Alors que Prattseul s’apprête à présenter son nouvel EP sur la scène de la Boule Noire ce mercredi 27 septembre, nous l’avons rencontré au début de l’été pour en discuter avec lui. L’Oiseau de Nuit est un trésor nocturne de sept titres, écrit et composé dans une période où les étoiles rythmaient plus la vie de l’artiste que le soleil, bien qu’on vous l’assure, l’écoute s’apprécie autant sous le ciel bleu que noir. Un vendredi croulant sous la chaleur toulousaine, quelques heures avant qu’il ne joue sur la scène du Weekend des Curiosités, Prattseul nous a raconté la genèse et les références artistiques autour de son projet. Et si l’on vous demandait le point commun entre Arctic Monkeys, Hugo Pratt, Ennio Morricone, Balthazar et Wes Anderson ? Préparez-vous à répondre Prattseul.
La Vague Parallèle : Salut Prattseul, on se retrouve juste avant ton concert au Weekend des Curiosités. Comment ça va aujourd’hui ?
Prattseul : Ça va très bien. Je suis ultra heureux d’être ici parce que ça fait un peu plus d’un an que je n’ai pas joué à Toulouse. C’est retrouver un peu la maison, le public, les gens que je connais, et mes proches.
LVP : Le projet est originaire d’ici, c’est ça ?
Prattseul : Oui. Je réside ici aujourd’hui. Je vais bouger plus tard, mais c’est vrai que tout mon entourage est là, et mon réseau aussi. Ça fait toujours un truc de jouer au Bikini en plus. C’est une super institution, je suis trop excité !
LVP : C’est la première fois qu’on se rencontre en interview pour La Vague Parallèle. Tu peux nous présenter un peu ton projet pour celles et ceux qui ne le connaîtraient pas encore ?
Prattseul : Oui carrément ! Je fais de la musique entre moderne et vintage. Ce sont beaucoup d’influences anglo-saxones, le rock à groupes comme les Strokes, les Arctic Monkeys ou Kasabian. En même temps, il y a aussi pas mal de touches modernes parce que la production sur les enregistrements studio sonne un peu plus hip-hop parfois. Il y a des synthés et toute la mouvance Moog, Prophet… Par dessus tout ça, ce sont des textes en français, que j’essaie d’écrire le plus simplement possible. J’aime bien me dire que j’essaie d’écrire des chansons très simples, avec des images dans lesquelles les gens puisent et peuvent trouver leur propre sens. Je tente de fuir tout l’aspect complexe. J’essaie de faire du simple de manière compliquée, ou du compliqué de manière simple.
LVP : C’est vrai que ton nom vient en partie du dessinateur de Corto Maltese, Hugo Pratt ? La bande dessinée, ça t’influence dans une certaine mesure ?
Prattseul : Tout à fait. Petit, je voulais faire de la bande dessinée. Comme beaucoup d’enfants, je n’arrivais pas forcément à dormir. Je me levais à minuit, et je dessinais quand j’étais à l’école, ou encore au collège. Je me disais que je pourrais être dessinateur de bandes dessinées. C’est une voie que je n’ai finalement pas prise, mais j’ai découvert Hugo Pratt et Corto Maltese assez tôt par ma famille. C’est un genre d’hommage à la bande dessinée, et plus globalement à l’aspect visuel que j’amène dans le projet.
LVP : Puis « seul » parce que tu mènes le projet seul, c’est ça ?
Prattseul : Oui, c’est ça. C’est toujours compliqué de faire comprendre que ce n’est pas forcément un groupe aux gens qui découvrent en live.
LVP : Parce qu’en live, tu es accompagné de musicien·nes ?
Prattseul : Oui, j’ai trois musiciens avec moi aujourd’hui. Parfois, je joue seul, comme sur le Mégaphone Tour. Mais je reste seul sur le projet, car les équipes alentour sont des électrons libres. Elles peuvent changer. Moi, je reste le dénominateur commun et le noyau de ce projet.
