Plongeon sans fil d’Ariane dans le monde de Yoa
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Auteur·ice : Joséphine Petit
12/10/2022

Plongeon sans fil d’Ariane dans le monde de Yoa

Il nous aura fallu attendre la sortie de son premier EP, Attente, puis de la voir plusieurs fois sur scène pour enfin rencontrer Yoa. L’artiste à la voix douce qui nous éblouit chaque fois un peu plus faisait cette année partie de la superbe sélection Club Avant Seine de Rock en Seine. Alors que son nouveau morceau Chanson Triste fait un saut instantané dans nos playlists préférées cette semaine, nous revenons sur notre échange avec elle entre deux limonades quelques heures avant son concert, pour questionner le genre dans l’écriture musicale, l’image ou encore l’importance du mouvement sur scène. 

La Vague Parallèle : Salut Yoa, on se retrouve juste avant ton concert à Rock en Seine, comment vas-tu aujourd’hui ? 

Yoa : Ça va super bien. Je suis très contente, même si un peu stressée car je n’ai pas joué depuis un bon mois, mais on a bien répété. C’est incroyable de jouer à Rock en Seine !

LVP : C’est la première fois qu’on se rencontre en interview pour La Vague Parallèle, est-ce que tu peux nous présenter ton projet en quelques mots ? 

Yoa : Mon projet s’appelle Yoa, c’est mon surnom car je m’appelle Yoanna. Je fais de la pop music.

LVP : Ça fait longtemps que tu fais de la musique ? Dans Attente, tu évoques avoir “attendu longtemps avant de chanter pour toi”. Comment as-tu lancé ton projet ? 

Yoa : En fait, j’étais en école de théâtre, et mon école était fermée pendant le covid. Je ne pouvais rien faire. Je souffrais de ne pas pouvoir jouer, et je me suis dit que j’aller me créer un compte Instagram pour faire de la musique, que ça me donnerait une excuse pour faire des choses et écrire, parce que j’écrivais déjà un petit peu pour moi, pour rigoler. Ça a intéressé les gens, et j’en suis là aujourd’hui ! Tout a commencé avec une soirée pendant le covid, où je me suis dit que “j’aime bien faire de la musique, j’aime bien être sur scène, et si j’essayais ?”.

LVP : Tu as sorti ton premier EP à l’automne dernier. Avec un peu de recul, comment as-tu vécu cette sortie ?

Yoa : C’était trop bien. J’ai été très chanceuse parce que ma musique a intéressé des gens et des professionnels, ce qui n’est pas donné à tout le monde non plus. J’ai conscience d’avoir eu beaucoup de chance à ce niveau, et j’ai aussi beaucoup travaillé pour. Quand j’ai sorti le disque, c’était juste moi toute seule et mon ordi, et j’ai pu faire plein de concerts cette année car j’ai été contactée par des gens. Globalement, cette sortie s’est passée sous le signe de la chance, de la bonne humeur et de la joie. J’en suis contente.

© Darren Gerrish

LVP : Entre temps, tu as participé aux iNOUïS du Printemps de Bourges Crédit Mutuel cette année, et tu fais à présent partie de la promotion de lauréats du dispositif Variation(s) de FGO-Barbara. Comment ces dispositifs d’accompagnement t’ont-ils aidée ?

Yoa : Bourges, c’était super au niveau des rencontres. Depuis deux ou trois ans, les artistes font une sorte de stage, et on y reste tous ensemble pendant une semaine. Tous les artistes sont là, on était une cinquantaine, et j’y ai fait des rencontres géniales comme Oete, Kidromi, Eloi, ML, Lazuli… Ce sont des personnes incroyables avec qui il n’y aurait peut-être pas eu une vraie connexion sans Bourges. Et Variation(s) était génial pour l’utilisation du lieu. Tu fais ce que tu veux à FGO-Barbara, en réservant à l’avance bien sûr. Sayem et Benjamin qui s’occupent du programme sont super et le font de manière hyper simple. C’est très rare quand des personnes de pouvoir font don de ce pouvoir aux artistes émergents. Ce qu’ils font est précieux, et je ne leur dirai jamais assez. J’ai pu réaliser chez eux un clip avec une trentaine de figurants, et on a été reçus comme des rois. J’y ai fait des résidences, des répétitions. C’est un programme que j’encouragerai toujours.

LVP : Et le Club Avant Seine, qu’est-ce que ça t’a apporté ?

Yoa : Une super mise en avant. Généralement, tu joues à Rock en Seine quand tu es déjà un peu reconnu·e pour ce que tu fais. C’est une publicité dingue, et même émotionnellement parlant, la symbolique de jouer à Rock en Seine est énorme alors que je suis toute petite et que je fais de la musique depuis seulement un an. 

LVP : Tu évoques la poésie dans tes chansons, est-ce que tu te considèrerais plutôt autrice avant d’être compositrice ? 

Yoa : Les deux viennent plutôt en même temps. Je n’ai jamais écrit le texte puis la mélodie, ou inversement. J’aurais du mal à choisir.

LVP : Est ce qu’il y a des thèmes qui t’inspirent plus que d’autres ?

Yoa : Oui, et je m’en suis rendue compte en réécoutant mon prochain EP. J’écris beaucoup sur la santé mentale, sur la déception amoureuse et la co-dépendance, qui sont aussi des formes de maladies mentales.

LVP : Et le français a toujours été une évidence pour toi ? Tu chantes un peu en anglais dans ton dernier morceau.

