“Rien n’est curated, tout est instantané” – Follymoon, le journal intime de Ryder The Eagle
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Auteur·ice : Victor Houillon
04/05/2022

“Rien n’est curated, tout est instantané” – Follymoon, le journal intime de Ryder The Eagle

| Photo : Eloïse Labarbe-Lafon

Depuis déjà de nombreuses années, Ryder The Eagle voyage de ville en ville, présentant inlassablement ses états d’âme au public et repartant tel un lonesome cowboy au coucher du soleil. De passage au dancing du Balajo pour fêter l’avènement de son troisième disque Follymoon, on a discuté quelques minutes avec le chansonnier sincère et radical. 

La Vague Parallèle : Hello ! Ravi de te voir de retour à Paris, comment vas-tu ?

Ryder the Eagle : Très bien, et toi ?

Follymoon évoque les hauts et bas présents dans tout long voyage

LVP : Idem. Tu nous présentes aujourd’hui ton nouveau disque. Follymoon est-il le troisième volet d’une trilogie entamée par The Ride of Love puis Free Porn ? Un juste équilibre entre l’amour grandiloquent et sa face sombre, comme la manière de tourner une page ?

RTE: La trilogie n’était pas une envie consciente, mais dans les faits, elle est là. Je parle à chaque fois de ma vie, et de ce qui m’habite. Souvent, c’est l’amour. Le premier EP était assez naïf, plein d’espoir sur l’amour, très romantique. Je venais à peine de me séparer sur le deuxième EP, qui était forcément porté sur le côté adolescent, très sombre de la rupture immédiate. Follymoon, c’est donc après avoir divorcé, avoir déménagé, dans un chemin de deuil amoureux. Pour moi, cet état de deuil amoureux est complètement différent de la tristesse liée à la rupture immédiate. C’était important de faire un album sur ce sentiment, ce long voyage qui ne se finit pas en quelques semaines. Je voulais que Follymoon évoque les hauts et bas présents dans tout long voyage, et c’est pour ça qu’il est plus mélangé que les précédents. Pas blanc ou noir, mais avec des nuances de gris. Je suis passé par des phases d’excitation, de nouvelle vie, et des phases de grosse mélancolie. Il est teinté d’humour également, qui était pour moi une manière de gérer ces émotions en vrac. Cet humour est nouveau dans ma musique, comme une manière de diluer, d’amener une distance qu’il n’y avait pas sur le deuxième EP qui était vraiment écorché vif. Je vieillis, j’ai peut-être une vision différente de moi-même qui permet cette autodérision. Il vaut parfois mieux rire de certaines choses qui t’arrivent, car en pleurer ne t’amène nulle part.

 

LVP : Transformer une énergie négative en quelque chose de positif, tu t’y prends de manière autonome, à l’enregistrement comme sur scène. Tu te sens plus honnête de cette manière ?

RTE : Il y avait un backing band au tout début de Ryder, The Eagle, simplement car je pensais que c’était la manière de faire un live, sans trop réfléchir à ce que je souhaitais exprimer. Ensuite, j’ai booké une énorme tournée en Europe de l’Est, à laquelle mon groupe n’a pu participer car c’était un peu trop extrême et je ne pouvais pas les payer. J’ai acheté un vieux casiotone, ce vieux synthé des années 80 avec des boîtes à rythmes intégrées, et j’ai enregistré les instrus de tous mes morceaux en mode karaoké. Je les ai mises sur un iPod, et je suis parti. Ce que je pensais être une solution de secours est devenu une solution principale. Tout à coup, j’exprimais des choses, je ne me cachais plus derrière un son rock. Mes paroles, ma voix et ma performance physique donnaient l’émotion, en m’obligeant à être le plus juste possible dans mon expression pour aller au-delà de juste être un bon groupe. Le fait d’être seul sur scène est un moyen de toucher les gens de manière personnelle, de faire tomber le rideau. On pourrait se dire que cela restreint les possibilités, mais ça m’en a au contraire ouvert un océan.

