Céline Kayogera : Que le rap et le hip-hop soient ! Et le rap et le hip-hop firent…
"
Auteur·ice : p.tx
18/02/2025

Céline Kayogera : Que le rap et le hip-hop soient ! Et le rap et le hip-hop firent…

|Photo : Melissa Fauve pour La Vague Parallèle

Certaines personnes restent longtemps dans l’ombre, tissant leur toile en silence, jouant avec les forces en place. Puis, un jour, elles surgissent dans notre paysage, et l’on se demande comment elles ont pu nous échapper si longtemps. Une fois les brumes de la rencontre dissipées, des murmures émergent çà et là, révélant une présence qui était là bien avant que nous ne la remarquions. Céline Kayogera est de celles-là. À l’initiative de nombreux projets dans le secteur musical bruxellois depuis plusieurs années, elle occupe une place essentielle, bien que souvent discrète. Il y a tellement de choses à dire que nous ne savons pas par où commencer. C’est pourquoi nous avons préféré l’écouter nous raconter.

La Vague Parallèle : On avait plein de questions à poser à Céline, mais on n’a pas eu envie de les lui poser les unes à la suite des autres. On a donc opté pour un moyen un peu plus ludique : on a proposé à Céline de tirer les questions au sort avec des dés et… elle a accepté. Mais avant toute chose, nous lui avons demandé de se présenter et de nous expliquer un peu son parcours… introduction oblige !

[Début de l’enregistrement]

Céline Kayogera : Je m’appelle Céline Kayogera. Je suis à l’origine d’une structure qui s’appelle CLNK ASBL. Je suis formée en communication, diplômée de l’ISFSC. J’ai commencé mon parcours pro après avoir travaillé pendant près de dix ans dans le secteur associatif non marchand, dans le domaine de l’engagement citoyen principalement. À un moment donné, j’ai décidé de faire une pause et de me repositionner professionnellement. J’aimais bien ce que je faisais mais ça me faisait un peu chier de bosser dans des structures rigides avec un cadre et une hiérarchie pesante. J’avais également l’impression d’avoir fait le tour de mon métier. Je nourrissais l’envie de l’exercer autrement. J’ai donc pris un an pour réfléchir à ce que j’avais « vraiment » envie de faire et j’en ai également profiter pour me former. Le défi a été de réfléchir à la possibilité de combiner à la fois les compétences que j’ai acquises tout au long de mon début de carrière professionnelle et ma personnalité. J’ai clairement un goût pour les pratiques artistiques, le rap et le hip-hop francophone. bien que je ne joue d’aucun instrument et que je ne crée pas de musique au sens stricte. De fil en aiguille, avec l’envie de m’inscrire dans une dynamique plus indépendante, je suis arrivée dans un premier temps à être consultante en communication pour le festival Expression Urbaines, pendant deux années consécutives. Ensuite, j’ai fait des ateliers pour des artistes et des podcasts, pour en arriver à créer la formation  URBAN360.

LVP : Merci ! Il semblerait que tu ais plusieurs cordes à ton arc ! Est-ce que ça te dirait de commencer à tirer au sort la première question ?

[Céline jette les dés… ]… Deux !  

LVP : Peux-tu nous parler de CLNK et déplier certains projets qui y sont rattachés ?

Céline Kayogera : Je peux commencer par vous parler de la production événementielle et plus particulièrement d’un évènement qui s’appelle RAP [BOOK] CLUB. Cet événement a lieu à peu près tous les deux ou trois mois, dans la cafétéria de l’Espace Magh, et ce, depuis deux ans. L’idée est d’y inviter un·e auteur·ice d’un livre en lien avec le rap,  le hip-hop, et plus largement en lien avec la culture urbaine.  Le but était d’instaurer une conversation autour de l’ouvrage, de parcourir des thèmes issus de la culture urbaine et même parfois d’aller plus loin dans le côté méta avec des passionné·es. On termine souvent la séance par des questions-réponses et un moment de dédicaces autour d’un verre.

