Ramener l’amusement et le plaisir au cœur de la création musicale, avec Ashe
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
19/10/2022

Ramener l’amusement et le plaisir au cœur de la création musicale, avec Ashe

Ashlyn Rae Willson, plus communément connue sous le nom de Ashe, est arrivée sur la planète pop comme une parolière hors pair, capable de triturer ses propres malheurs sentimentaux pour en faire des hymnes de self-confidence, à savoir son tube Moral of the Story. Si son premier album Ashlyn, paru en mai 2021, se dévoilait en demi-teinte, la suite de ses chroniques personnelles revêt sur Rae des airs grandiloquents, dramatiques et indéniablement fun.

Car si son amour pour les ballades crève-cœurs est réexploité sur quelques titres, c’est davantage un esprit libéré, sexy et inattendu qui gronde sur ce second album. De l’esprit délicieusement vintage de Count On Me et omw à la pétulance lumineuse de Another Man’s JeansAshe ne lorgne pas sur les ambiances et les contrastes, pour décliner l’amusement sous toutes ses coutures : plus aguicheuse que jamais sur le sensuel San Jose et fiévreuse sur le tube TikTok Emotional. On a eu la chance d’échanger un appel Zoom en toute intimité avec l’artiste, et on vous l’affirme : l’authenticité et la bienveillance existent encore sous le soleil plastique de Los Angeles.


La Vague Parallèle : Félicitations pour l’album ! Il s’appelle Rae, qui est également ton second prénom. Ton premier album s’appelait Ashlyn, qui est ton prénom, et on imagine que le prochain s’appellera Wilson, qui est ton nom de famille. Pourquoi t’imposer cette structure en triade pour raconter ton récit ?

Ashe : C’est drôle, tu es la première personne qui me parle du concept de la trilogie. Effectivement, c’est inévitable, vu les noms de mes premiers disques, le prochain s’appellera très certainement Wilson. (rires) Tu parles de structure, et c’est vrai que j’aime le sentiment de structure que Ashlyn et Rae me procurent, grâce à la logique qui les lie. Mais au-delà de ça, le fait de donner à mes albums mes propres noms, cela m’autorise à approcher ces disques comme des journaux intimes de certains moments de ma vie. Rae raconte avec précision l’endroit où je me suis retrouvée ces dernières années.

LVP : À l’écoute de l’album, cet endroit dont tu parles a l’air si solaire, joyeux et même sexy. On te sent plus libre sur ce disque, c’est juste ?

A : Totalement. Je me suis libérée de tant de choses pour composer Rae. Je ne me suis jamais vraiment sentie sexy, de toute ma vie. C’est comme si je n’avais jamais accepté cette partie aguicheuse et émancipée de moi-même. En travaillant sur ces morceaux, j’ai trouvé une façon de chérir cette facette de moi en me répétant “Tu sais quoi ? Tu es sexy !” Et c’était aussi facile que ça, et surtout ça m’a procuré tellement de fun.

LVP : À partir de quelles références et inspirations as-tu découvert cette version sexy et désinvolte de toi-même ?

A : C’était une évolution assez naturelle pour moi. Il y a cette photo de Drew Barrymore dans les années 90, elle porte ce mini top en cuir noir, ses cheveux sont flamboyants, détachés et sauvages. Et son attitude respire la confiance en soi. Quand je suis tombée sur cette photo, je me suis tout de suite dit : “Ça, c’est Rae.” C’était précisément l’énergie que je voulais pour cette nouvelle ère.

 

LVP : En contraste à cette nouvelle peau pleine de force et d’estime de soi, tu décides tout de même de revenir à des sujets plus douloureux reliés à ton divorce. Mais toujours de façon malicieuse, comme avec Hope You’re Not Happy, qui invite à aborder le divorce d’une manière totalement différente de ce que tu proposais sur Moral of The Story, par exemple. Quand tu démontres que le divorce peut être vécu de différentes manières, c’est une démonstration à toi-même que tu fais ? Ou plutôt aux gens qui t’écoutent  ?

A : Très bonne question. Je crois que c’est les deux. Le deuil, la perte, ça ne doit pas être linéaire. On nous a trop appris comment “perdre” quelqu’un·e, en passant par des phases bien définies, dans l’ordre : le déni, la rage, l’acceptation, l’oubli. Selon moi, on saute d’une phase à l’autre, on revient à certaines, on en évite d’autres, et c’est tout à fait valable aussi. C’est un processus humain, et donc totalement personnel. J’avais envie de laisser de la place pour accepter toutes ces émotions, sans juger le manque de logique de l’une d’entre elles. Mon divorce m’appartient, et je m’autorise à ressentir tout ce que je dois ressentir, et à chanter à propos de ça. Je déteste mon ex sur Hope You’re Not Happy, et j’accepte ça. (rires)

LVP : Au niveau des sonorités de cet album, tu as fait le pari d’un habillage très orchestral et grandiloquent. Beaucoup de cordes notamment. Pourquoi avoir joué la carte du dramatique comme cela ?

A : En réalité, on a voulu s’amuser au maximum. On a voulu utiliser un peu de tous les instruments qu’on avait à notre portée. C’est bateau, mais je n’avais pas envie de sortir un album qui sonnait comme tous les autres. Autant j’aime beaucoup de choses dans la musique qui sort actuellement, autant j’ai parfois l’impression que tout le monde fait la même chose. Oups. (rires) Et je sais que c’est comme ça que le système fonctionne, et que la plupart du temps ça assure à un morceau d’avoir du succès. Mais je me suis dit que pour cet album, je devais davantage sortir des sons qui sonnaient comme moi, et pas comme des tubes. Et c’est passé par cette utilisation de beaucoup, beaucoup, beaucoup d’instruments. (rires) Ce qui en dit long sur le côté un peu over the top et effervescent qui caractérisait ces années-là.

