Minuit passé et je sors enfin de la fournaise du Marché Gare. Les braises sont encore chaudes et mon esprit redescend doucement. J’engloutis les dernières gorgées de bière restantes. Autour de moi, on retombe tranquillement. Ça clope à droite, ça rigole à gauche, ça pleure aussi au loin. Cette nuit, le squale a été plus fort que tout. Imposant par son corps, surprenant par sa profondeur, Grand Blanc s’est montré grand. Le groupe, que l’on a interviewé et chroniqué lors de sa date bruxelloise, me témoignera juste après le concert que cette date lyonnaise est la meilleure de leur tournée.
C’est bizarre ce qu’il s’est passé ce soir. C’est la première fois que ça nous arrive, vous êtes fous. On nous avait dit que le public lyonnais était froid, mais non. Tout le monde chantait et dansait dans la salle … Ça nous est jamais arrivé.
Le premier acte fut une pièce jouée par les Lyonnais de Alexis & The Brainbow. Quintette à la chemise rétro-futuriste et à la pop teintée d’électro, le groupe nous offre un set inégal. Le public ne s’y trompera pas et ne rentrera dans la partie que sur quelques morceaux. La voix est agréable et juste, mais l’ensemble résonne dans ma tête comme quelque chose de déjà entendu. Néanmoins, les « squatteurs » du Marché Gare (comme ils se désignent après 4 passages) montrent une facette intéressante sur certains morceaux : Trumpet où l’on pense à la folie des Grenoblois d’Apple Jelly (Oh ! Boy), Cristal où l’on se tourne ici vers Iñigo Montoya et leurs textes sensuels et la quasi-instrumentale de Tellurisme qui clôt un concert en demi-teinte entrecoupé de moments où l’alchimie opère et permet de montrer le groupe sous un visage particulier.
Après avoir divagué avec mes voisins du soir sur les différences possibles entre le tambourin et la tambourine, ainsi que sur le concept de salle de concert remplie de matelas, Grand Blanc nous coupe en arrivant sur scène. Comment imaginer un autre début qu’en compagnie du non moins cosmique Surprise Party.
Surprise Party
Un jour on rallume et tout le monde est parti
Les revenants tardent et les regrets criblent
Souffle tes bougies comme les enfants terribles
Le morceau semble idéal pour faire connaissance, prendre ses marques ainsi que pour faire face aux soucis techniques qui se présenteront aux artistes toute la soirée (plus de kick, inversion de câbles, plus de voix, plus d’effets, plus de trucs et j’en passe!). Qu’importe, le public est déjà bouillant et mes voisins sont plus satisfaits par cette seule chanson que par l’intégralité du set précédent.
S’enchaînera Homme Serpent, Petite Frappes et l‘annoncée comme disco Disque Sombre. Camille et Benoît au chant synthé et guitare emmènent le Marché Gare dans une idylle brumeuse et passionnelle. Il se dégage quelque chose de viscérale, un mélange de froid sonore et d’ambiance chaleureuse. La salle transpire déjà de sourires et les déhanchées plus ou moins réussis, rythment le tempo avec sensualité.
L’ambiance s’alourdit sur Summer Summer.
La chaleur nous terrasse mais laisse couler
Tout le travail est abattu
Inspire expire, import export c’est le même air
Un temps calme pour mieux repartir. Bien que plus lent et éloigné des morceaux précédents, Summer Summer prend l’espace et présente un Grand Blanc sage et profond. Glaçant et immense. Multi-facette, le groupe prouve qu’il n’excelle pas seulement sur les titres aux allures légères.
Degré Zéro et Amour Fou poussent la performance encore plus loin. Camille revient au chant et nous lance des aigus armés de pics qui transpercent ton corps. Un vent de mélancolie glacial et un retour dans les années 80 façon cold-wave font encore plus brûler la salle. Il fait vraiment chaud et Benoit se met torse nu.
Sur Tendresse, la salle sera plongée dans le noir et des lasers verts déchireront la scène part en part. Encore une fois, l’univers est différent, le public apprécie le titre aérien, lyrique et minimal. Dans la continuité Grand Blanc nous invite à danser le slow sur Evidence qui se finira en crescendo irréel et transportant.
Bosphore sera le climax de la soirée, les déhanchés seront galvanisés par cet électro-rock organique. Des sourires et encore des sourires. Je me retourne, tout le monde est à fond et semble prendre son pied, moi compris. Pas le temps de se ressaisir que Verticool et ses basses prennent le pouvoir, plus sombre et aux sonorités industriels. Benoît nous harangue, Camille se rebelle, on exulte. Le très, très, attendu Samedi la nuit clôture le set de la meilleure des manières. Une douce folie s’installe dans un Marché Gare ardent. Il brûle dans tous ses coins, se consume à petit feu pour ne rester que braises. Le vertige et l’amour, la fantaisie et la frénésie, un assortiment de sentiments contaminent mon corps et mon esprit. Le titre sera clôturé par la montée d’une partie du public sur scène, ils se dandinent et partagent avec le groupe, c’est chouette.
Les braises seront ravivées sur Montparnasse lors du rappel. Benoît reprend les rênes, de sa voix instinctive, animale et profonde il achève le public de son intensité. J’aperçois des larmes sur les visages m’entourant. Physiques et écorchés, les grondements de celui-ci remplissent le Marché Gare comme rarement. Le silence prend place, on respire de nouveau et une belle ovation méritée clôture la soirée. Grand Blanc et ses membres semblent heureux. Ils nous quittent radieux et épuisés.
Brasier de notre soirée, le Marché Gare et Grand Blanc ont consumé la plupart de notre énergie. La prestation fût intense et impressionnante de sérénité malgré les divers soucis techniques. Les multi-univers présentés ce soir là ont pris l’espace, ont saisi la foule par leur densité et leur ampleur. Des coups fatals nous ont été portés. On retiendra notamment Surprise Party, Disque Sombre, Degrés Zéro, Bosphore ou Samedi la nuit. Le groupe manie l’élégance et la performance avec dignité mais aussi ingéniosité. Grand Blanc qu’il soit à suivre ou à découvrir, à détester ou à adorer mais surtout à écouter, au moins une fois dans sa vie.
Epicurien musical des temps modernes, la découverte comme leitmotiv. Adule Matt Shultz, l’alternatif, Darwin et le rock qui dépote.