Rencontre avec la programmatrice de Girls Don’t Cry, le festival toulousain qui fait briller l’inclusivité
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Auteur·ice : Caroline Bertolini
23/11/2022

Rencontre avec la programmatrice de Girls Don’t Cry, le festival toulousain qui fait briller l’inclusivité

Du 24 au 27 novembre aura lieu un festival que La Vague Parallèle affectionne tout particulièrement : Girls Don’t Cry, qui se tiendra à Toulouse. On vous le racontait dans ce dossier, “il y a peu de femmes dans la musique” n’est plus une excuse valide pour ne pas en programmer. Ce festival engagé en est une très belle preuve. Girls Don’t Cry, c’est une programmation entièrement composée de femmes et minorités de genre, c’est une majorité d’artistes queer, au moins la moitié d’artistes racisées, etc. Il nous semblait donc important d’avoir une discussion avec Camille Mathon, programmatrice du festival, sur comment on arrive à un tel niveau d’inclusivité dans une programmation en contre-pied de ce qu’on peut voir en ce moment. 

En 2016, l’association féministe et engagée pour plus d’inclusivité dans la musique, La Petite, créait son média Girls Don’t Cry. Le but, ‘répondre positivement et concrètement au manque de visibilité des artistes femmes’. Comme le raconte si bien leur site, “Girls Don’t Cry s’inscrit dans une approche intersectionnelle et inclusive de l’égalité des genres et défend les esthétiques les plus audacieuses des musiques électroniques, tout en s’inspirant dans la pop culture et les cultures queer”. Pour rejoindre cette démarche, Girls Don’t Cry a même créé un podcast, qu’on vous conseille vivement.

Au sein du festival qui se tiendra en majeure partie au Metronum dans le quartier Borderouge à Toulouse, une programmation musicale audacieuse, – plutôt coté musiques électroniques de niche ou d’avant-garde – autour de laquelle gravitent des activités pluridisciplinaires qui mettent en avant les minorités et les rassemblent dans l’espace le plus safe possible. Trêve de bavardage, on vous laisse avec notre interview de Camille Mathon qui racontera bien mieux l’essence du festival que nous. Et pour avoir un avant-goût de ce qui vous attend dès demain, c’est par ici :

LVP : Hello Camille ! Merci de nous accorder un peu de temps dans ton agenda très chargé vu le début imminent du festival. Comment programmes-tu pour Girls Don’t Cry ? Est-ce que tu es seule à réaliser cette tâche ?

C : Alors oui et non. Sur la musique, je programme quasiment toute seule mais cette année Margaux (ndlr. collaboratrice en communication du festival) a programmé une artiste par exemple. Par contre, toute la prog hors musique ; rencontres, conférences, ateliers, expositions,… c’est fait par un groupe de bénévoles que j’encadre. Donc je fais partie du groupe et je fais aussi des propositions, mais c’est ce groupe qui décide.

C’est un festival pluridisciplinaire mais quand même plus centré sur la musique. Il y a des à côtés mais le centre, c’est la salle (ndlr. Le Metronum) dans laquelle il y aura les concerts. Puis il y a des expos, de la scéno, une conférence, un atelier de danse, une projection de vidéo-poème, un club de lecture, un cabaret drag, etc. [programme par ici]

LVP : Quelle était ton intention au niveau des styles musicaux représentés au sein du festival ? Comment est-tu arrivée à cette programmation super pointue au niveau de l’électro ? 

C : Alors, je m’inscris quand même pas mal dans la tradition de La Petite qui [organise le festival et] programme de l’électro plutôt de niche et d’avant-garde [toute l’année, via des soirées]. C’est le cas depuis très longtemps, par goût de l’aventure musicale, de curiosité et l’envie d’expérimenter et d’offrir des propositions nouvelles au public toulousain. Après, mon intention, c’est de faire un festival à la fois expérimental au sens défricheur, nouveau, et à la fois populaire et rassembleur avec des propositions sur lesquelles la majorité du public va pouvoir se retrouver, se reconnaitre et danser. Pas comme quand tu vas à une expo d’art contemporain et que tu ne comprends rien, par exemple. Il y a des propositions expérimentales mais pas que, il y a aussi du club plus classique, des sonorités très différentes et on va dans des esthétiques assez diverses au sein des musiques électroniques. Je fais exprès de ne pas faire une soirée que techno par exemple. Le public qu’on vise ce n’est pas le public d’une esthétique musicale, c’est plutôt la communauté queer et au sein de la communauté queer, les personnes curieuses musicalement. 

