Rencontre avec Dj Pone: lorsque ingéniosité rime avec intégrité
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Auteur·ice : Margot Desautez
26/01/2014

Rencontre avec Dj Pone: lorsque ingéniosité rime avec intégrité

Il y a des artistes avec lesquels on voudrait s’entretenir des heures tant leur parcours est à la fois brillant et éclectique. Dj Pone a travaillé avec les plus grands noms du rap français, a accumulé les titres ITF et est l’un des membres du groupe Birdy Nam Nam mais se dit être « aux balbutiements » de sa carrière et souligne qu’il a encore beaucoup à apprendre. Hier soir Dj Pone jouait au Vogue Club à Reims, dans le cadre de la sortie de son dernier EP, « Erratic Impulses »(Ed Banger Records) aux côtés de Guillaume Brière, membre des Shoes. Quelques minutes avant de s’installer derrière ses platines, il nous a ouvert les portes de sa chambre pour une interview transpirant l’intégrité.

Guillaume Brière (à gauche) et Dj Pone (à droite)

Guillaume Brière (à gauche) et Dj Pone (à droite)

La scène se passe dans une chambre d’hôtel, Dj Pone, droit, calme et posé s’apprête à répondre à nos questions sous l’œil bienveillant de son ami et partenaire éphémère de mix Guillaume Brière (The Shoes). La Vague Parallèle remercie Dj Pone et son très sympathique mais également très provocateur ami Guillaume de nous accorder la toute première interview du webzine.

LVP : Hello Pone, je vais commencer par te présenter brièvement. Tu as travaillé pour des groupes de rap français : Triptik, TTC, la Scred Connection et surtout les Svinkels; on te connait également en tant que membre du groupe Birdy Nam Nam. Tu as récemment sorti ton premier EP en solo « Erratic Impulses » chez Ed Banger Records. J’ai cherché à comprendre ce titre et se dit d’« erratique » un individu au caractère instable, dont le comportement peut changer de nature en un instant. Est-ce que c’est l’esprit que tu as voulu donner à cet EP ?

Pone : Je n’ai pas directement travaillé avec TTC en réalité, j’ai fait un plan dans une démo où je scratchais sur un instrument de TTC donc les gens ont un peu fait l’amalgame. Je les connais très bien mais c’est Para One qui faisait la musique pour TTC. « Erratic Impulses » c’était une punch line que j’avais vu dans un film que j’aimais bien. J’ai toujours navigué entre le rap, la musique électronique et même à l’intérieur de ces genres: j’ai écouté des styles de rap différents. C’est un EP avec beaucoup d’influences différentes, quelque chose d’instable mais toujours contrôlé, et puis, je trouvais que ça sonnait bien.

LVP : Tes origines raps sont clairement explicites dans cet EP, avec « Falken’s Maze » notamment, c’est important pour toi de toujours faire ce lien entre rap et électro ?

Pone : Aujourd’hui je reviens beaucoup plus au rap, j’ai produit un morceau pour des Casseurs Flowters, Orelsan et Gringe, deux morceaux pour Greg Frite qui vont arriver. Je me suis reconnecté avec des rappeurs français plus jeunes : Nekfeu, Deen Burbigo, d’abord par goût : le dernier morceau d’Alpha One je le passe en boucle sur mon iPhone. « Falken’s Maze » c’est un bon exemple de cela car quand tu fais un morceau à 89 BPM, tu te rapproches déjà d’un style particulier. Je me rapproche également du rap américain, je fais beaucoup de soirées hip-hop. Les rythmiques de « M.F.E » sont tirées de samples de productions de Jay Dee par exemple.

LVP : En écoutant ton album j’ai trouvé qu’il y avait un thème à la Justice qui ressortait constamment, c’est l’effet Ed Banger Records ?

Pone: Les deux thèmes présents sur « Falkens’ Maze » et « M.F.E » sont faits avec Gaspard Augé (ndlr : l’un des membres de Justice). Lorsque je lui ai fait écouter mes morceaux il m’a dit qu’il avait envie de poser un truc dessus et je trouvais ça cool de travailler avec lui.

LVP : Et alors comment ça s’est fait avec ce label, c’est toi qui est venu vers eux ou ils t‘ont contacté ? C’est facile de passer d’une carrière de groupe à une carrière solo ?

Pone: Je ne suis pas vraiment dans une carrière solo, j’ai toujours fait des trucs de mon côté. Ces dernières années je me suis concentré sur Birdy Nam Nam car on avait des projets en cours mais j’ai commencé à lancer des nouveaux projets qui vont sortir. Je sors un album au mois d’avril avec le chanteur de Stuck in the Sound, Jose Reis Fontao, dont les premiers morceaux devraient arriver d’ici une quinzaine de jours.