Il y a également les podcasts, dont le premier en coproduction avec TARMAC s’appelle Réelle Vie. On s’intéresse aux réseaux sociaux – plus spécifiquement Instagram – comme étant le lieu d’émergence d’une nouvelle forme de journal intime pour les utilisateur·ices. On a invité des acteur·ices du monde culturel et artistique à discuter autour de ces questions avec notamment Yseult, Aloïse Sauvage ou encore ICO.

Un deuxième podcast intitulé Pull Up, met en lumière les acteur·ices et activistes de la culture hip-hop et rap. On avait envie qu’iels nous racontent leur histoire à propos de la scène belge.  Parce que pour toute une génération, celle-ci aurait commencé en 2015 – 2016 avec Roméo Elvis, Hamza et Damso. Certes, ce sont des artistes qui façonnent toujours le rap et qui s’inscrivent dans son histoire et plus largement dans la culture urbaine contemporaine ; mais avant eux, il y a eu plusieurs autres générations d’artistes et d’activistes qui ont œuvré tout autant pour la culture urbaine en Belgique. La ligne directrice du podcast c’est de raconter l’histoire du rap belge en allant à la rencontre de ceux et celles qui l’ont faite, les pionnier·es (avant 2016) et de les amené·és à nous raconter leurs histoires et leurs expériences. Le podcast est une collaboration entre John, le boss de Bleu Musique et KAER du groupe Starflam et qui aujourd’hui est également coach scénique.

Un troisième podcast Richesse Générationnelle, spécifiquement produit par CLNK en collaboration avec Africalia, réunit trois générations de femmes d’origines d’Afrique centrale à savoir du Burundi, du Congo et du Rwanda. De nouveau, j’avais la volonté de soutenir et donner à entendre la parole à ces femmes autour du travail, de l’immigration, de l’amour et du bien-être. Nous voulions croiser les regards de différentes générations et donner à entendre une parole rare et nécessaire. Dans ce contexte, on entend souvent des témoignages d’hommes, alors que les parcours des femmes incluent parfois des enjeux plus complexe encore. Je ne hiérarchise pas, la transmission des histoires/de toutes les histoires, est une partie importante des forces à mobiliser pour que les choses changent.

LVP : On tire la prochaine question ?

[Céline jette les dés.] … Sept !     

LVP : Y- a-t-il une expérience personnelle marquante dans ton parcours qui continue à te guider dans tes projets?

Céline Kayogera : Une expérience personnelle ? … Mes moteurs, en quelques sorte… ?  Si on part là-dessus, je dirais qu’ils sont différents en fonction des époques. Mais je peux peut-être en dégager deux. Le premier, c’était cette furieuse envie de ne pas me retrouver dans le monde du travail traditionnel. Et en même temps, considéré le fait que je devais vivre et donc, gagner de l’argent…  Un autre moteur ?  Le sens. Le sens que les projets que je développe ont pour moi. Ce qu’ils m’apprennent, parfois de manière violente et parfois sur le mode de la joie. Dès qu’un projet se termine et qu’il acquiert une existence propre, c’est un moteur pour en lancer d’autres. Je me dis : « ok j’ai réussi à faire ceci… maintenant pourquoi ne pas faire cela ? Et on recommence ! ».

[Question suivante…  Céline jette les dés] … Trois !

LVP : Quel a été le déclic qui t’a poussée à t’investir dans la culture hip-hop et rap ?

Céline Kayogera : Comme je l’avais mentionné plus haut, j’ai pris une année pour me repositionner sur l’échiquier professionnel. C’est au cours de cette année que j’ai été accompagnée par une structure qui m’as aidé à réfléchir aux types d’activités vers lesquelles je souhaitais me diriger. J’ai rencontré une coach et à la suite d’une conversation, elle m’a fait remarquer que la musique était quelque chose qui revenait souvent dans nos échanges. Elle m’a vraiment poussé à aller rencontrer les gens du secteur musical et d’identifier les besoins et les manquent de ces personnes. Et en fait, c’est de cette façon que j’ai commencé à rencontrer à tisser des liens et à évoluer dans le secteur musical.

