Raconte-moi… “Tout ça pour ça”
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Auteur·ice : Victor Houillon
19/05/2020

Raconte-moi… “Tout ça pour ça”

Dans “Raconte-moi“, La Vague Parallèle s’infiltre chez les artistes les plus fruités pour récolter les anecdotes, histoires et inspirations qui se cachent derrière nos albums préférés. C’est Gaétan Nonchalant qui ouvre le bal et se livre à cet exercice intime, pour la sortie de son premier EP. On voyage de la Normandie au Japon. On y évoque l’arrosage de pieds de tomates ou la marinade de curry. Dis, Gaétan, raconte-moi Tout ça pour ça.

Si le disque vient de sortir, certaines des mélodies qu’il renferme résonnent depuis longtemps dans nos têtes. C’est le cas notamment de La berezinavalse tranquille et désabusée, devenue un moment de communion inévitable entre Gaétan Nonchalant et son public, au fil des salles de concert parisiennes qu’il écume depuis quelques années. Quoi qu’il en soit, Tout ça pout ça porte son lot de ballades lo-fi. Une musique un peu à contre-courant de la nouvelle pop, entre crooner lo-fi et métaphores absurdes. On a notamment flashé sur Aquarium, la perle cachée qui allie influences américaines et narration décalée dans un ensemble touchant, à la mélancolie nette et implacable. Une sensation de fin d’après-midi d’été, sur laquelle on pourrait s’épandre plusieurs lignes durant. Mais celui qui parle le mieux de cet EP reste son auteur.

Gagner son pain, herbe humide et pieds de tomates

“La chanson la plus récente du disque. Je venais d’arrêter un job d’un an en tant que gardien de musée au centre Pompidou, j’étais en période de transition. Il fallait que je trouve un nouveau job et j’étais dans la merde pour plusieurs raisons. Bref, j’étais en train d’arroser mes pieds de tomate dans la maison de mon enfance et j’étais soudain frappé par cette chape de plomb : le travail. Un besoin pécuniaire, inévitable, qui ramène toujours à lui. Une réalité universelle et intemporelle. J’ai pris ma guitare classique, je me suis assis dans l’herbe humide et j’ai fredonné ce truc. Gagner son pain était là et m’a fait beaucoup de bien.

Je voulais mélanger quelque chose de moderne (le kick et le synthé presque séquencé du refrain) pour souligner le côté actuel du propos, avec quelque chose de beaucoup plus traditionnel, folk, presque country, pour marquer l’intemporalité de la chose (les folks, les slides ainsi que les beaux violons de Louise Lhermitte (Lonny)). Puis j’ai confié ça à Robin Leduc, qui a rajouté un charley, un tambourin, des subtilités qui l’ont solidifié. Et surtout son mix, son oreille fantastique… J’avais tout enregistré à la maison, il a réussi à la rendre plus puissante et harmonieuse.”

Oasis digital, super pop, solaire, un peu brésilien

Oasis, c’est différent. C’est très rare que je procède comme ça, mais je suis parti d’un texte. Je venais de retomber sur une vieille compo qui ne tenait pas la route au piano. Un truc de quand j’avais 19 ans, un de mes plus vieux textes en français. Le thème du type qui ne trouve pas sa place, qui se sent à côté mais qui continue de poursuivre un idéal. La compo était à jeter, trop plombante, mais j’étais attaché au texte, alors j’ai voulu composer quelque chose de super pop, solaire, un peu brésilien, pour avoir un contraste intéressant, lui apporter de la légèreté.

C’est le morceau le plus studio du disque, et ça s’entend. C’est plus produit, on a passé quatre ou cinq jours dessus en studio avec Robin, qui a fait presque tous les arrangements. Cyrus Horde est passé faire des claviers et Thomas Subiranin une ligne de basse de folie.”

La Berezina, une sonnette d’alarme qui invite à relativiser

“J’ai écrit et composé La Berezina en cinq minutes, au coin du feu, en Normandie. J’étais en colère à cause de promesses non tenues et je me répétais cette phrase : « les gens disent des choses mais ne les font pas ». J’ai commencé à la chantonner comme une valse à trois temps, pour ironiser là-dessus. J’ai pris ma guitare et j’ai écrit la chanson sur un petit bout de papier. Ça m’a calmé, j’ai pu aller me coucher. Mais c’est drôle, je me souviens que je n’ai pas pensé qu’il s’était passé un truc intéressant, qu’il y avait une compo à garder sur le moment.

Quelques jours plus tard, je suis passé voir Robin à son studio pour bosser sur Aquarium. Alors qu’on s’apprêtait à partir, j’ai joué La Berezina à Robin. Le morceau lui a plu et on s’est entraîné mutuellement. J’ai fait une prise guitare – voix en live, il a rajouté une drum, puis une basse, et le morceau était là en une heure.

Une semaine après cette première expérience de studio fantastique, j’ai appelé Robin pour lui dire que je voulais sortir La BerezinaRobin a fait de la magie, on a rajouté des synthés tout en restant très prudent. On était bien conscient que ça devait rester une valse épurée. Aujourd’hui, avec le recul, je pense que c’est le meilleur morceau que j’ai écrit. J’aime toujours autant le jouer en concert, et je reçois tellement d’amour grâce à lui. Il parle de la frustration, mais avec apaisement. C’est une sonnette d’alarme qui invite à relativiser, dans le calme. Plus je suis en colère, plus le morceau que je vais composer sera doux.”