LVP : En 2021, tu as sorti une trilogie de titres et de clips intitulée Enchanté, comprenant le génial De NY jusqu’à LA avec lequel on t’a découvert. Vendredi 13 a un côté plutôt orchestré, lorsque De NY jusqu’à LA est plus dansant, tandis que Le Chuchoteur reste plus planant et acoustique. Finalement c’était un peu une introduction à toutes les facettes de ton projet en 3 épisodes ?
Prattseul : Ça a clairement été la vitrine de Prattseul. Effectivement, j’aime bien mettre des couleurs sur les chansons. Et là dans les clips, il y en a un bleu, un violet et un jaune. J’ai pu faire les auditions des iNOUïS grâce à ces morceaux, qui en même temps annonçaient un panel assez large. Je me situe au milieu de tout ça : l’orchestration, comme j’adore Ennio Morricone, la pop aussi, comme j’adore Balthazar, et quelque chose de plus vintage et plus slow, vers Bowie.
LVP : Ton premier EP, L’Oiseau de Nuit, sort le 22 septembre. Tu peux nous raconter son histoire ? Ce sont des morceaux que tu as écrits récemment ?
Prattseul : Je ne sais plus exactement quand j’ai commencé à les écrire. Mais Mon Vieil Ami, qui est le premier, je l’ai écrit en pensant à un pote à moi qui est parti. C’est un sujet que j’avais en moi depuis très longtemps. Le point commun de tous ces morceaux, que je n’ai pas vraiment pensés comme un ensemble, ça reste une période de ma vie où j’étais encore étudiant et je sortais beaucoup le soir. Le thème de la nuit y est omniprésent.
LVP : D’où le titre…
Prattseul : Oui, d’où le titre, L’Oiseau de Nuit, qui parle des gens qui aiment bien vivre la nuit. C’était une période pendant laquelle je ne me couchais jamais avant deux ou trois heures du matin, que je sois sorti boire des coups avec des amis ou bien que je sois resté chez moi. Je me levais assez tôt car je bossais aussi. Ça fait référence à toute cette période-là pour moi.
LVP : Pour faire suite à Enchanté, est-ce que tu vois ce disque comme un nouveau chapitre de l’histoire de Prattseul ?
Prattseul : Oui, c’est ça, de manière très imagée. Avec Enchanté, c’est comme si j’avais posé les premières pièces d’un puzzle immense dont je ne connaissais même pas la taille. Là, il y a sept nouvelles pièces qui petit à petit forment une image globale qu’on appelle “oeuvre”. J’essaie d’avancer dans cette continuité.
LVP : Mon vieil ami, sorti en février dernier, est un morceau orchestré avec des cordes, et ce n’est pas le seul titre de l’EP à en avoir, Nuits blanches et 151 aussi par exemple. Qu’est-ce que ça représentait pour toi d’amener des cordes dans tes morceaux ?
Prattseul : Comme on parlait de Vendredi 13, avec une image très orchestrale, les cordes ramènent directement une ampleur, une largeur et quelque chose de très noble dans la musique. Parfois ce ne sont que des touches, mais Mon Vieil Ami a été arrangé avec des cordes qui s’enroulent tout autour du morceau tout du long. Pour être fan de cet aspect vintage, comme de Balthazar, dont j’apprécie la sonorité, je trouve que les cordes ramènent une noblesse dans la musique et font vraiment voyager. Ça apporte de nouvelles images à l’écoute d’un disque.
LVP : Oui totalement. Là, tu parles de Balthazar et tout à l’heure tu évoquais Arctic Monkeys. Ça me rappelle aussi parfois la démarche des Last Shadow Puppets. L’image, c’est quelque chose que tu travailles dans ta musique ?
Prattseul : Oui, complètement ! Quand j’ai commencé Prattseul, mon idée c’était de faire un peu du Last Shadow Puppets en français. Bon après, forcément, on prend une recette de départ et on s’en éloigne. Mais oui, ce sont toutes ces influences qui n’ont rien inventé mais sont venues alimenter un imaginaire.
LVP : Tes clips ont aussi ce côté cinématographique, ils sont même présentés comme des « films » où la musique vient s’ornementer d’images et d’interprétation pour raconter une histoire. Le cinéma, c’est un art qui t’inspire ?