Et puis, pourquoi la culture hip-hop ? Tout simplement parce que j’ai grandi avec le rap en français. Et aussi pour l’état d’esprit ! Ce sont des valeurs qui m’ont accompagné pendant toute mon adolescence, et y avait cette volonté de rendre à la culture hip-hop un peu de ce qu’elle m’avait apporté durant ces années difficiles…

Enfin, j’ai aussi été pas mal motivé par un constat. Les chances n’étaient pas les même pour celles et ceux qui voulais se lancer dans les musiques urbaines que celles et ceux qui voulaient se lancer dans d’autres styles musicaux, que je dirais, plus facilement répandus et/ou « institutionnalisés »… J’ai observé à l’époque des différences dans les opportunités données aux artistes d’autres esthétiques musicales, comme le pop-rock, le jazz, la pop, … Et je me suis dis : « Eh bah, c’est dans cette direction-là que je veux aller » !

[Céline jette les dés.] … Six !  

LVP : Comment, selon toi, est perçue la musique urbaine aux yeux des institutions, par exemple, pour tout ce qui est relatifs aux aides et aux subsides ? Plus largement, comment s’intègre les musiques urbaines dans le paysage institutionnel à Bruxelles ?

Céline Kayogera : La question est complexe. Est-ce qu’elle s’intègre, ou, au contraire, est-elle déjà intégrée ? Parce que d’un côté, je pourrais vous répondre qu’on est sur une forme d’égalité ou d’équité en termes de traitement. Je pourrais très bien dire, oui, aujourd’hui le rap et le hip-hop sont les musiques numéro un des jeunes et cette culture est véhiculée par tout un tas de média différents. Je pourrais dire qu’en apparence,  les musiques urbaines (rap/hip-hop) ont tout gagnés. Sauf que d’un autre côté, je pourrais vous dire l’inverse. D’une part, cette hype qui a traversé le rap depuis quelques années déjà, à petit-à-petit sortis le rap de la culture hip-hop. Et de fait, cette sortie à fait en sorte que les interconnexions qui pouvaient existés entre les deux, se sont faites de plus en plus rare. Et puis, d’autre part, le rap ne passe pas sur les radios grand public…Sauf TARMAC, mais c’est une radio DAB et non une radio FM. Ce qui ne rapporte pas la même chose au niveau des droits d’auteur·ices.

 [Petit écart à la règle, nous avons eu envie de rebondir… !]

LVP : Est-ce que cette asymétrie de traitement a aussi été un moteur dans la construction de projets comme Urban360 ? Pour essayer de rééquilibrer un peu la balance, dirons-nous ?

Céline Kayogera : Tout à fait ! Parce qu’il y a des spécificités à chaque courant musical. On ne communique pas de la même manière. Ce qui derrière implique que pour y arriver, il va falloir passer par d’autres chemins. Ce qui demande un accompagnement spécifique. On revient à ce que j’ai évoqué précédemment, le fait que le rap ne passe pas dans les radios lambda… Aujourd’hui, le marché il est en France, où l’écosystème rap est beaucoup plus développer et où ses spécificités sont prises en compte. De fait, le parcours d’un.e artistes rap était facilité en France alors qu’en fédération Wallonie-Bruxelles, à ce moment-là, il n’y avait pas d’offre de services, en tout cas qui était dédiées spécifiquement à ces cultures-là et à ces esthétiques là… Un autre point qui mérite que l’on s’y arrête,  c’est la méconnaissance des opérateur.ice.s vis-à-vis de la culture hip hop et rap et les clichés qui vont avec. Pour iels le rap c’est  Mc Solaar ou IAM… Mais il n’y a pas que ces deux façons de faire du rap et aujourd’hui les musiques urbaines tendent à se diversifiés et à revêtir d’autres formes. Ce qui peut également amener à une instrumentalisation du rap de la part de certains secteurs. Par exemple, on voit de plus en plus de festivals qui programme des artistes rap, alors même que ça ne fait pas partis de leur ligne éditoriale. C’est un phénomène que j’ai pu observer dans pas mal de festivals francophones… parce que iels savent que le rap fait vendre. Mais je suis prête à parier que si demain, ces mêmes artistes vendaient moins, ils ne seraient pas aussi présent.e.s sur le devant de la scène de ses festivals.

