Ricky Hollywood : pause colorée en temps insensés
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Auteur·ice : Julia Vanderborght
06/05/2020

Ricky Hollywood : pause colorée en temps insensés

Depuis bientôt deux mois, nous sommes enfermés chez nous. Et on ne va pas se mentir, on commence à trouver ça un peu longuet. Heureusement, pour alléger cette vie entre quatre murs, Ricky Hollywood nous a ouvert les fenêtres. En avril dernier, notre chanteur coolos a sorti son second album Le sens du sens, un disque pop empreint de poésie, de folie douce et de fraîcheur. Il y a quelques jours, on s’est donc retrouvé sur Skype, non pas pour un banal e-apéro, mais pour discuter de cet album qui fait sourire et aimer la vie, même lorsqu’elle se montre un peu morose.

La Vague Parallèle : Hello Ricky, comment vas-tu ? Comment se passe ton confinement ?

Ricky Hollywood : Ça se passe plutôt bien, malgré tout ! Il faut faire « avec » de toute façon. En plus, j’ai un balcon donc c’est cool ! C’est juste un peu étrange de sortir un disque dans ces conditions mais je suis quand même content.

LVP : As-tu hésité à reporter la sortie ?

Ricky : J’y ai réfléchi bien sûr, mais finalement on a décidé de le sortir. Parce qu’on n’a pas vraiment de vision ou d’avance sur ce qui va se passer dans les mois à venir donc c’est difficile de se projeter de toute façon. Du coup, il faut penser à très court terme et j’avais peur que le discours soit caduque à force d’attendre. Si je ne sortais pas mon disque comme prévu, je ne l’aurais peut-être jamais fait parce qu’il m’aurait semblé hors de propos au moment voulu. C’est un parti pris et en même temps ça ne va pas changer le monde non plus.

LVP : Et qu’est-ce que ça a changé pour toi ? Comment ça se passe depuis ?

Ricky : Je pense que je suis un peu plus détaché qu’avant. La situation actuelle est assez stressante évidemment, mais ça crée aussi des trucs cool. Des questionnements nouveaux, par exemple. En fait, je suis angoissé par tout ça mais aussi « stimulé » par ce qui arrive. Je ne peux pas rester uniquement concentré sur moi-même parce que ça n’aurait pas de sens. Au niveau de la promo, on a dû bousculer un peu les choses mais dans l’ensemble, ça va. Même si j’avoue que je ressens une certaine frustration à l’idée d’être privé de concert. C’est l’aboutissement d’un album et c’est ce qui donne un peu de sens à ce que tu fais tout seul chez toi. C’est l’occasion de partager et de donner un autre éclairage à ces morceaux-là.

LVP :  Tu es « le batteur des stars et la star des batteurs », ressens-tu une différence entre ce que tu exprimes à travers tes paroles et à travers tes instruments ?

Ricky : La grosse différence pour moi se situe dans le rapport à l’autre. Il y a quelque chose de plus social dans le fait de jouer, il existe une connexion un peu plus collective. Alors que quand tu écris, tu es dans un travail plus solitaire et tu te figures l’autre « quelque part ». Tu fantasmes l’autre. Je dirais aussi que le registre du musicien est beaucoup plus physique. Ça permet d’exprimer les choses de manière plus intuitive et moins cérébrale. Quel que soit le degré de complexité et d’interprétation que tu vas donner, il s’agit toujours de pulsions et de non-verbal. C’est peut-être un mode de communication plus subtil que la composition. La chanson me semble être un truc plus raisonné et qui demande un travail plus introspectif, peut-être. Après, il faut quand même des liens entre la mélodie et les textes, donc on ne peut pas bosser complètement l’un sans l’autre non plus.

LVP : Sur l’album, les mélodies sont très aériennes alors que les paroles sont assez piquantes par moment. Comment gères-tu cette ambivalence ?