C’est la vie, smooth du début à la fin

“C’est une belle définition des moments d’extase que j’ai, parfois quotidiennement, parfois hebdomadairement, parfois pas pendant plusieurs mois, et ça devient pénible. Il faisait beau, je regardais par la fenêtre à Jourdain et je trouvais la vie belle. J’ai commencé à chanter “C’est la vie” en rigolant et en me demandant si ce n’était pas un énorme refrain, finalement, de juste répéter ça. J’ai foncé sur mon clavier et j’ai trouvé la suite d’accords et le texte tout de suite. Elle est née comme ça, sans latence aucune. Je l’ai aussi enregistrée dans la foulée. J’avais envie d’aller vers un truc un peu plus cheesy, j’étais dans le Michel Berger ou la Véronique Sanson des années 80 et de la grosse city pop japonaise ce matin-là. Ce qui explique le clavier un peu plus FM, le petit riff de guitare chorus, ou encore le solo de synthé lead.

Plus tard mon frère Cyprien Vandenbussche a fait le saxophone et les copains Arthur Albaz et Thomas Subiranin ont posé le basse-batterie. Ce morceau a été mixé par mon ami Alexis Fugain (Biche), le lendemain de leur release party complètement épique à la Boule Noire. On a fait un petit tour de barque au soleil, une promenade en forêt pour se reposer, et le moment venu il a posé ses oreilles et son savoir-faire délicat sur la chanson. Un plaisir, smooth du début à la fin, pas une seule fois je ne me suis posé de questions sur ce titre.”

Aquarium, le morceau le plus sombre

“J’ai écrit Aquarium juste après les attentats. Je bossais dans un restaurant coréen, j’étais dans le flou sur tout, je me lançais seul, corps et âme dans la musique. J’habitais à Stalingrad, avec le camp de migrants très important qu’il y avait dans ce quartier à l’époque. Bref, j’avais le blues et le quotidien était assez violent. C’est le morceau le plus sombre de l’EP. Malgré tout, je me souviens que je pensais aux Beach Boys quand je l’ai écrite, dans mon appartement jaune sur les rails de la gare du Nord.”

Genki, déclaration d’amour envers le pays du Soleil-Levant

“Je vivais à Hokkaïdo, au Japon. Je veillais avec mon frère Kota, qui s’endormait en faisant mariner du curry pour son restaurant. Il avait l’air au bout du rouleau, alors, pour l’amuser, je suis allé le voir dans sa cuisine en lui chantant “Genki Desuka? Mochiron Genki Mainichi genki”. “Comment ça va ? Bien sûr que ça va, ça va tous les jours“.

Quand j’ai dû m’en aller, le village m’a organisé une fête de départ où il était prévu que je fasse un concert. J’étais transcendé d’émotions et de reconnaissance pour tout ce que les habitants m’avaient apporté pendant mon séjour, alors j’ai écrit le reste de la chanson comme une lettre d’au revoir, dans leur langue, pour qu’ils me comprennent. Cette chanson est une déclaration d’amour pour ce pays où j’ai vécu plus d’un an, à mes vingt ans. C’est là que les planètes se sont alignées, pour asseoir qui j’étais et me confirmer que la musique serait mon chemin. Quand je suis rentré de mon deuxième voyage là-bas (un retour aux sources, cinq ans plus tard, qui fut bouleversant), j’avais un énorme cafard. Je n’ai vu personne pendant un mois. Mon bro Fantastic Mister Zguy m’a prêté son super micro et le préamp à lampe de Roland de Why Mud. J’ai passé ma première semaine sur la prod de ce morceau, en l’articulant autour de la boîte à rythme fragmentée et du synthé moelleux sous-marin. Le tout en écoutant et en samplant les voix de mes ami·e·s enregistrées le soir de mon départ (celles qu’on entend au début du morceau). On roulait dans la neige, et de nuit, en s’arrêtant toutes les heures pour regarder les étoiles. On voulait juste ne pas rentrer, ne pas se dire au revoir.

Mon bro Alexandre Grolée de Space Dukes a posé une magnifique drum dessus pour faire décoller le morceau, et Robin a mixé la track. Elle clôture l’EP dans une espèce de fanfare hallucinée, pleine de liesse mais aussi de mélancolie, de souvenirs.”

Tout ça pour ça, cheminement d’apprenti chansonnier

“Je compose et écris presque toujours d’une traite, quand j’ai un trop-plein d’émotions. J’essaye de me rendre disponible tous les jours pour ces moments qui me tombent dessus. Chacune des chansons du disque a une histoire différente, de sa création à la manière dont elle a été enregistrée.

Pourtant, il y a une vraie cohérence entre ces titres, qui a rendu cet EP si évident pour moi, qui m’a fait sentir que c’était le bon moment. Sans doute parce qu’ils se répondent et se complètent. Parce qu’ils sont le reflet des constats et des émotions que j’ai traversés ces dernières années dans mon cheminement d’apprenti chansonnier, qui est intimement lié à mon cheminement d’apprenti humain. Sortir cet EP est une très belle récompense, ça donne du sens à un peu tout. Maintenant, j’ai hâte d’imaginer des choses nouvelles.”

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