[Céline jette les dés.] … Trois… [Céline jette les dés, à nouveau.] …  Huit ! 

LVP : URBAN 360, justement ! Peux-tu nous en dire plus sur la formation et sur l’évènement organisé autour?

Céline Kayogera : C’est la troisième édition cette année ! On est au Botanique pour la journée de clôture ce qui marque une étape importante dans le projet. C’est cool ! On a voulu marquer le coup et on organisé une journée autour de la professionnalisation des métiers de la musique. On a invité plein de personnes du milieu pour des tables rondes et on finira par un showcase ! Je suis heureuse pour les artistes, qu’iels se sentent accompagné·es dans leurs projets et qu’iels nous montrent aussi un aperçu de ce qu’iels font. La formation propose d’accompagner dix artistes pendant quatre mois afin de les suivre dans la conceptualisation et la mise en œuvre de leur projet musical. Comment en faire mon métier ? Quel public viser ? Comment produire un son ou un album ? Pour répondre à toutes ces questions, les artistes ont l’opportunité de rencontrer des professionnel·les actif·ves dans le secteur de la musique. Ça donne lieu à des échanges de pratiques où iels abordent la façon de parler d’un projet, la manière de le mettre en place financièrement, de s’entourer d’une équipe. Et puis au niveau institutionnel, quelles sont leurs possibilités. Aujourd’hui on s’y perd un peu dans le flux d’informations et de données à notre disposition. Ça peut freiner une recherche artistique et la mettre en péril. Avoir les bonnes informations est une arme dont iels doivent pouvoir se servir. Mais par où commencer ? C’est à ces problématiques que tente de répondre URBAN360, gratuitement et soutenu entre autres par Bruxelles Formation et beaucoup d’autres. Exceptionnellement cette année, les artistes ont eu trois jours de résidence au Botanique et à la fin, iels vont nous faire un concert !

[Céline jette les dés.] … Quatre !  

LVP : Peux-tu nous parler de ton expérience depuis la marge ? 

Céline Kayogera  : La culture hip hop est un véhicule d’expériences particulières et transformateur. Je pense que quand tu appartiens à un groupe marginalisé, discriminé, parfois un peu méprisé, le mot d’ordre c’est : la débrouillardise ! C’est la base. C’est-à-dire que tu développes toute une série de compétences du fait même d’être en marge du système. De là où tu trouves, les chances ne sont pas les mêmes en fonction de si tu fais de la pop et de la techno que si tu fais du rap ou du hip-hop. Il y a une espèce de devoir d’efficacité, de qualité, et d’inventivité de la part de ceux et celles qui n’utilisent pas les outils du système. Je pense à Back in the Dayz. C’est assez intéressant de voir que dans la mise en place de leur structure, iels n’ont pas attendu la reconnaissance institutionnelle pour la mettre en place et la développer… Il me semble qu’iels ont obtenu un soutien institutionnel presque dix ans après la création de la part de la Fédération Wallonie-Bruxelles, c’est fou !

 [Désolé… on a encore dérogé à la règle !]

LVP : Ça marque un certain positionnement par rapport aux institutions et avec ce qui est attendu des projets subventionnés. En tout cas, ça ne s’inscrit pas dans les systèmes de distribution « classiques ». Mais il ne s’agit pas de rejeter totalement le système, il faut faire avec… Il faut capturer son attention avec des propositions qui intriguent et qui éveillent la curiosité !

Céline Kayogera : Effectivement, on a quand même besoin du système. J’entends par là que, c’est à ce moment-là, vous l’avez dit, qu’il faut faire preuve de force, de créativité et d’inventivité pour arriver à attirer l’attention du système avec des propositions hybrides, pour mettre un grain de sable dans les rouages. On se sert du système, tout en essayant de garder une distance avec lui.

[Céline jette les dés.] …   Douze !  

LVP : Pourquoi les artistes de la scène urbaine cartonnent sur les réseaux sociaux aujourd’hui ?