Ricky : L’idée, c’est de désamorcer les choses pour trouver un équilibre. Peut-être que si ma musique était plus punk à la base, j’aurais envie de nuancer avec des chansons d’amour, par exemple. Du coup, dans des mélodies plus aériennes comme celles sur lesquelles je bosse, j’aime bien créer un twist avec des trucs plus acerbes d’un point de vue textuel. On peut parler d’ironie même si je ne suis pas tout à fait sûr de me retrouver dans ce registre-là. En fait, ce sont des questions de création donc c’est assez intime et difficile à expliquer, mais je pense que ça vient de là. C’est un peu ma manière d’allier toutes les complexités de la palette humaine, on va dire. J’essaie de créer de l’ambivalence et de la surprise dans ce que je fais parce que sinon ça m’emmerde. Je m’emmerde, en fait. Et j’ai envie de me faire rire !

LVP : Ces émotions et ces questionnements dont tu parles à travers cet album, c’est pour du vrai ou c’est pour rire ?

Ricky : Tout est dans l’ambiguïté en réalité, c’est ça qui me plaît. Je trouve ça cool de pouvoir raconter des choses qui ont de l’importance pour soi et par extension pour d’autres gens, mais je veux les dire avec une forme de légèreté. Le but n’est donc pas de faire de l’ironie, mais plutôt de m’amuser même quand je parle du négatif. Et du coup, dans Le sens du sens, par exemple, on est en plein dedans. Ce premier morceau de l’album part donc comme souvent de choses vécues et très réelles mais qui sont assez tristes à aborder. En fait, je dirais que tout est vrai mais que rien n’est sérieux là-dedans, j’essaie juste de me dépatouiller à ma façon avec des sujets qui ne sont pas forcément drôles. Je veux explorer ces questionnements sans tomber dans le tragique et l’autosatisfaction, et donc en y apportant un peu de distance et de relativisme. Ma musique est authentique et elle part souvent d’impulsions qui sont un peu sombres. Ces choses qui me travaillent ou que j’ai vécues et que je ne sais pas toujours comment gérer. Alors, disons que pour se sortir de ce merdier en vie, il faut s’amuser un peu avec tout ça.

LVP : Et pour s’amuser du coup, c’est nécessaire de parler de ces sentiments avec simplicité ?

Ricky : C’est ma manière de dédramatiser des questionnements qui peuvent être très lourds en leur donnant une allure plus digeste. Un peu comme quand tu écoutes Christophe, par exemple. Il y a une mélancolie hyper saillante dans sa voix et dans son interprétation, mais sans tomber dans la chanson française trop réaliste. Il fait de la pop un peu cinématographique qui est très jolie et qui n’est pas trop dure. Lui, il transfigure, il voltige au-dessus de ces choses tristes et parvient à les dire sans s’apitoyer sur sa condition. Pour moi, c’est ce qui fait sa force parce que c’est impossible de savoir ce qui se passe dans sa tête, ni dans quel état il est réellement. Après, je respecte aussi ceux qui parviennent à aller à fond dans le noir et dans le triste mais c’est moins mon truc. Moi, ce qui me fait marrer, c’est de jouer sur beaucoup de tableaux, avec des émotions très contrastées. Parce que l’humain c’est ça, c’est un mélange de tout ça. Donc j’essaie d’être assez honnête par rapport à ce que je pense et je me dis que dans une période où on va peut-être un peu plus s’attacher au fond des choses, ça peut résonner un peu plus fort.

LVP : Est-ce que c’est aussi l’aveu d’une certaine pudeur ?

Ricky : Je ne sais pas trop. Pour moi, c’est surtout une question de vision du monde. Certains aiment te raconter ce qui les traversent de but en blanc, d’autres sont plus joueurs dans la création et préfèrent laisser des « indices ». Personnellement, j’aime mieux cette deuxième option parce que je me construis peut-être plus facilement dans le jeu. Je trouve cela plus riche car ça offre une marge d’interprétation plus large, ça invite au voyage. En gros, je chante ma musique puis toi, tu peux l’entendre comme un truc ultra triste ou ultra gai, en fonction du moment que tu vis. Cela veut dire que tu peux te l’approprier et j’aime beaucoup cette idée. Ça en fait un objet plus libre et moins dogmatique.

