillances émotionnelles que son corps imagine en temps de crise personnelle. Sur le très hypnotisant Gravity, premier single que le groupe nous a dévoilé, les sonorités très éthérées nous emmènent dans un univers presque psychédélique. Un univers qui se veut très détaché de la réalité, dans lequel le groupe exploite notre insignifiance face à cette force de la nature intouchable. Comme le groupe le chante ici, au final, nous ne sommes qu’un amas d’atomes et d’eau.

 

L’aventure continue alors avec Give Me The Rain et Friends Forever, qui nous replongent dans ce que Palace fait de mieux. Killer Whale nous apporte cette petite dose de positivité, de lumière. « I’m breathing since I found my girl / My killer whale, my killer whale / You’ve shown me oceans in myself. », peut-on entendre sur ce doux morceau. Sur fond de percussions très naturelles et authentiques, les arrangements du groupe prennent alors vie de manière sublime. Tout comme le second titre de l’album, Lover (Don’t Let Me Down) attaque ces peurs et anxiétés chroniques que l’on décharge sur les autres. Et pourtant, au fil du morceau, ce caractère très accusateur s’efface pour laisser place à l’acceptation. L’acceptation que ces émotions dévorantes ne sont que dans nos têtes, et qu’on peut y faire face. De nouveau, Palace arrive à tourner un concept mental très sombre, en une note des plus positives.

L’album touche alors doucement à sa fin. Lorsque Salt nous arrive dans les oreilles, on comprend alors que le clap de fin a commencé. De manière très ensorcelante, Palace nous prend par la main avec ce beat onduleux, avant de nous emmener dans les profondeurs de Shoals, titre éponyme de l’album. Un avant-dernier morceau qui nous aspire sans vergogne dans ces bas-fonds où réside autant de lumière que d’obscurité. Avec ses arrangements électroniques, survolé de la voix perçante de Wyndham, Shoals nous engloutit avec beauté avant de nous libérer sur Where Sky Becomes Sea. En guise de cérémonie de clôture, Palace nous parle sans détour de la mort, cette ultime peur qui se cache en chacun de nous. Encore une fois, le groupe fait fort en inversant cette émotion très pesante, en quelque chose de positif. Where Sky Becomes Sea est en fait une véritable chanson d’amour. En effet, Wyndham se demande s’il pourra, hypothétiquement, un jour revoir la personne qu’il aime après sa mort. La réponse est simple : cet endroit, c’est là où la mer rencontre le ciel.

 

Pendant près de cinquante minutes, Palace replace ce sentiment de peur au centre de nos préoccupations, et ce, de la plus belle des manières. Comme l’explique le lead-singer du groupe, qu’il s’agisse de mort, d‘anxiété ou de ruptures, nous avons besoin de ces expériences pour nous sentir en vie. Au final, ce sont toutes ces choses, négatives ou non, qui nous permettent d’apprécier chaque instant de nos vies. Le message que le groupe essaye de nous faire passer avec ce nouveau chef d’œuvre, c’est que la peur ne prend son sens véritable que lorsque l’on y fait face.

Après deux ans d’attente, Palace nous revient avec un troisième album qui, nul doute après la lecture de cette chronique, nous a mis une délicate claque musicale. L’année commence donc incroyablement bien pour le groupe anglais, que l’on aura la chance de voir sur la scène du Vooruit le 18 février prochain. En attendant, installez-vous confortablement, et laissez-vous submerger par ces douze titres aussi resplendissants les uns que les autres.


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