LVP : C’est quoi ton processus de programmation en général, qu’est ce que tu recherches d’abord et qu’est ce que tu viens ajouter ensuite ? 

C : C’est quelque chose que je fais toute l’année. Je suis tout le temps en veille et je vais à pas mal de festivals, j’écoute les propositions qu’on m’envoie, etc. Je suis un peu à l’affût par plein de biais différents. Puis je me fais un tableau par horaire ou je cale ce que je veux mettre dans les grandes lignes, pas en termes d’artistes mais en type de show (live, dj set, etc.). Donc une programmation sans les noms, plutôt par ambiance. Ensuite, je commence à mettre les noms que j’ai déjà dans les cases. Je veille à avoir au moins la moitié d’artistes racisé·es, et au maximum, j’essaye 100% d’artistes queer. Donc je book en premier lieu des artistes queer racisé·es dans des esthétiques que je veux amener. Après je vois les cases qui restent et le budget et je complète en sortant de plus en plus des minorités, mais je ne programme pas par style. Je ne commence pas à booker des personnes blanches tant que je n’ai pas assez de personnes racisé·es parce que je me dis que sinon ça va trop vite se remplir de personnes blanches vu que les personnes racisé·es sont moins visibles.

LVP : Et donc tu ne programmes pas en fonction de têtes d’affiches par exemple ? Est-ce que tu vas quand même piocher dans les catalogues qu’on te propose, ou au-delà ? 

C : Non pas du tout, d’ailleurs on n’a pas de headliners, même s’il y a des artistes qui ont un peu plus de notoriété que d’autres. Je ne vais pas chercher dans des catalogues mais il y a quelques agences avec qui j’aime bien travailler et dont j’aime bien le roaster, puis il y a les programmations de festivals que j’aime bien, puis je vais dig un peu dans Boiler Room ou Hör Berlin et là, je vais piocher que des artistes racisé·es dans les artistes que je ne connais pas encore – surtout parce que les artistes blanches cisgenres viennent à moi beaucoup plus facilement. Puis, j’ai des recommandations. Je demande souvent à des artistes que j’ai déjà programmées parce que souvent les artistes sont vachement en réseau, travaillent ensemble et connaissent des gens que moi je n’ai pas encore vu passer. 

LVP : “Pas d’homme cisgenre hétéro”, c’est ce qu’on peut remarquer et même entendre dans certaines interviews de Girls Don’t Cry. Pourquoi c’est important ? Comment on peut l’expliquer aux hommes qui vont se sentir blessés dans leur ego ?

C : Moi je vais à beaucoup de soirées et festivals et je vois beaucoup d’hommes cisgenres blancs hétéros sur scène, déjà (rires). Nan, mais c’est surtout un processus beaucoup plus lent que ça qui s’opère à La Petite depuis des années où on s’est rendu·es compte qu’il y avait 4% de femmes dans la programmation et que ce n’était pas aligné avec les valeurs de l’association. Au plus on a essayé de faire une programmation paritaire, au plus on a pris conscience de l’enjeu d’égalité des genres et plus on a avancé sur cette thématique – et moins il y a eu d’hommes cisgenres dans notre programmation. 

La Petite existe depuis 18 ans et a toujours fait des concerts mais ça n’a pas toujours été une association féministe. Donc effectivement, on a changé les habitudes de programmation depuis 2015 et au final, on s’est rendu compte que ce n’était pas si difficile de les changer. Après, à l’année sur nos soirées, je n’ai pas cet objectif de ne mettre aucun homme cisgenre. Et ça arrive qu’on en programme surtout quand on fait une coproduction avec un collectif local où il n’y a pas de femmes par exemple. C’est un critère sans en être un, on n’y réfléchit plus vraiment. 

C’est important parce qu’il y a encore plein d’espaces ou il y a que des hommes cisgenres hétéro sur scène, qu’on est très très très très loin d’une programmation paritaire en moyenne. Donc moi, je n’ai pas envie de donner encore plus de place à des personnes qui ont déjà très visibles. Ce n’est pas comme si je gérais la programmation d’une salle de concert avec des soirées toutes les semaines. C’est un festival par an, je pense que c’est ok que sur ce festival, les personnes queer et personnes sexisées sentent que c’est leur place, leur espace et que ça leur appartient. Et si les hommes cisgenres se sentent exclus, je ne les oblige pas à venir, ce n’est pas eux notre cible. 

