C’est avec un enthousiasme certain qu’on vous parle depuis plusieurs mois du projet solo d’Olivia Merilahti, ancienne moitié du duo The Dø. Avec son nouvel alter ego Prudence, l’artiste dévoile un univers à haut potentiel astral. Après la sortie d’un EP à l’automne dernier, Be Water, puis de Beginnings, son ambitieux premier album, nous avons pu échanger avec elle quelques heures avant son concert au festival des Vieilles Charrues. De ses influences musicales et visuelles à des revendications féministes bienvenues, Prudence aura su nous charmer avant même de la découvrir sur scène, ce que nous ne pouvons que vous recommander.
La Vague Parallèle : Salut Prudence, on se rencontre le jour de ton concert aux Vieilles Charrues, comment vas-tu aujourd’hui ?
Prudence : Ça va. Mieux, je dirais, depuis que j’ai fait ma balance et que ça s’est bien passé (rires).
LVP : Le Printemps de Bourges, les Vieilles Charrues aujourd’hui, Art rock bientôt, ça fait quoi de prendre la route des festivals pour porter ton projet ?
Prudence : Je suis très heureuse de pouvoir enfin partager mes nouvelles chansons, mon nouveau projet, et d’avoir ce nouvel espace scénique qui n’est qu’à moi. J’ai créé cette “maison” que j’ai vraiment personnalisée. Je suis aussi fière des musiciennes qui m’accompagnent. Ce que je veux dire, c’est que j’ai le trac, mais la joie et le bonheur d’être là prennent le dessus.
LVP : D’ailleurs, comment as-tu prévu de présenter ton album sur scène ?
Prudence : Nous sommes trois sur scène. C’est assez simple, il n’y a pas d’artefact ou de coup de chapeau, pas vraiment de magie pour l’instant. On n’a pas encore de scénographie, mais ça viendra à la rentrée. Même si on a eu du temps pour y réfléchir pendant un an, tout s’est passé tellement vite…
Ça n’aurait pas été une véritable interview aux Vieilles Charrues si nous n’avions pas été interrompues par la pluie à ce moment précis. Après une petite course jusqu’au château de Kerampuilh, nous reprenons.
LVP : Tu n’es donc entourée que de femmes ?
Prudence : Oui. C’était une volonté de ma part d’avoir une équipe technique féminine, et d’aller les chercher, parce qu’on les sous-emploie. Souvent, on n’y pense pas, on reste toujours dans le même système qui se perpétue. C’était donc vraiment quelque chose qui me tenait à cœur. Au final, toute mon équipe technique et mes musiciennes sont des femmes, j’en suis ravie.
LVP : Ça a été difficile de le mettre en place ? Récemment, nous avons entendu une artiste expliquer qu’elle avait fait cette demande au label qui lui aurait répondu que c’était compliqué de trouver des femmes. Est-ce que ça a été le cas pour toi ?
Prudence : Personnellement, il m’est impossible de recevoir cette réponse. On m’a dit que c’était compliqué, bien sûr, mais je suis allée les chercher par moi-même. Sans critiquer qui que ce soit, ce sont en réalité des systèmes qui sont difficiles à démanteler d’un coup. Finalement, le Covid m’a aussi permis de prendre le temps de chercher par moi-même. Il faut de la patience pour féminiser les équipes. Ce que je trouve intéressant, c’est qu’en trouvant une technicienne, ça en amène d’autres parce qu’elles se connaissent, qu’elles travaillent bien ensemble. Ça devient un réseau un peu underground de techniciennes. Malheureusement, on en est à devoir les caster de façon un peu volontaire. J’aimerais ne pas avoir à le faire, qu’on me propose autant de femmes que d’hommes. En l’occurrence, le fait d’être en solo et de reprendre tout à zéro m’a permis de me rendre compte que les tourneurs et les équipes sont souvent des hommes qui ne réfléchissent malheureusement pas à cette question. C’est finalement dans ces équipes qu’il faudrait plus d’hommes féministes pour faire un peu changer les choses. J’ai l’impression d’avoir une certaine responsabilité par rapport à ça, parce que tout ça m’a rendu lucide, et je vois que ça porte ses fruits. Si en quelques mois, ça a pu ouvrir les yeux de certaines personnes avec qui je travaille sur les tournées, c’est une bonne chose. Pour les majors, je ne me fais pas trop d’illusions, c’est une autre histoire. Mais peu importe, l’important reste de faire des petits pas comme ça.
LVP : On sent que tu as des références très diverses, allant de l’électronique à des choses plus pop, voire hip-hop. Tu peux nous parler un peu de toutes les influences qui ont nourri le projet ?
Prudence : Toutes les influences ? Il y en a beaucoup ! (rires) J’ai surtout l’impression qu’on écoute tous la musique de la même façon, à moins d’être ultra puriste d’un genre. Personnellement, je n’ai jamais été puriste, j’écoute ce qui me touche, et ce qui est nouveau, ou qui me semble l’être. Par exemple, j’ai beaucoup écouté Kraftwerk. Ce n’est pas nouveau mais c’est quelque chose qui reste moderne, c’est assez bluffant. Après, je suis aussi ce qui se passe en pop mainstream américaine. Et aujourd’hui, le mainstream est plutôt hip-hop, donc par extension j’en écoute aussi. Je trouve que c’est un terrain d’innovation, que ce soit en vidéo ou en musique. Aux États-Unis, ils sont dans la recherche. Des équipes sont montées pour chercher la rythmique qui n’existe pas, la ligne mélodique qui n’a pas été faite avant et qui touche. C’est ce qui me plaît. C’est pour ça que j’écoute Rihanna, Sia, Cardi B. Mais j’écoute aussi des trucs hyper indés comme Molly Nilsson, une artiste suédoise que j’adore.