LVP : Il y avait plus de différences entre Adrien et Ryder dans ce format groupe que maintenant ?

RTE : Oui. Et au-delà du côté défouloir que peut représenter le groupe, il y avait un filtre entre ce que j’exprimais et ce que les gens ressentaient. Je préfère que les gens détestent mon concert car il y a des backing tracks, mais que celleux qui aiment soient touché·es dans un sens humain. Cela oblige les gens, aussi, à écouter mes paroles. Après, maintenant que j’ai peaufiné cette approche-là, pourquoi pas retourner en groupe si les instruments sont là pour soutenir l’émotion.

LVP : Depuis tes débuts, tes chansons savent toucher leur public. Il y en a une qui compte particulièrement à tes yeux ?

RTE : Si je devais en choisir une, je pense que ce serait Wounded Bird. Peut-être influencé par le fait que tout le monde l’aime. Elle parle beaucoup aux gens tout en étant très personnelle. Je ne m’attendais pas à ce qu’elle plaise autant. Il y a ce côté magique, elle m’a surpris. Cela crée quelque chose quand je la joue en live.

 

La Vague Parallèle : Que les gens résonnent avec ce que tu écris, ça te surprend ?

RTE : Ça dépend. Qu’ils aiment, non, mais qu’ils soient parfois à ce point touchés par une chanson, oui. Je reçois des messages qui me disent que telle ou telle chanson a changé leur vie. C’est quelque chose que j’écris parce que je l’ai sur le cœur, sans viser un tube ou quoi que ce soit. Pour en revenir à Wounded Bird, c’est marrant que tout le monde se mette d’accord sur un morceau. Tu ne sais pas trop à quoi c’est dû, mais c’est magique.

les gens sont face à ma nudité émotionnelle et affective. Ça ne me dérange pas plus que ça, je n’ai pas de pudeur à ce niveau-là.

LVP : Il y a un côté voyeur à écouter tes titres. Tu recherches cet exhibitionnisme ?

RTE : Oui, complètement. J’écris seul, sans personne autour. Sans me projeter à imaginer que les gens vont écouter, il y a un côté cathartique dans ce que j’écris. Ma feuille blanche, c’est mon/ma psy. J’écris les choses comme je les ressens, en étant le plus honnête possible. Ça me fait un bien fou. Au moment du live, je me rends compte que les gens sont face à ma nudité émotionnelle et affective. Ça ne me dérange pas plus que ça, je n’ai pas de pudeur à ce niveau-là. Je ne recherche pas à choquer les gens, c’est surtout un besoin personnel. Après, je trouve ça hyper intéressant de confronter les gens à mes sentiments bruts, de les voir réagir, ce que ça évoque chez elleux : parfois la gêne, parfois la résonance avec ce qu’iels ont vécu. Et je trouve ça beau, que j’exprime une chose qui de base n’engage que moi et qui, finalement, engage beaucoup plus. C’est aussi pour cette magie que j’aime écrire, ce pont entre tes sentiments et le besoin des gens d’aller trouver des choses qui mettent ce qu’iels ont vécu en résonance. C’est vraiment ce qui me fascine le plus. La sincérité me porte dans la création.

Confronter mon art à des gens qui n’y sont pas prêts est ce qui m’attire le plus, dans cet esprit exhibitionniste de confronter mes sentiments au monde extérieur et hostile.

LVP : Pourtant, lorsque tu tournes au Mexique ou aux États-Unis, les gens ne te connaissent pas. Comme si tu recherchais ce lien avec ce public, tout en cherchant à te mettre en danger. Tu as besoin de cette adversité, de conquérir ton public ?

