Rejjie Snow en mode dolce vita au Botanique
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Auteur·ice : Flavio Sillitti
06/04/2022

Rejjie Snow en mode dolce vita au Botanique

| Photo : Julien Vermeiren pour La Vague Parallèle

On ne saisit pas toujours la force d’un esprit de communauté. Le pouvoir d’une fandom, d’un groupe animé par la même matière musicale, celui qui donne lieu à ces instants d’effusion rares et précieux. On en a eu une définition parfaite le 27 mars dernier, dans l’antre de l’Orangerie du Botanique. La cause : Rejjie Snow, figure irlandaise d’un rap conscient et consciencieux, qui fait contraster sa voix grave à un humour grinçant et intelligent, pour le plus grand plaisir de son public belge venu en masse entonner les lignes d’un des grands paroliers de sa génération.

Son dernier album en date le prouve bien : Alexander Anyaegbunam (de son vrai nom) n’a rien perdu de sa curiosité. À la fois parcimonieux dans ses choix instrumentaux et aventureux dans les registres qu’il exploite, Rejjie Snow édulcore son hip-hop d’un genre à l’autre à travers les années, et ne s’interdit pas grand chose. Il revient aujourd’hui plus lumineux que jamais, auréolé d’une légèreté et d’un esprit dolce vita qui donnent le sourire.

Pour se présenter, l’Irlandais annonce : “I’m Rejjie Snow, and I do music sometimes.” Une voix stridente parmi la foule lui répond alors “All the time !”, à quoi il réaffirme : “No really, just sometimes”. Un échange qui pourrait sembler désuet, mais qui révèle que Rejjie est du genre à savoir prendre son temps. Son précédent album date de 2018, et la tournée qui l’accompagnait s’est suivie d’un heureux événement pour le rappeur : l’arrivée d’un premier enfant. De quoi l’inspirer pour son Baw Baw Black Sleep, paru en juillet dernier. Un disque sans prétention aux sonorités à la fois jazz et trap, produit par Cam O’Bi et que l’on s’impatientait de voir ramené sur scène. Près de quatre ans après être venu présenter son monument Dear Annie à l’Orangerie du Botanique, il est revenu faire chanter Bruxelles tout sourire avec ses nouveaux morceaux sous le bras. Un moment plein d’allégresse et de bienveillance porté par les tubes de sa large discographie et amorcé par la Barcelonaise Gabriela Richardson.

| Photo : Julien Vermeiren pour La Vague Parallèle

Porteuse d’une fougue pop hispano-anglaise moderne, Gabriel Richardson s’inspire de son quotidien ensoleillé pour composer sa musique. Agrémentés de son grain voluptueux, ses morceaux se révèlent efficaces mais parfois maladroits. Des lacunes scéniques et d’interprétation qu’une poignée de scènes supplémentaires viendront facilement gommer, histoire de pouvoir apprécier à leur juste valeur les envolées vocales et les tubes imparables (Hurricane et ses vibes solaires et Palomita Negrita et sa chaleur enivrante) disséminés dans son set, agréable dans l’ensemble. Coup de cœur pour sa reprise guitare-voix d’un classique espagnol dont on n’a pas saisi le nom – mais bien toute la puissance.

Lorsque Rejjie Snow débarque, c’est sur les notes fantaisistes et rêveuses de Rainbows. Une parenthèse céleste de Dear Annie produite par le Français Lewis Ofman et qui annonce déjà la suite du set : légèreté et couleurs. Peu de place pour les détours plus sombres de son premier EP Rejovich, c’est du côté des ondes funk et jazzy de sa discographie que l’artiste va puiser pour cette tournée. C’est que Rejjie Snow n’a que ça à nous offrir : l’allégresse. Celle de son amour pour la musique et celle, plus récente, de son amour pour la paternité. Le soir précédent, Rejjie se produisait à Paris, où sa fille venait le voir pour la toute première fois. Un nuage duquel il n’était visiblement pas encore descendu le soir suivant, à en croire l’émotion solaire sur son visage lorsqu’il nous le racontait. Transparent et sentimental, c’est un homme heureux qui a partagé son art ce soir-là.

Un état d’esprit qui lui aura apporté une certaine classe innée, ressentie dans chacune des interactions avec la foule. À la fois reconnaissant et généreux envers son public, Rejjie couronne chaque morceau d’une performance de haut vol, où chaque ligne est mitraillée avec une finesse laser et une sincérité indéniable. De ses textes les plus politisés aux plus poétiques, Snow croit en chacun de ses mots et c’est assez rare que pour être souligné.

| Photo : Julien Vermeiren pour La Vague Parallèle

“I hope you have you dancing shoes on” répète l’artiste à plusieurs reprises. Le maître-mot : lâcher prise. “Express yourself” conseille-t-il. Et la foule est réceptive. En véritable communauté, le public du soir semble familier à la discographie complète proposée ici, et un esprit de collectif en ressort. Si les gimmicks mordants de Room 27 sont si facilement repris à l’unisson, ou que le refrain de Désolé résonne si fort dans la salle, c’est parce que ce genre d’artiste semi-niche, semi-stardom, bénéficie d’une fandom d’acier, loin des groupements spontanés des phénomènes overnight de TikTok que l’on connait aujourd’hui. “That’s the unity”, comme le martèle son tube PURPLE TUESDAY.

Faisant varier son show de la ferveur de ses tubes pop-funk (Blakkst Skn et Egyptian Lvr) au flow apaisant de ses nouvelles pépites (Cookie Chips ou Mirrors), Rejjie ne laisse aucun temps mort à ce show. Que ce soit à coups de headbang généreux ou de roulements de bassin, le public reste stimulé tout le long. “Hands up for hip-hop” lance-t-il entre deux morceaux, l’occasion pour lui de rappeler son attrait pour le côté classique et anthologique de cette musique qu’il explore avec autant de respect. Un rattachement aux racines du genre qui ne l’empêche pas d’expérimenter audacieusement avec les ondes grossièrement pop de Charlie Brown ou sur le texte malicieux de Mon Amour

C’est finalement Sunny California issu de son album The Moon & You qui gagnera nos cœurs le plus naturellement, en démontrant toute la versatilité du bonhomme, entre pop, hip-hop et de puissants riffs aux allures rocks en guise d’outro. De son énergie à sa prestance, Rejjie Snow offre ce soir-là une nouvelle raison de le considérer comme l’un des grands porte-drapeaux du hip-hop moderne,  inspiré et inspirant.


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