Guillaume : Je vais te faire un morceau d’ailleurs dessus.

Pone : Oui, Guillaume va me filer un coup de main sur une structure qu’il a bien aimé tout à l’heure.

Guillaume : Un gros tube ! Haha !

Pone: Apres pour Ed Banger je connais Pedro (ndlr : Pedro Winter, alias Busy P) depuis très longtemps, avec So Me (ndlr : le directeur artistique du label) on était au collège ensemble, c’est un pote d’enfance, je suis proche de Justice également donc le label Ed Banger c’est avant tout une équipe que je connais bien. Il y a deux ans j’avais croisé Pedro qui m’avait dit de le contacter pour une idée de projet qui n’était pas celui là mais par la suite il m’a conseillé de faire un quatre titres et comme mon EP n’est pas composé de morceaux dancefloor je ne voyais pas trop vers qui me tourner, ça me paraissait évident de travailler avec eux.

LVP : Pourquoi Dj Pone ?

Pone : C’était mon tag à l’époque, tout le monde me connaissait sous ce nom quand j’étais jeune, tout le monde m’appelle comme ça depuis que j’ai douze ans. Je trouve que ça fait un peu nom de jouet

Guillaume : Le « O » en tag n’est pas facile !

Pone : Je faisais des cœurs à la place, haha !

LVP : Donc tu taggues ? C’est toi qui a fait la pochette de l’EP ?

Pone : Non, c’est Fuzi, un mec légendaire dans le monde du tag. Il et parisien et fait partie d’un groupe qui s’appelle UVTPK. C’est un grapheur que je connaissais de par les magasines. En vieillissant il a un peu arrêté le tag et s’est mis au tatouage, il m’a d’ailleurs fait plusieurs tatouages, on s’est rencontré comme ça. Il bosse super bien et super vite !

LVP : Tu as fait un featuring avec Didaï pour « Dipodaïne » qui donne un morceau très mesuré, très syncopé, on reconnaît bien là l’esprit hip-hop puis un autre avec Arnaud Rebotini pour « Erratic Impulses », je suppose que c’est d’ailleurs lui qui a posé la voix robotique : pourquoi avoir choisi deux artistes si éloignés sur le même EP ?

Pone : « Dipodaïne » était un vieux morceau sur lequel je restais bloqué depuis un moment, Didaï avait aimé mon instru et m’a aidé. C’est peut être l’un des titres les plus « club » de l’EP, ça rentre un peu plus dans le genre électronique pour le coup. Le choix de ces deux artistes peut paraître surprenant mais moi je les connais très bien donc ce n’est pas du tout lunaire. Avec Arnaud on avait déjà lancé un projet ensemble puis les histoires de Birdy ont fait qu’on a pas pu le mener à bout. J’avais un morceau un peu techno, à la Kraver que je voulais pousser plus loin. Je voulais finir le EP sur un tempo un peu plus rapide. Il a sorti ses claviers et son super vocodeur et on a bouclé ce titre en une journée ! En plus, on prépare un live ensemble, Machine Platine, qui va tourner dans peu de temps

Guillaume: Arnaud c’est le spécialiste de toutes ces vieilleries, il est très bon là dedans. Thomas (ndlr : Dj Pone s’appelle Thomas Parent) a cette qualité de partager sa musique, s’il ne sait pas faire quelque chose dont il a envie il se tourne vers ses amis. Ça dénote une certaine modestie, chose malheureusement rare dans le monde de la musique.

LVP : « Erratic Impulses » c’est presque une BO de science fiction !

Pone: Oui, je suis d’une génération qui a grandi avec des films où la musique était hyper importante, ça m’a énormément marqué avec par exemple The Warriors ou Escape for New York de Carpenter. Des mecs comme Kavinsky ou moi a grandi avec ces musiques là et je suis très attaché à l’association de l’image et de la musique. Il y a plusieurs années je faisais les sélections musicales de vidéos de graffitis de Dirty Hands.

LVP : Est-ce que ça veut dire qu’il y aura des clips pour cet EP par la suite ?

Pone: On a des bons retours sur l’EP et on aimerait monter un clip sur l’un des morceaux mais ça reste un EP et non un album et un clip demande beaucoup de moyens. On l’a fait avec Ed Banger, j’ai monté un truc de mon côté mais c’est plus un vidéo de promo ou de présentation un peu graff’ qui dure une minute. J’ai été contacté par des gens qui aimaient le projet, il faut voir quelles sont leurs propositions et voir si on a les moyens pour. Après j’ai une autre vidéo en préparation avec des potes mais comme ça va se faire à l’étranger ça va demander un petit peu plus de temps.

