Pascal Aubrée, passion Fête de l’Humanité
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Auteur·ice : Paul Mougeot
03/09/2019

Pascal Aubrée, passion Fête de l’Humanité

Dans le paysage parfois instable des festivals français, la Fête de l’Humanité fait figure d’exception. À vrai dire, son extraordinaire longévité tient sans doute à ce qu’elle n’est pas à proprement parler un festival. Parce qu’on est des inconditionnels de cet événement incontournable qui marque les rentrées littéraires, musicales et politiques, on a rencontré Pascal Aubrée, son directeur, pour percer avec lui la recette secrète de la Fête de l’Humanité. 

La Vague Parallèle : Hello Pascal ! Est-ce que tu peux nous présenter la Fête de l’Humanité en quelques mots ?

Pascal Aubrée : La Fête de l’Humanité a été créée en 1930 pour soutenir le journal L’Humanité. Il y avait sans doute quelques artistes dès l’origine, mais il s’agissait surtout d’un lieu de rassemblement destiné à aider le journal.

La manifestation ne s’est pas tenue pendant la Seconde Guerre Mondiale évidemment, mais elle est repartie de plus belle après la guerre et a commencé à rassembler des centaines de milliers de personnes. Depuis une trentaine d’années, elle est également devenue un lieu de concerts, mais je ne dirais pas que c’est un festival pour autant. La Fête de l’Humanité reste avant tout un lieu de rassemblement, où les gens peuvent discuter, échanger, découvrir différentes cultures et gastronomies à travers les stands qui parsèment le site, profiter de lieux d’exposition qui promeuvent l’humour, la danse, le théâtre ou encore le cinéma.

C’est également un lieu de débats autour de notre Agora, où on invite tous les partis politiques progressistes et les acteurs associatifs et syndicaux à intervenir. Cette année, l’accent sera mis sur la question du climat. Les jeunes ont porté ça depuis plusieurs années et ça nous tenait à coeur de porter le débat aujourd’hui, avec une dizaine d’associations.

LVP : Justement, quels seront les temps forts de cette édition 2019 ? 

PA : Cette année encore, on aura une programmation musicale très riche, organisée autour de trois scènes principales, sur lesquelles se produiront des artistes aussi variés que Soprano, Kassav’, Les Négresses Vertes, Marc Lavoine, Miossec, Aziz Sahmaoui ou Aya Nakamura. On a la scène Zebrock, qui est une scène découverte animée par une association d’éducation musicale du 93, on a la Petite Scène, qui peut accueillir entre 8 000 et 10 000 personnes et puis on a la Grande Scène, où on peut accueillir plus de 80 000 personnes. À côté de ça, on a aussi des centaines de concerts sur les petits stands, qui permettent à des artistes qui se lancent dans leur région natale de se produire sur l’événement.

On a vraiment à coeur de promouvoir la diversité culturelle, que ce soit du rap ou du rock, des artistes français ou des artistes internationaux, des artistes proches de nos valeurs pour certains, mais pas seulement. On a aussi voulu créer un espace tourné vers le monde de la nuit, avec des DJs qui jouent de minuit à 6h du matin. L’année dernière, on a été victime de notre succès : on a été obligé d’annuler parce que 10 000 personnes attendaient dehors et ne pouvaient pas rentrer. Cette année, on a prévu de réitérer l’opération, mais de le faire en extérieur.

LVP : Dans une période de crispation politique, comment préserver l’identité du festival et faire cohabiter sa dimension politique et sa dimension festival sans brusquer le public ?

PA : Ce qui est important pour nous, c’est de trouver le bon équilibre. On sait que quelle que soit la programmation, on a un public militant qui vient tous les ans, qui est composé de bénévoles, de personnes qui tiennent les stands, qui viennent revoir des copains ou qui sont des habitués du festival. Ça représente quand même plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Après, le travail qu’on essaye de faire, c’est aussi d’attirer un nouveau public, en particulier un public jeune, qui est effectivement lassé de ce qui se passe dans le paysage politique. On le voit notamment avec les résultats des dernières élections européennes. Ce public-là est plutôt attiré par la dimension festive de l’événement : j’ai des amis qui viennent pour la première fois, qui sont un peu effrayés par son côté politique, mais qui en ressortent ravis car l’ambiance est extrêmement festive. Quand tu passes devant un stand, on ne te demande pas si tu as ta carte d’adhérent, on t’offre un verre, on te présente les spécialités de la région, et surtout : on discute. Certains ne viennent que pour les concerts et finissent par prendre part au débat. C’est ça qui fait l’essence de la Fête de l’Humanité.

LVP : Cette année, le choix de programmer Aya Nakamura a beaucoup fait réagir sur les réseaux sociaux. Comment choisissez-vous les artistes qui figurent dans la programmation du festival ? L’engagement d’un artiste est-il un pré-requis, comme le demandent certains spectateurs ?