Yoa : Ce n’était pas du tout une évidence au début. J’ai écrit en français après avoir lu une interview où l’artiste disait qu’au départ elle voulait écrire en anglais, et qu’en discutant avec son entourage, elle s’était rendue compte que les artistes qu’elle aimait écrivaient dans leur langue maternelle. Et c’est vrai. J’écoute beaucoup de musique espagnole comme Rosalía ou Nathy Peluso alors que je ne comprends rien à cette langue. Si elles écrivaient en anglais, je pense que ça me toucherait moins. J’arrive quand même à ressentir une sorte de poésie alors que je ne parle pas espagnol. À la base, je me voyais écrire en anglais, parce que j’écoute plus d’artistes internationaux que d’artistes français. Les artistes français que j’écoute sont des artistes émergents, parce qu’ils sont comme des collègues pour moi. J’aime bien savoir ce que les gens autour de moi écoutent et font, et ce qui sera la musique de demain. Mais je n’écoute plus vraiment de chansons à texte ou de grands chanteurs français.

LVP : En parlant d’écriture, dans Diabolo menthe on t’entend chanter « je crois bien que je suis différent », sans accorder “différent”. Ça soulève la question de comment ne pas genrer l’écriture musicale, quand il s’agit de textes oraux. Tu as voulu aller vers l’inattendu pour appuyer ton propos ?

Yoa : Ce qui m’intéressait, c’était de ne pas genrer. Me questionner sur mon identité de genre, ça m’arrive tous les jours. Même si aujourd’hui je pense que je suis plus féminine que masculine ou non-binaire, pour moi c’est quelque chose qui est toujours un peu en suspend dans ma tête. Je ne trouve pas la binarité intéressante ni intelligente. 

LVP : Ton dernier single, Bootycall vient de sortir ce vendredi. Il diffère un peu de tes précédents titres. Est-ce une nouvelle direction dans laquelle tu tends à te diriger ? 

Yoa : Grave ! Tous les prochains morceaux qui vont sortir seront beaucoup plus dans la veine de Bootycall. Quand j’ai écrit mon premier EP, je ne savais pas que je voulais en faire quelque chose. C’était plutôt un crash test où je m’exerçais. Aujourd’hui, c’est plus affiné, ça me ressemble plus, à moi, à ce que j’aime et ce que j’écoute.

 

LVP : Tu as aussi sorti un titre en feat avec Magenta cette année, comment as-tu vécu cette collaboration ? 

Yoa : J’en suis très fière. C’est un groupe que j’ai beaucoup admiré au lycée, j’étais fanatique de Fauve. J’ai même écrit une comédie musicale inspirée de leurs chansons à l’époque, c’est dire à quel point j’étais fan (rires). Au fil des années, on s’est rencontrés, on est devenus copains, et là c’est une énorme fierté pour la Yoa de quinze ans qui écoutait Fauve avant de dormir et qui voulait faire partie de ce groupe. Je les trouve tellement singuliers et forts dans tous les projets de techno actuels. 

LVP : Est-ce qu’il y a des artistes avec qui tu aimerais particulièrement collaborer dans le futur ?

Yoa : Je n’en ai pas en particulier, mais je serai toujours partante pour collaborer avec quelqu’un dont le travail m’inspire. J’en ai parlé très rapidement avec Kidromi il y a quelques jours, et je me verrai collaborer avec lui parce que j’adore ce qu’il fait. Bizarrement, je me vois plus travailler avec des jeunes de mon âge qui font la musique d’aujourd’hui.

LVP : Sinon, quelle place donnes-tu à ton image ? Tu es très présente sur tes réseaux sociaux par exemple.

Yoa : Pour moi l’image est importante, mais j’ai un rapport paradoxal avec elle. Quand je découvre un·e nouvel·le artiste, c’est instinctivement ce qui m’intéresse le plus, parce que c’est ce qu’on voit en premier. Ça m’est arrivé de découvrir des artistes par une photo plutôt que par la musique, et il y a même des artistes dont je consomme plus l’image que la musique. La place de l’image est importante à mes yeux, et j’y consacre une partie conséquente de mon travail. Mais paradoxalement, c’est aussi quelque chose qui peut devenir angoissant, parce que j’aimerais faire des choses folles mais que je n’ai pas forcément l’argent ou le temps pour le faire. J’arrive aujourd’hui à avoir un rapport décomplexé avec mes réseaux, j’y poste et fais ce que je veux, je ne m’y impose rien. Mais en filigrane, il y a toujours ce côté marketable de l’image qui bloque l’imaginaire et la créativité. Ne pas reconnaître l’importance de l’image aujourd’hui serait un mirage aux alouettes (rires).

LVP : On a assisté à plusieurs de tes concerts cette année où la danse semble faire partie intégrale de ton show. Est-ce que tu considères ton corps comme un moyen d’expression à part entière ?

Yoa : Quand je ne suis pas en écriture, la recherche de mouvement est ce que je travaille le plus. Le mouvement m’intéresse, et il y a beaucoup d’artistes aujourd’hui qu’on identifie grâce à leur façon de bouger sur scène. Je m’inspire de grands artistes actuels pour créer mon set et rechercher mon vocabulaire de mouvements. Trouver comment parler sur scène fait aussi partie de l’identité de l’artiste. C’est un vrai travail de recherche. Quelqu’un qui ne sait pas où se placer ou quoi faire de ses mains sera tout de suite moins impactant.

LVP : Pour finir, est-ce que tu peux nous confier ton coup de cœur dans la programmation de Rock en Seine cette année ?

Yoa : Elles viennent de passer, ce sont mes copines d’Ottis Coeur, qui sont géniales. En France, ce sont des ovnis. Il n’y a pas de groupe féminin comme le leur. Elles ont une niche avec un côté pop qui peut parler à tout le monde. Je conseillerais à tout le monde de les voir sur scène. Puis, il y a aussi Zaho de Sagazan qui a joué vendredi.

Interview co-écrite et réalisée avec Chloé Lahir