Céline Kayogera : Je crois qu’il y a une convergence de deux choses. La première se sont les technologies et la secondes, ce que ces technologies ont permis dans la création et la diffusion d’un projet. À l’époque les artistes de la scène rap/ hip-hop n’avaient pas accès aux médias traditionnels… En revanche, iels ont accompagné·és le développement des réseaux sociaux, ont appris à s’en servir comme des outils et utilisés leurs codes. Ça fait une quinzaine d’années qu’iels utilisent ses réseaux. C’était un des seuls endroits, il ne faut pas l’oublier, où tu pouvais partager ton contenu sans devoir te formater aux standards en vigueurs.

[Céline jette les dés.] …   Cinq !   

LVP : Avec l’émergence des nouvelles technologies, que ce soit l’intelligence artificielle ou les réseaux sociaux, comment envisages-tu l’avenir de la création et de la diffusion du rap ?  Et nous voulions rajouter, comment conçois-tu le lien entre la création et l’aspect commercial ? 

Céline Kayogera : Pas facile comme question ! … En tout cas il y a une chose qui est factuelle, c’est que les maisons de disques, ça fait un bon nombre d’années qu’elles n’investissent plus dans le développement des artistes. C’est-à-dire qu’il y a 15-20 ans, on te repérait, on te signait, t’avais un budget pour un an, deux ans, trois ans, le temps de pouvoir travailler ton son, trouver ta direction, te développer, tranquillou, etc.

Aujourd’hui, t’as plus ça, on signe des gens qui ont déjà de bonnes statistiques sur les réseaux. Ce qui implique que les artistes sont obligés de déjà maîtriser toute une série d’outils et de codes afin de marquer une différence dans la mêlée. Et de se fait là, les chances sont largement asymétriques et que la question du numérique rentre en jeu. On n’a pas toujours le budget de prendre une RP, ou un graphiste au début… Comment faire ? C’est aussi la question de l’isolement… Avec qui travailler, vers qui se tourner ? Si tu n’utilises que Chat GPT, ça va être compliqué, on est d’accord…  En revanche, ça peut être un outil qui peut t’aider à répondre à des questions ou des situations administratives, ouvrir des champs de réflexion. Si, tu bosses sur une présentation et que tu as envie d’être challengé, d’avoir un peu plus d’idées, alors peut-être que l’intelligence artificielle est un bon support.

D’un autre côté, je me dis aussi que les projets qui se démarquent le plus, sont ceux, actuellement, dont la recherche artistique est poussée et « recherché » justement. Et, cet aspect-là, je crois, est profondément humain et quelque part organique. Je vois donc l’intelligence artificielle et la création comme partielle et partiale. C’est-à-dire ponctuellement pour des tâches précises. Un soutien qui agrémente quelque chose déjà en train de se faire. Ça peut aussi te permettre de gagner du temps ! Mais c’est certain que la sensibilité reste la base à partir de laquelle un·e artiste nous livre quelque chose, et çà, l’intelligence artificielle ne le fait pas !

 [Céline jette les dés.] …   Dix !  

LVP : Quel rôle penses-tu que le hip-hop peut jouer dans les luttes sociales et politiques actuelles?

Céline Kayogera : Je suis une enfant de la culture hip-hop. J’ai fait des cours de hip-hop quand j’étais petite… (rires) Blague à part, je crois qu’il y a un vrai point de vue à adopter sur la crédibilité du rap et du hip-hop comme art et culture. C’est aussi ce que j’ai voulu porter avec le projet URBAN360. Quelque chose en lien avec l’art et la culture hip-hop et aussi la première formation de ce type dans le portefeuille de formation offert par Bruxelles Formation. C’est une première et j’en suis fière !