LVP : Et beaucoup de textures et d’époques différentes, également. D’où vient cet esprit western qui habite tout l’album ?

A : Je n’arrive pas trop à expliquer pourquoi l’esprit western s’est invité aussi progressivement sur la production de cet album. Une de mes références était la scène d’ouverture du film Kill Bill de Quentin Tarantino. L’esprit graveleux et sale de cet esprit “du Sud” m’a beaucoup attirée, et c’est ce qu’on a tenté d’insuffler au morceau d’introduction Rae’s ThemeOn a pensé ce morceau comme un retour au vieux western hollywoodien, et on a voulu disséminer des bribes de cette ambiance sur chaque morceau qui suivait, de façon plus ou moins explicite.

LVP : Quand on écoute le morceau omw, on ne peut s’empêcher de se demander à quel point c’est challengeant de recréer un titre qui respire autant le fun et l’amusement des morceaux sixties-seventies.

A : C’était un processus assez facile, en réalité ! Le fun qui a transcendé l’album se retrouve tout particulièrement sur ce morceau. L’écriture s’est déroulée dans une petite ville montagnarde à quelques heures de Los Angeles, qui s’appelle Big Bear. C’était pendant l’automne, il faisait froid, on a allumé des bougies, fumé quelques cigarettes, je cuisinais pour tout le monde tous les soirs. Le genre de bulle qui fait du bien. Et le dernier jour de cette petite escapade, ce morceau est juste sorti naturellement de nous. Le rythme des percussions, le groove, tout était là. Pour le bridge/pre-réfrain, j’ai spontanément voulu improviser un riff et je me suis retrouvée à inventer les paroles qui se retrouvent sur le disque. Et le clip qui accompagne le morceau est définitivement le clip préféré que j’aie sorti de toute ma courte carrière. Attends, il faut que je te montre des photos du tournage ! *dégaine son téléphone et nous montre son alter ego clownesque* 

 

LVP : Le morceau Angry Woman est l’un des seuls du nouvel opus qui s’autorise un côté revendicateur, voire politisé. Il y a tant de choses à dire sur le sexisme aujourd’hui, comment as-tu canalisé le tout dans un seul et même morceau ?

A : C’est un morceau personnel, qui fait référence à un événement bien précis de ma vie. Ce qui était impensable, c’était de trainer une personne spécifique dans la boue, je ne voulais pas donner autant d’attention à cet homme qui m’a fait du mal. Mais j’avais besoin de me délivrer de ça, en sachant que ça servirait à d’autre femmes. Ou même à n’importe qui : certains hommes, certaines personnes non-binaires. Tout le monde peut se retrouver dans la rage de Angry WomanJamais aucun morceau ne m’avait liée à mon public de cette façon. Quand je joue ce morceau en live, c’est le fun le plus agressif que j’aie jamais ressenti de ma vie. Et c’est précisément ce que j’attendais de ce titre.

LVP : Un seul featuring sur l’album, et pas des moindres : l’emblématique actrice Diane Keaton prête sa voix sur Love Is Letting GoJ’ai pu comprendre qu’au-delà d’une idole, c’est également une véritable inspiration pour toi. C’est symbolique de l’inviter sur un morceau aussi personnel, qui aborde le décès de ton frère ?

A : Bizarrement, ça a rendu la chose encore plus personnelle et spéciale. Le fait de vénérer quelqu’un aussi fort et de lui parler de quelque chose qui est si douloureux pour moi, et surtout de savoir qu’elle partage une histoire similaire avec son propre frère, c’est très précieux. J’ai lu son livre Brother and Sister qui raconte sa relation avec son frère, qui souffrait d’alcoolisme et de troubles de la santé mentale, et la façon dont elle décrit le sentiment de la personne périphérique, en l’occurrence ici la position de la sœur, résonnait énormément avec ce que j’ai traversé à propos de mon propre frère. C’était donc évident de l’inviter sur ce morceau en particulier. Et après coup, ce morceau lui ressemble, même les petites sections de trompette sur le morceau, ça me ramène à ses vieux films.

LVP : On peut s’attendre à vous voir monter sur scène ensemble ?

A : On verra, j’essaie. (rires) Tu sais, elle est timide ! Ma vie est déjà accomplie rien qu’avec le fait de l’avoir sur l’album, donc l’avoir sur scène à mes côtés ce serait juste incroyable.

LVP : Je voulais conclure cette interview avec le dernier morceau de l’album, Fun While It Lasted. Il dénote avec tout le reste de l’album dans le sens où il est habité par la mélancolie, avec un piano-voix plus sobre. C’est une façon de nous emmener vers ce qu’on retrouvera sur le troisième album ?

A : C’est très étrange que tu me parles du lien entre ce dernier morceau et le prochain album car, pour tout t’avouer, j’explorais récemment cette idée d’utiliser les derniers accords de Fun While It Lasted pour les incorporer au début du troisième album. Ce serait une façon de lier les deux. Mais pour être totalement honnête, je ne veux pas trop me précipiter vers la création du prochain disque. Je veux prendre le temps de laisser Rae s’exprimer, de l’emporter autour du monde en tournée, et puis surtout de vivre l’instant présent : je suis amoureuse, je crois que je n’ai jamais été aussi heureuse, et je me dis que ce serait bénéfique de disparaître quelque temps pour profiter de ces choses-là.

LVP : Sage décision.

A : La meilleure !


  • 12 Mars : Anvers (salle de concert à venir)
  • 16 Mars : Paris (salle de concert à venir)

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