RTE : C’est ça. J’ai besoin d’aller vers l’inconnu, de confronter mes chansons à l’inconnu. J’adore jouer devant quelqu’un·e qui ne sait pas comment je m’appelle. Alors, il n’y a aucun à priori par rapport à la chanson. C’est juste moi, ma voix, et mes paroles. En tant que songwriter, c’est grisant de voir l’impact que ça a sur une personne que tu n’as jamais vue de ta vie et que tu ne reverras peut-être jamais. C’est plus intéressant que de jouer devant un public acquis, qui m’aime parce qu’il me connait un peu. L’idée de confronter mon art à des gens qui n’y sont pas prêts est ce qui m’attire le plus, dans cet esprit exhibitionniste de confronter mes sentiments au monde extérieur et hostile.

 

LVP : Tu as trouvé le monde hostile durant ta Follymoon ?

RTE : Non, je dis hostile parce que la situation l’est. Beaucoup de gens s’y sentiraient en danger. Quand tu montes sur scène avec des backing tracks, il y a des a priori, les gens se demandent si tu es un musicien. Quand tu es en voyage à l’autre bout du monde, que tu ne sais pas où dormir le soir et que tu n’es pas payé quand tu joues, que tu n’as pas mangé de la journée, il y a toute une situation de stress. On pourrait se dire que l’on veut rentrer chez soi. Oui, c’est hostile, mais si je le tourne d’une manière différente dans ma tête, ça devient plus que ça. Je m’exprime et crée un pont pour les gens, s’ils veulent le prendre, tant mieux, sinon, tant pis et je vais ailleurs. Je me crée une force intérieur pour ne pas être atteint. De cette manière, rien n’est si grave. Tu ne vas pas te ridiculiser tant que ça sur scène, et si une personne pense que tu es ridicule, une autre pensera que tu es super. J’ai fini par prendre confiance à ce niveau-là en voyant les liens que j’ai su créer avec les gens partout dans le monde. Une petite quantité de gens à droite à gauche finit par créer un truc global. Je pense que les gens m’écoutent pour avoir quelque chose d’intime et cru, et qui peut potentiellement interagir avec leur vie.

LVP : Dans ton album précédent, tu écrivais “My words will never sound wrong because I will never feel right“. C’est ta manière d’aborder l’art ?

RTE : C’est ma conviction à moi, mais il y a plein de gens qui font de l’art sans cette approche, et cela reste de l’art. Quelque chose de très léché, très pensé, très cérébral, peut créer des choses fantastiques. Mais ce n’est pas ce qui me touche le plus. Je ressens un vrai sentiment humain, très fort, quand ça vient des tripes. Ma manière de faire de l’art, c’est d’exprimer quelque chose que j’ai besoin d’exprimer, et seulement ensuite de voir ce que ça donne. Sans en faire une règle absolue, je pense qu’on fait de l’art pour être honnête. Et s’il y a un besoin personnel à la base, tout est là pour toucher les gens. En revanche, cela rend le chemin plus long. Pour les gens, ça peut être rebutant de voir un mec qui chante avec des backing tracks plutôt qu’un show produit. Je pars de la base brute avant de chercher à l’embellir.

Rien n’est curated, tout est instantané

LVP : The Divorce est la chanson de Follymoon avec les paroles les plus dramatiques, et pourtant celle avec les arrangements les plus entrainants. Tu cherchais cette ironie ?

RTE : Pas vraiment. C’est parti d’un petit synthé en autoplay. Le groove m’a tout de suite plu. Il se trouve que, ce qui m’habitait, c’était ce divorce. Sur le moment, c’était hyper naturel. C’est avec le recul que je me suis dit que c’était marrant, que ces paroles mélancoliques sur une mélodie joyeuse et ironique me plaisaient bien. J’avais sûrement besoin de ça pour exprimer ce sentiment-là à ce moment-là, même si je n’y réfléchis pas à l’avance. Je fais des accords qui déclenchent un truc en moi. Dans ma tête, rien n’est curated, tout est instantané, et j’analyse après coup. Mon seul moyen de savoir que ça me plaît vraiment est quand ça sort de manière naturelle.

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