Paradigmes : La Femme envoie de nouveau valser les codes
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Auteur·ice : Joséphine Petit
09/04/2021

Paradigmes : La Femme envoie de nouveau valser les codes

Ces derniers mois, La Femme a su brouiller les pistes titre après titre, nous laissant voguer à son gré en plein océan, virant sans cesse de bord sans nous indiquer le Nord. C’est en découvrant enfin Paradigmes dans son entier que l’ensemble prend tout son sens. Après Psycho Tropical Berlin en 2014 puis Mystère en 2016, La Femme clame aujourd’hui n’avoir pas pris une ride avec ce nouveau disque. À repousser les barrières de la pop dans tous les sens, c’est à se demander ce qui les arrêtera un jour, ce qu’on ne leur souhaite pour rien au monde.

“Nous croyons à des vérités qui n’en sont peut-être pas, nous sommes soumis à des idées, des courants de pensée, et tout ça, ce sont les paradigmes.” C’est ainsi que La Femme définit le concept de paradigme, qui a construit ce nouvel album et le régit. S’il a mis cinq ans à voir le jour, c’est bien que Sacha Got et Marlon Magnée ont pris le temps d’en travailler chaque détail en studio, pour le plus grand plaisir de l’histoire de la pop française.

 

D’un Paradigme armé d’une magnifique introduction allongée, à Disconnexion qui laisse entrer conjointement un solo de banjo habité ainsi que des chœurs prêts à toucher du doigt des sommets, La Femme donne le ton et n’arrête plus de nous surprendre. Force & respect emporte par son rythme animal à faire tourner les têtes, puis laisse la main à Divine créature, course sensuelle entre les voix et l’instrumentation qui s’enroulent les unes autour de l’autre, dans une montée en tension charnelle. Les variations sont multiples et pourtant si cohérentes, quand Lâcher de chevaux fait éclater l’orage au beau milieu du disque, tandis que l’outro psychée de Pasadena rappelle astucieusement aux souvenirs qu’elle ponctue, et Tu t’en lasses, bijou serti de vagues sans fin, sert de douce et longue coda à l’album.

À travers ces nouveaux morceaux, La Femme voyage, et les références culturelles sont nombreuses. Nul hasard d’apprendre qu’après la tournée de Mystère, Marlon s’est envolé pour Los Angeles, pendant que Sacha découvrait l’Espagne. La fanfare de Paradigme et Cool Colorado, et l’ambiance cabaret choisie par le groupe pour les illustrer, condensent aussi bien les années vingt et trente que les sixties et les seventies, qui s’entrechoquent tout au long de ces titres. La candeur de Nouvelle-Orléans, tout comme le road trip liant Denver à LA dans Cool Colorado, reflètent un côté beat generation suggérant l’Amérique de Kerouac. Et si les influences outre-Atlantique se multiplient dans Paradigmes, Le jardin et ses racines andalouses, ou encore Va, sublime titre aux accents orientaux, sont loin de dénoter. Tout au long du disque, les influences viennent de partout et d’ailleurs, et en font toute sa richesse.

 

L’association fréquente du groupe à l’avant-garde de la nouvelle pop française leur attribue très souvent la remise au goût du jour de leur langue maternelle dans les textes. Ce troisième disque saura alors aussi dérouter par ses prises de risques. Au cœur d’une génération pop aujourd’hui désorientée, exprimant souvent le souhait de ne plus choisir une langue en particulier, mais optant tout de même très souvent pour l’une au détriment de l’autre, La Femme écrase tous les principes et remet les pratiques en perspective. Paradigmes démontre remarquablement que la cohabitation de plusieurs langues au sein d’un même ensemble ne le rend que plus riche. Si nous étions déjà habitués à retrouver quelques titres en anglais dans chacun de leurs disques, les géniaux Witchcraft, puis Always In The Sun nous avaient tout juste ouvert l’appétit. Aujourd’hui, le français reste prédominant, mais s’entremêle désormais non seulement à l’anglais de Foreigner, mais également aux sonorités de la langue espagnole dans Le jardin, nous laissant naviguer d’un morceau à l’autre sans sursaut.

© Oriane Robaldo

Au-delà du langage, le groupe reste le porte-étendard non seulement d’une génération, mais aussi d’une époque tout entière. De par son nom, ses tableaux dépeignant brillamment la féminité contemporaine, et la présence de voix féminines toujours plus amplifiées, La Femme donne aux femmes la place d’exister comme il se doit. Les titres Divine créature et Le sang de mon prochain renvoient ainsi aux ambitieux Mycose ou encore Si un jour, qui auront marqué les oreilles par leur audace textuelle. Réunifiant toujours via l’écriture, Pasadena saura parler à tout cœur qui fut un jour adolescent, comme une carte postale d’instants de vie. Ce prodigieux morceau émeut par sa construction, à la manière d’un petit mot écrit sur feuille volante, envoyé à travers une salle de classe jusqu’à l’élu de son cœur. Par son caractère universel, Mon Ami saura lui aussi rappeler à chacun le souvenir de ceux qui s’effacent quand le temps passe. Et Foutre le bordel de terminer de mettre tout le monde d’accord lorsqu’il s’agit de lâcher les rênes.

Alors, pour fêter un album honorable, quoi de mieux de nos jours qu’une Release Party sur Arte Concert qui restera dans les mémoires ? Dans une mise en scène intelligente s’attachant au cabaret, où le public est aussi bien acteur du show que le groupe (aux plus fervents adeptes de reconnaître les caméos d’anciens membres dans la salle), La Femme termine d’imposer Paradigmes comme le disque indispensable du moment. Le live s’entrecoupe de scènes absurdes montrant Sacha Got et Marlon Magnée accoudés au comptoir, à siroter des cocktails et se remémorer l’écriture de l’album ; petits interludes burlesques menant à une interprétation de Lâcher de chevaux digne d’une fermeture de bar magistrale. À travers une orchestration habilement agrémentée de flûte traversière, clarinette et trombone, la nouvelle formation semble parfaitement dans son élément, offrant une toute autre dimension à ses derniers titres, tout en revisitant ses classiques de manière experte. Un très beau prolongement du disque en attendant de pouvoir les retrouver sur scène, et enfin foutre le bordel comme il se doit.


 

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