LVP : On parlait des influences musicales mais tu as aussi construit ton univers autour d’une imagerie très travaillée, comme on le voit dans les clips de Offenses et Good Friends. On peut par exemple penser à la SF post-moderne. Est-ce qu’on se trompe ?
Prudence : Je ne saurais pas définir exactement la SF post-moderne, mais pour moi, il y aussi du rétro-futurisme. J’aime bien voyager et c’est justement ce que permet la SF. Je pense que je suis plutôt à la croisée de la SF, du fantastique et du manga. Je me balade un peu dans ces univers où tout est permis, ce qui est génial. Après, c’est vrai que le clip d’Offenses s’est aussi fait de cette manière car on ne pouvait pas faire de tournage en plein Covid. Mais c’est quelque chose que je voulais faire depuis longtemps, toucher au motion design, ou encore à la 3D. Je ne pensais pas pouvoir m’offrir un clip aussi sophistiqué. Maintenant, quand je regarde mes clips, c’est celui qui vieillit le moins. Je suis très fan de tout cet univers, mais mes références SF restent classiques. Je pense par exemple à Interstellar. C’est un film qui m’a beaucoup suivie, ne serait-ce que pour la BO. En général, c’est l’association de la BO au film qui me plaît, et alors l’esthétique me reste en tête parce qu’il y a une empreinte émotionnelle très forte.
LVP : Dans un univers si visuel, on sent aussi que la mode a aussi son importance pour toi. C’est le cas ?
Prudence : Oui, bien sûr. Je ne peux pas le nier. Je me suis toujours amusée avec mes looks. Avec The Dø, je travaillais plutôt mon personnage sur scène. Aujourd’hui, ce qui est génial avec le fait d’être en solo, c’est que je peux travailler tout le décor, toute l’atmosphère qui accompagne au-delà de la musique. C’est très exaltant. Après, je trouve que la mode est un terrain d’expérimentation très développé. Tout y est permis en fin de compte, même si le bon goût vient parfois nous gêner. Mais il ne faut pas se laisser faire, et aller le plus loin possible, chercher de nouvelles formes d’expression, parce que tout ça, c’est de l’art et de l’émotion.
LVP : Dans ton premier EP Be Water, puis dans ton album Beginnings, tu alternes entre les langues anglaise et française. Est-ce qu’il y a pour toi des choses qu’on chante mieux en anglais et d’autres en français ?
Prudence : Oui, bien sûr on ne dit pas les mêmes choses en anglais qu’en français. Chaque langue a sa musique. Cela faisait longtemps que j’essayais d’écrire en français, mais je n’avais pas encore osé partager mes essais dans cette langue. Aujourd’hui, je pense avoir trouvé quelque chose qui me semble cohérent avec ce que je fais en anglais. Pour moi, l’anglais va plus vite, c’est facilement synthétique. En français, il faut un peu plus développer, mais il y a la finesse de chaque mot qui me plaît aussi.
LVP : Justement, dans les titres où tu chantes en français, on sent qu’il y a un vrai travail autour de la musicalité des mots. Est-ce que c’est une chose à laquelle tu penses dès l’écriture ?
Prudence : Oui, j’y pense beaucoup. Après, le studio c’est une chose, mais en live je réfléchis de nouveau pour que le français se mêle bien à un set qui est à 95% en anglais. J’ai toujours aimé ce français qui était pour moi un peu incompréhensible, avait un accent, sonnait un peu exotique. Je suis dans cette recherche-là.
LVP : Dans la construction de ton projet en tant que Prudence, est-ce que les morceaux existaient depuis longtemps ou bien ont-ils été composés plus récemment ?
Prudence : Non, ces morceaux sont là depuis un moment. Je devais normalement sortir l’album après le confinement, avant l’été 2020. Depuis, j’ai changé deux ou trois petites choses : l’ordre des titres, j’ai enlevé un morceau, j’en ai ajouté un. Je n’avais pas besoin de le mûrir autant, je m’en serais bien passée (rires). Mais ça m’a quand même permis de changer des choses pour le mieux.
LVP : Pour finir, quel est ton artiste coup de cœur dans la programmation des Vieilles Charrues cette année ?
Prudence : (Johan Papaconstantino venant de faire son entrée dans la pièce, Prudence le pointe du doigt avec un clin d’œil) Je suis très fan de son projet, j’ai hâte de le voir ! Le problème, c’est qu’il joue juste avant moi. Je vais être dans ma bulle de concentration, mais j’irai quand même le voir un peu.
Interview réalisée et article co-écrit avec Coralie Lacôte
En perpétuelle recherche d’épaules solides sur lesquelles me hisser pour apercevoir la scène, je passe mes concerts à faire les chœurs depuis la foule.