De plus, cette année, j’ai voulu pousser l’aspect culturel avec un focus sur le genre et le secteur de la musique. On y a discuté masculinités, problématiques de représentation liées aux minorités sur les scènes francophones belges, racisme, sexisme et capitalisme. Paradoxalement, le rap est perçu comme le genre musical le plus sexiste – même s’il n’est pas le seul -, en ce qui me concerne il n’y a pas plus de sexisme dans le rap que dans toutes les autres industries musicales et plus globalement dans la société en général. À ce niveau-là, le monde du rap et du hip-hop, n’est pas « plus » sexiste que le monde dit du travail « traditionnel ». Il y a autant de problématiques liées au sexisme, au harcèlement sexuel, au violence sexiste et sexuelle dans le rap qu’ailleurs. Le problème c’est que le rap souffre de son image de sous-culture…Mais ce n’est pas grave, on empruntera les fenêtres et les gouttières pour rentrer, mais nous rentrerons en faisant bouger les lignes du système.

LVP : On arrive bientôt à la fin de l’interview !   

[Céline jette les dés] … Neuf  ! 

Eh bien…, tu viens de tirer trois petites questions que voici :  si tu devais décrire ton impact sur la scène hip-hop bruxelloise en trois mots, quels seraient-ils ? 

Céline Kayogera : Professionnalisation, passion, et… anticonformisme.  Mais ce n’est peut-être pas le bon mot, ça sonne trop grandiloquant… Je pensais à l’idée d’être une femme noire et je fais des choses qui impactent d’autres personnes. L’idée n’est pas l’anticonformisme, mais c’est plutôt de dire « je ne suis pas le profil type et j’’y arrive aussi ! ». C’est possible. C’est ma force, celle d’appartenir à un groupe minoritaire.

LVP : Si tu devais collaborer avec un·e artiste d’un tout autre univers, qui choisirais tu et pourquoi ?

Céline Kayogera : James Blake… ! Je suis tellement fan de lui, que je ne sais même pas par où commencer ! Il m’a accompagné dans les moments les plus douloureux sentimentalement parlant. C’était cool d’avoir une musique comme ça quand j’étais plus jeune. Maintenant, il est plus heureux, donc c’est moi le cas ! (Rires) Mais c’est aussi un artiste hyper complet. Il est auteur, compositeur, interprète, producteur… J’aime le fait qu’il veuille s’éloigné de l’industrie musicale et des règles établies… de communiquer autrement avec sa « fan-base »… c’est une dynamique qui me parle. Il me touche à fond en termes de musicalité de mindset, … et tout… et tout … vous avez compris ! (Rires)

LVP : Et enfin, si le hip hop bruxellois était une personne comment la décrirais-tu ?

CÉLINE : Et bien là, en 2025… je n’en ai aucune idée… Je ne sais pas à quoi ressemblerait cette personne… Une personne « mystère » ! De nos jours, ce n’est plus très clair. Et j’aime cette ambiguïté qui finalement peut revêtir pleins de profils différents… 

[Enregistrement terminé]

Nous l’avons remerciée et l’interview s’est clôturée. On en est ressorti avec le sentiment d’une démarche assumée, politiquement et culturellement, sur l’échiquier institutionnel bruxellois. Nous avons eu l’impression que les réponses de Céline ramenaient sans cesse à cette position occupée depuis la marge, dont les actes perturbent le système.

Autrement dit, c’est adopter une forme de tactique située, une manière d’agir depuis une position marginale en exploitant les failles du système tout en le mettant en crise. À la suite d’Haraway on dirait que CLNK est un trickster. C’est-à-dire une figure qui joue avec les cadres établis, les détourne de l’intérieur afin de les subvertir et les pousse jusque dans leurs contradictions pour ainsi reconfigurer de nouveaux possibles.

Cette affaire là est également en lien avec une certaine matérialité du savoir. Car la capacité de pouvoir faire dérailler « le système », implique d’être en contact direct avec lui, de l’éprouver dans ses textures, ses gestes, ses protocoles. D’habiter dans ses architectures et de danser ses chorégraphies. « Situé·e » renvoie à l’idée d’être ancré·e dans un contexte, influencé·e par une position aussi bien sociale, qu’historique et politique. Reformuler autrement : “situé·e”, c’est tout le contraire de l’idéal d’objectivité universelle. On est dedans jusqu’au cou !

[Cette fois, c’est la vraiment la fin …]  

Spécialement sélectionné pour toi :

Découvre d’autres articles :

Bleu test:
Bleu test: