Prolog I : les bleus infinis de Wallners
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Auteur·ice : Joseph Lanfranchi
26/02/2021

Prolog I : les bleus infinis de Wallners

Moins d’un an après avoir sorti leur premier titre, les quatre frères et sœurs Wallner dévoilent Prolog I. Cinq titres et une introduction rêveuse à l’univers enchanté du quatuor viennois. En quelques morceaux élaborés avec soin, Wallners compose un EP sensible et contemplatif. L’air de rien, les musicien.n.es jouent leurs atouts et exposent avec pudeur leur force créatrice. Les notes sont clairsemées mais justes, les mélodies simples mais touchantes. Quelques instants de pure beauté s’échappent de chacune des chansons. Souvent portées par la voix profonde et androgyne d’Anna Wallner, les cinq pistes semblent avoir été composées sans ambition, avec une fausse simplicité qu’il n’est possible d’acquérir que par un travail de longue haleine. Le groupe se fie à sa bonne étoile, à quelques arrangements inspirés et à un mixage millimétré pour jouer une musique d’une beauté bleue et profonde. Car elle est bleue cette musique; de toutes les teintes, de toutes les nuances et de toutes les humeurs mais toujours bleue. D’un bleu marine se teintent les flots impérieux de Ships. Les pensées amoureuses et aveuglantes d’un bleu azur sur in my mind se muent en regrets de saphirs et désirs ardents de nuits sur all again. Pris dans les rouleaux impatients de too far, l’excitation est électrique avant de faire place au calme indolent de minuit sur Silence.

C’est en douceur que s’ouvre l’opus, bercés par le piano et ballottés d’un bord à l’autre de nos doutes par la voix aussi profonde qu’aérienne de la chanteuse. Invocation marine d’inspiration Beatles, Ships vogue sur les eaux troubles de l’espoir utopique. Les notes de guitares sont vaguement saturées et les mélodies aussi tristes et intenses qu’une aube grise et pluvieuse sur l’océan. La musique scintille pourtant, perle cachée et discrète qui se révèle malgré elle.

 

Le rythme reste léger et les arrangements subtils sur in my mind, le premier single de la fratrie. La mélodie évolue avec naturel et facilité du xylophone aux lourdes cloches d’une basilique s’apprêtant à célébrer un rite depuis longtemps oublié. Envoûtés par leurs appels mystiques, on ne remarque pas tout de suite que discrètement et avec un naturel désarmant, les musiciens transforment le ton de la chanson. La musique s’approfondit pour gagner l’intérieur de notre être. En quelques portées, elle passe sans encombre notre épiderme pour s’immiscer toujours plus loin dans nos membres. La tristesse qui semble inhérente à toutes les paroles du groupe se répand par vague. Sans difficulté, sans avoir besoin de forcer, sans rien déchirer sur son passage, bien au contraire, elle trouve refuge dans nos organes et s’épanouit dans les replis de nos pensées. Une soumission acceptée sans révolte, accueillie avec soulagement. Sans doute car, en un claquement de doigt, elle brise des digues inconscientes : jetées raides et austères en travers de nos émotions.

Toute la magie d’all again réside dans cette seconde où Anna Wallner aspire l’air autant qu’elle expire les mots. Un sentiment d’intensité physique et réelle se libère de ses paroles. Sa voix résonne, claire comme la rivière et évidente comme la cascade. So I’ll pray you’ll take home my mind and say it all again, try it all again, live it all again. Les instruments sont en retrait, en cercle. Prosternés devant sa splendeur et troublés par sa puissance ils construisent, presque avec retenue, les fondations d’une chanson qui nous transporte dans un clair-obscur au romantisme antique. À une époque de marbre, douce et froide, idéalisée, où arpenter les espaces d’ombres et de lumières, où marcher entre les colonnes, suffit à redorer la vie.

 

Wallners s’aventure ensuite sur les territoires boisés de Hollow Coves, à la croisée des chemins entre la fougue retenue de London Grammar et l’atmosphère sombre mais ensorcelante de The xx. too far, non. A l’inverse du refrain, on voudrait les pousser à s’exposer davantage, se risquer plus loin. Car assurément sous le verni brillant, le talent, l’art, la créativité débordante brûlent et n’attendent que de pouvoir s’exprimer. Quelques instants à le gratter avec l’ongle, à l’écailler, alors que les producteurs ont la tête tournée, suffiraient sans doute pour que le génie s’échappe. Assoiffé de vie et gorgé de désir, il pourrait alors tout recouvrir et avoir la force de ne plus jamais être dompté. Il pourrait vaincre la peur et ne plus céder aux tentations de la facilité pour se maintenir à la vue de tous, magnifique et rayonnant. Saturé de la joie de se savoir invincible, sûr de soi.

Le groupe entend nos craintes et y répond par Silence. Les murmures de la chanteuse répondent aux notes voilées de trompette dans un échange apaisé. Essence du groupe qui se plaît dans un monde feutré où les sensations et les sentiments passent davantage par des passions effleurées que par l’affirmation brutale de leur existence. Le voyage en compagnie de Wallners n’est ni périlleux ni aux confins d’un monde inconnu mais dans les plus belles régions du nôtre. Grâce à leur musique refont surface des émotions réelles, fortes et vraies. De la joie à la tristesse, sans peur de l’une ou de l’autre, avec plaisir et surtout beaucoup de cœur.


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