LVP : Est-ce-que tu as voulu raconter une histoire avec cet EP ?

Pone: Le vrai projet « Erratic Impulses » est le mix de 20 min, les titres s’enchainent comme je les ai choisi chez moi, avec mon petit ordinateur. Ça commence du plus lent au plus rapide.

LVP : Que penses-tu du dernier Gesaffelstein, je sais que tu aimes le remixer sur certains sets ?

Pone : J’adore ! C’est un univers que je connais et que j’aime, j’en joue toujours et je vais toujours en jouer.

LVP : Tu t’es imposé en beat jugglin en étant champion du monde en 2000, je suppose qu’à chaque fois que tu sors un nouveau titre on s’attend à une performance technique, est-ce-que ça t’énerve ?

Pone : J’ai fait ma dernière compétition en 2002, ça fait douze ans maintenant donc je continue à être dans ce délire de scratch etc… en soirée mais aujourd’hui je suis très loin de ça. Je ne voulais pas sortir un disque avec des scratch partout, déjà techniquement je pense que d’autres le font très bien et puis je suis trop vieux pour les démos.

LVP : Maintenant que tu as fait tes preuves en groupe et en solo est ce que tu te vois travailler dans une maison de disque ou monter ton propre label ?

Pone : Ah non, j’ai encore trop de travail et d’envies, j’ai l’impression d’en être à mes balbutiements. Rien qu’aujourd’hui par exemple le fait de travailler avec Guillaume me prouve que j’ai encore un bout de chemin à faire !

LVP : Tu as sélectionné des titres de Birdy Nam Nam afin qu’ils soient remixés par d’autres artistes (La Femme, Breakbot, The Shoes…), ce qui donne « Defiant Order », tu peux nous parler de cette expérience ?

Pone : J’ai sélectionné les titres qui me parlaient, ceux que je préférais et je trouve ça sympa de voir comment les titres de Birdy peuvent être utilisés et remixés par d’autres artistes.

Guillaume : Tu  as mis le mien ?

Pone : Bien sur !Le remix de DVNO, de La Femme ou de Guillaume sont des remix qui m’ont touchés.

Il se tourne vers Guillaume.  

Il y avait un côté Eric Serra dans le tien que j’ai adoré !

Guillaume : Mais j’adore Eric Serra !IMG_0657

LVP : Est-ce-que ça signifie que l’un de ces artistes travaillera sur le prochain Birdy ?

Pone : Non, mais on est jamais fermé à des propositions.

LVP : Pendant la tournée américaine de Birdy comment ça s’est passé : est-ce-que vous suivez un set à la lettre où tout est programmé ou est-ce-que vous vous adaptez au public et au lieu devant lequel vous jouez ? Je suppose que le public de Detroit n’est pas le même que celui de Miami par exemple.

Pone : Notre set est répété au millimètre près, il est cadré du début à la fin, après on interprète plus ou moins les titres, on fait parfois des erreurs, on peut retirer ou rajouter des morceaux selon la longueur du set mais le programme reste le même. C’est assez confortable de maitriser le show, c’est long en plus il faut compte quinze ou vingt concerts avant de maitriser un show, les lumières, l’ingénieur son, le jeu avec le public … quand tu montes sur des scènes avec un gros public ça fait un peu moins peur franchement.

LVP : Raconte nous un truc qui t’a marqué.

Pone: Une fois je jouais en Belgique, il y a dix ou quinze ans dans le cadre de Double H et lorsque j’ai commencé à mixer un mec m’a demandé si je n’avais pas « Un, deux trois soleil » à jouer, haha !

Guillaume entonne le début d’ « Un, deux, trois soleil » en agitant ses bras.

Guillaume : Tu me mets ça et je pars dans un mariage arabe direct !

Pone : Surtout qu’à ce moment j’étais plutôt underground donc ça m’a bien fait rire !

LVP : Trois morceaux en attendant la fin du monde ?

Pone :

  • No Sleep de Till Brooklyn,
  • Nightclubbing de Grace Jones
  • Melody Nelson de Gainsbourg

LVP : Est ce que tu mixerais gratuitement pour mon anniversaire ?

Pone : Pourquoi pas.

LVP : Tu sais que tu es enregistré ? Un mot de la fin ?

Pone : Champagne !