PA : Pour certains artistes, l’engagement est effectivement important, on le voit quand on invite régulièrement Bernard Lavilliers par exemple. On aura également Shaka Ponk cette année, qui ont un engagement sur la question du climat et qui souhaitaient venir à nouveau à la Fête de l’Humanité. On a aussi des artistes qui nous demandent de venir, on ne peut bien sûr pas répondre favorablement à toutes les demandes mais il y a des artistes qui montent et qu’on souhaite aider.

L’engagement n’est pas le seul pré-requis. Ça en fait partie, au même titre que le comportement ou le genre musical. On peut penser ce qu’on veut de l’ascension rapide d’Aya Nakamura, et j’ai lu comme toi les commentaires. J’y analyse plusieurs éléments.

Il y a effectivement ceux qui souhaiteraient que la Fête de l’Humanité soit uniquement une manifestation de gauche, qui ne rassemble que des communistes, alors que nous, on souhaite élargir le public parce qu’on considère que les débats qu’on mène sur le site sont suffisamment importants pour qu’ils touchent le plus grand nombre. Ces personnes souhaiteraient qu’on se recroqueville sur nous-mêmes alors que c’est ce qu’on veut éviter.

En tout cas, quand on programme un artiste, on ne lui demande pas sa carte d’adhérent. On programme tous types d’artistes, français comme internationaux, comme Franz Ferdinand l’année dernière ou Paul Kalkbrenner. Ce qu’on veut, c’est avant tout une diversité, pour pouvoir toucher le public le plus large possible.

LVP : La Fête de l’Humanité a ses têtes d’affiche historiques et ses habitués, comme Bernard Lavilliers ou Shaka Ponk. Quel est le lien que vous entretenez avec ces artistes ? Quel est l’artiste que vous rêveriez de programmer au festival ? L’étiquette politique du festival n’est-elle pas parfois un frein pour certains artistes ?

PA : On a des liens avec beaucoup d’artistes toute l’année. Par exemple, on a organisé un concert de soutien à L’Humanité le 22 février dernier. En quelques coups de téléphone, on a tout de suite dix artistes qui sont venus : Bernard évidemment, mais aussi HK ou encore Les Ogres de Barback. Ce sont des artistes qui ont toujours soutenu le journal et la manifestation, comme Marcel et son orchestre.

Concernant mon rêve, on a failli le réaliser cette année : ce serait d’avoir Carlos Santana. Je l’adore, je le suis depuis ses débuts et c’est vraiment l’un des artistes que j’aurais adoré voir sur la Grande Scène.

Je n’ai jamais senti que l’étiquette était un obstacle. On connaît toujours à peu près la mentalité des artistes qu’on va chercher à travers le message qu’ils véhiculent dans leurs paroles, et on n’a jamais eu de refus par rapport à l’étiquette politique du festival. Lorsqu’on a un refus, c’est plutôt lié à des raisons financières ou logistiques.

LVP : Le slogan de cette édition, c’est “Vers de nouveaux chemins d’humanité”. À l’heure de l’arrivée en France de superproductions, comment parvenez-vous à survivre dans le milieu parfois impitoyable des festivals tout en conservant cette dimension humaine ?

PA : On survit justement parce qu’on n’est pas un festival. On n’est pas une grosse machine, on propose autre chose : quand tu as plus de 200 stands qui proposent de la gastronomie de toutes les régions, quand tu vas voir ton auteur préféré pour qu’il te dédicace son livre sur le village du livre, quand tu as les Pinçon-Charlot qui viennent faire une exposition… La partie concerts, sur le budget global, ça ne représente qu’un cinquième.

Et comme on est le seul gros événement de la rentrée scolaire, littéraire, musicale, on a un créneau à part. Cette année, on va proposer que la grande manifestation du climat qui a lieu le vendredi puisse se terminer sur la Fête de l’Humanité, parce qu’on est prêts à les accompagner sur cette dimension-là.

Depuis le début de l’année, L’Humanité traverse une période très difficile puisque le journal s’est trouvé en cessation de paiement en janvier. Que signifierait une disparition du journal pour le futur du festival ?

PA : Je ne me prête jamais au jeu des pronostics sur ces questions-là parce que je pense que le journal va continuer. C’est un titre qui existe depuis 1904, qui a vu passer des crises énormes, et qui s’en est toujours sorti.

Est-ce que la Fête de l’Humanité continuera si le journal disparaît ? Je pense qu’elle pourrait continuer, parce qu’on a d’autres solutions pour exister, mais ce n’est pas du tout la perspective qu’on se donne. Notre objectif, c’est que le titre continue à être publié, et que la Fête de l’Humanité puisse continuer à rassembler, à incarner ce lieu de convergences des luttes.

Le journal traverse aujourd’hui une situation compliquée, la décision de fin d’année sera importante pour la parution et la continuation du titre.

Que peut-on vous souhaiter pour cette 84ème édition du festival ?

PA : D’avoir du beau temps d’abord, et puis que toutes les forces de gauche soient présentes pour pouvoir animer les débats. On voudrait aussi dépasser le chiffre des 500 000 entrées : ça permettra d’avoir une vraie fête, et de permettre aussi à L’Humanité de défendre ses salariés et de continuer à exister !