Prattseul : Oui, pour faire le pont avec le “Pratt” d’Hugo Pratt, c’est une référence à l’image qui ne s’étend pas qu’à la bande dessinée en fait, mais aussi au cinéma, à la photographie, le design et tous les arts visuels. Je suis très friand de Wes Anderson par exemple au cinéma, qui réussit avec des histoires ancrées dans le réel, juste par un décor ou par une façon de filmer et d’amener les choses, à faire travailler l’imaginaire. On a l’impression d’être dans un film de science-fiction alors que tout est quasiment réel.
LVP : Visuellement, on situe le personnage de Prattseul entre dandy et crooner, et cela se reflète dans ton attitude et la musicalité de ta voix. Tu penses que c’est l’image qui nourrit ta musique ou inversement ?
Prattseul : C’est une question compliquée. Je reconnais que je ne suis pas forcément un musicien d’exception, ni un auteur d’exception, ou même un réalisateur. Je ne suis juste pas mauvais dans tout. Aujourd’hui, la musique c’est ce que je défends sur scène, c’est ce que les gens vont écouter. Mais Prattseul, je le vois comme quelque chose de plus général, où tous les arts et médiums sont à exploiter. Je m’amuse trop à réaliser les clips. Aujourd’hui, ça a un peu avancé, parce que je travaille avec un réalisateur, même si l’idée de base reste la mienne. J’en discute avec lui et on trouve un terrain commun sur lequel s’appuyer pour la réalisation.
LVP : Donc tu gardes la main sur tout ce qui relève de l’image du projet.
Prattseul : Complètement. Après, je dois faire attention à ne pas me perdre. Quand je présente Prattseul, les gens veulent écouter de la musique. Parfois, à trop mettre l’accent sur de la vidéo ou de l’image, il ne faut pas délaisser le son, parce que le projet reste de la musique avant tout.
LVP : Tu as une voix plutôt grave, qui se prête à merveille au parlé-chanté comme dans Le Nouveau Monde, mais tu gardes aussi des mélodies très pop comme dans Sous la Lune. Ton identité vocale, c’est quelque chose que tu as travaillé et à laquelle tu tiens ?
Prattseul : Oui. Je n’étais pas chanteur quand j’ai commencé la musique. J’étais plutôt guitariste sur les bancs du collège. Je chantais sur ma guitare, et un ami m’a dit que je chantais juste et m’a proposé de venir répéter avec lui. Petit à petit, je me suis retrouvé à être leader de mon premier groupe, qui était grave cool, mais un peu n’importe quoi (rires). Pendant longtemps, c’était difficile d’assumer ce rôle. Aujourd’hui, je peux dire que je suis chanteur, j’assume cette identité de musicien. La voix, c’est un instrument que je commence tout juste à découvrir. Et le parlé-chanté, ce sont toutes mes références à la Leonard Cohen, Gainsbourg, dans le côté un peu plus “poème”. J’adore l’aspect un peu grave que les voix peuvent avoir. J’ai de la chance ici, à priori ma voix est plutôt grave (rires).
LVP : Pour finir, quel est ton coup de cœur dans la programmation du festival ?
Prattseul : Je ne sais pas si c’est très original, mais je suis un immense fan de Flavien Berger. Je trouve tout ce qu’il touche ultra passionnant. Il a une approche très détachée de plein de choses. J’ai aussi des amis qui bossent avec WarEnd, que je suis depuis un moment. Je suis très curieux de le voir. Sa diction est parfaite ! C’est trop cool de voir évoluer les projets autour de soi.
LVP : Tu t’intéresses donc à d’autres styles de musique ?
Prattseul : Oui, j’aime bien écouter de tout tant que c’est pas trop hard-core. J’adore le rock, mais je ne vais pas forcément écouter du métal. Mais en live, la dimension est différente, l’expérience, les visuels, les arrangements, la manière de s’adresser au public, les corps, c’est intéressant.
LVP : C’est aussi tout ce qui fait les festivals, pour la découverte de différentes musiques !
Prattseul : Exactement. Il y a plein de noms que je ne connais pas et que j’espère connaître après la soirée !
En perpétuelle recherche d’épaules solides sur lesquelles me hisser pour apercevoir la scène, je passe mes concerts à faire les chœurs depuis la foule.