LVP : Accessible même au niveau prix, mise en place d’un tarif solidaire, accent sur la visibilisation des minorités, mais aussi festival pluridisciplinaire, artistes issu·es de la scène locale, etc. Ça fait beaucoup de variables qui sont intriquées dans la programmation. Est-ce que ça vous semble compliqué au quotidien pour arriver à ce résultat ? C’est quoi le plus gros challenge ?

C : Le plus dur c’est d’y penser, d’avoir l’idée. Une fois que je réalise la bonne chose à faire, ce n’est pas si compliqué de le faire. Puis on est bien entourées à La Petite. Par exemple, je travaille avec un traiteur de personnes queer racisé·es qui font de la nourriture vegan. Tout est pensé pour que ce soit le plus éthique possible mais il y a forcément des angles morts. Le tarif solidaire, c’est un truc auquel je n’avais pas pensé jusqu’à l’année dernière. On me l’a dit puis on l’a fait. Le plus dur, c’était d’avoir l’idée et d’essayer de penser à tout. Le plus difficile dans mon boulot c’est le nombre de tiroirs ouverts et la multitude de choses auxquelles penser, parce qu’après concrètement, à mettre en place, je ne trouve pas que ce soit si compliqué. Et il y a encore plein d’endroits où on n’est pas bien du tout. Par exemple, nos conférences ne sont pas interprétées en langue des signes, ou pas assez inclusives et c’est parce que, parfois, on y pense un peu tard ou qu’on n’a pas la ressource. 

Après, le luxe qu’on a, c’est qu’on est sur une petite jauge et on a une communauté déjà établie donc on n’a pas trop d’enjeu de remplissage. On en a parce qu’on ne veut pas que ce soit vide, mais on n’a pas besoin de têtes d’affiche. Je me prends plus la tête sur des soirées dans de gros lieux où il faut qu’il y ait des artistes d’un certain niveau de notoriété parce que ça laisse moins de choix. Mais là, comme on n’est que sur de la découverte, c’est plus facile, mais juste plus lent. 

LVP : Qu’est ce que tu dirais aux gens qui disent que c’est un challenge de faire une programmation paritaire/inclusive ? Quand on voit tout ce que vous entreprenez, les excuses de beaucoup de programmateur·ices qui n’arrivent déjà pas à avoir une programmation qui regroupe plus de femmes paraissent tellement faciles. T’en penses quoi ? Pourquoi, selon toi, il y a un gap aussi grand ? 

C : C’est effectivement un peu gros comme excuses. Il y a une raison sur pourquoi ça n’avance pas rapidement, en général, c’est parce que ce n’est pas une priorité pour les gens qui ne le font pas avancer. En fait je comprends, parce que moi aussi sur l’inclusion des personnes non valides par exemple, je sais qu’on est à la ramasse, parce que ce n’est pas une question qu’on se pose au quotidien et ce n’est pas la priorité sur laquelle on se situe. Je vois bien que pour moi, c’est le même mécanisme. C’est juste que les gens n’essayent pas, s’iels essayaient, iels y arriveraient. Et moi je ne vais pas prétendre que j’aimerais être super inclusive pour les personnes sourdes mais que je n’y arrive pas. Ce n’est pas vrai, je n’ai juste pas mis assez d’efforts dedans. 

LVP : Donc plus de personnes discriminées qui font des programmations c’est important, mais est-ce que des hommes blancs cisgenres ne peuvent pas faire ce travail aussi ? 

Je pense que ce serait possible. J’ai l’impression qu’être blanche ne m’empêche pas de programmer beaucoup de personnes racis·ées et de faire exactement l’inverse et d’aller d’abord chercher des artistes racisé·es. On pourrait totalement imaginer que des hommes fassent pareil et programment d’abord des femmes et complètent ensuite avec des hommes. Ils le font beaucoup moins, alors que ça pourrait mais c’est pas dans leurs préoccupations. Donc je pense aussi qu’il faudrait plus de diversité au sein des programmateur·ices, c’est aussi un peu la clé.

 

Le must-see de Camille Mathon :

 

Le coup de coeur de La Vague Parallèle :


L’affiche complète de Girls Don’t Cry – 24 · 25 · 26 · 27 NOVEMBRE @TOULOUSE :