LVP : Il y a deux feat. sur ce disque, l’un avec Halo Maud et l’autre avec Juliette Armanet. Comment ce sont passées ces collabs ?

Ricky : Je tournais avec elles deux en tant que batteur quand je bossais sur le projet. Je jonglais entre leurs scènes et l’écriture du disque donc on échangeait beaucoup. Elles étaient très proches du processus puisque je leur faisais écouter mes sons et du coup, ça m’a donc semblé évident de les faire apparaître sur l’album. L’approche était un peu différente par contre. J’avais pré-écrit quelques trucs pour Maud alors qu’avec Juliette, on a vraiment écrit le morceau Single à deux. Je suis allé chez elle et on a tout fait ensemble en quelques heures, autour d’un dictionnaire des rimes et d’un petit goûter.

LVP : Dans cette chanson avec Juliette Armanet, tu parles de quête de gloire et de succès. Même ton nom de scène s’écrit en lettres blanches sur les collines du showbiz. D’où te vient ce rêve de Rockstar ? Constitue-t-il vraiment un idéal à atteindre ?

Ricky : Il y a clairement une part de vrai là-dedans qui relève sans doute un peu du fantasme. Sans me la jouer Freud, je sais que ma musique me reconnecte avec de vieux rêves d’enfance. Je me souviens d’un certain besoin de reconnaissance et chaque fois que j’écris un morceau, je ressens ce sentiment. C’est-à-dire que quand j’étais petit, je voulais faire de la musique parce que je vouais une sorte de culte à ce mode de communication si particulier. J’avais envie d’exprimer ces choses qui peuvent paraître niaises mais qui sont importantes comme « J’existe et je suis cool. Ça se voit peut-être pas encore mais je suis un artiste ! », seulement je n’y arrivais pas. Je ne parvenais pas à être ce que je voulais. Du coup, je fantasmais un peu ce statut de star qui dépasse ces limites débiles que je me créais. 

LVP : Au-delà de la lumière qu’amène ce statut, est-ce aussi une manière de dépasser cette fameuse pudeur et de dire les choses ?

Ricky : Ça crée en tout cas une sorte de dialogue un peu imaginaire. Tu t’exprimes et tu dis qui tu es à un public que tu ne connais pas forcément. Je ne sais pas trop pourquoi c’est si important de parler à une foule que je ne vois pas mais pour le moment, j’ai besoin de dire tout ça. À nouveau, ça relève de dynamismes plus profonds, il faudrait faire de la psychanalyse pour savoir d’où ça vient. Je pense aussi que ça fait du bien de donner vie à un projet si intime et de communiquer. En plus, au-delà de la reconnaissance de tes pairs, il y a aussi le lien avec tes proches. Je pense beaucoup à mes amis quand je fais de la musique et je réfléchis à ce qui pourrait les toucher ou leur plaire. En effet, il m’arrive parfois de voir des personnes à qui je ne parviens pas à dire certaines choses, alors que d’une manière ou d’une autre, j’y arrive avec la musique.

LVP : Tu abordes aussi cela dans Love shy, une chanson qui se démarque un peu du reste de l’album. D’où vient ce côté un peu plus hip-hop ?

Ricky : À la base, ça part d’une envie un peu formelle de faire un morceau plus RnB par rapport au reste. Puis un jour au supermarché, j’ai entendu Long as I live de Toni Braxton et ça m’a subjugué. C’est une chanson très cool qui parle de love, mais qui est un peu douloureuse. Je suis resté bloqué à côté du haut-parleur et j’ai shazamé le morceau. Je suis rentré et je voulais faire un truc dans ce style-là. Sauf qu’à cause de cette histoire de pudeur dont on parlait, je ne m’en sentais pas vraiment capable. Finalement, j’ai nuancé un peu et j’y ai glissé un refrain en anglais qui parle de cette timidité. Celle qui empêche de parler d’amour et de sentiments à grande échelle. Ça donne ce côté RnB que je voulais sans tomber dans le cliché. On peut dire que c’est une révélation de supermarché !

LVP : Et mis à part aller faire tes courses, quels sont tes projets en ce moment ?

Ricky : Pour l’instant, j’apprends la guitare et j’essaie d’aller vers des arrangements plus acoustiques, plus simples pour faire de la musique sans avoir à me raconter. Je construis des paysages qui permettent d’ouvrir les possibilités et des mélodies sur lesquelles on peut naviguer facilement. On verra jusqu’où ça va. Je tente aussi de jouer avec des sons plus assumés, qui vont encore plus loin dans le délire RnB. J’ai quelques pistes mais si ça tombe, je vais les abandonner dans deux semaines (rires).

LVP : Donc tu parviens quand même à créer malgré la quarantaine ? Certains disent que l’isolement permet de libérer plus encore sa créativité. 

Ricky : Je pense qu’il n’existe pas vraiment de moment propice à la création. Tu as beau aller t’enfermer quinze jours à la campagne, tu ne peux pas forcer l’imagination. Après, ce qui est sûr, c’est qu’on vit un tournant en ce moment. Sauf qu’actuellement, je pense que c’est impossible de savoir où il nous mènera. On emmagasine des questionnements existentiels qui vont sûrement générer débat et poésie, mais je ne sais pas quand, ni comment. C’est compliqué car je me sens à la fois stimulé et complètement figé par tout ça. J’ai des envies et j’arrive à faire un peu de musique, mais c’est difficile d’avoir déjà un discours sur ce qu’on est en train de vivre. Pour le moment, je fais donc de la musique très instrumentale, je crée des comptines et des petites ritournelles. Les mots viendront peut-être plus tard, mais là, c’est trop tôt.

LVP : Et sinon, t’as encore un Myspace ???

Ricky : Je crois bien, mais j’ai perdu mes codes. J’ai essayé de récupérer des vieux fichiers mais pas mal de trucs se sont déjà évaporés. En fait, c’était trop cool Myspace, c’était si archaïque et à la fois très naïf, c’était chouette. C’est là que pas mal de choses ont commencé. Et c’est con parce que tous ces trucs hyper cool sont en réalité immatériels et sont donc voués à disparaître si on ne les sauvegarde pas. Tout s’évapore petit à petit, et on se retrouve à vivre dans une nostalgie super récente. Ce n’est pas si vieux et pourtant, la folie des premiers blogs appartient déjà aux premiers temps d’Internet avec ce que ça avait de plus ouvert et de plus cool. On a un peu perdu tout ça. C’est dommage.

LVP : Est-ce une manière délicate de dire que « c’était mieux avant » ou imagines-tu plutôt le monde de demain quand tu penses à tout ça ?

Ricky : Je ne suis pas trop dans le délire « avant, c’était mieux », même si je suis un peu nostalgique de cette période. Je pense surtout que tout ça doit nous apprendre à avoir d’autres alternatives. Maintenant, tout se fait en ligne, sur des plateformes, etc. Les choses ne t’appartiennent plus vraiment. Du coup, le jour où tout ça plante, on perd tout. On doit peut-être apprendre à être moins tributaires d’une seule option parce que si celle-ci disparaît, on n’aura plus rien. Aujourd’hui, le virus qu’on connait et qui ressemble sans doute plus à une vilaine bactérie qu’à un bug informatique doit nous amener à interroger notre monde. Il va falloir trouver un moyen de vivre autrement parce qu’on voit bien qu’il y a un problème dans le système. Alors, j’espère vraiment que ça va changer et qu’on ne retournera pas dans nos vieilles logiques. On verra bien.


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