Rock en Seine dans toutes ses couleurs : retour sur une fin d’été éclatante
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Auteur·ice : Joséphine Petit
13/10/2022

Rock en Seine dans toutes ses couleurs : retour sur une fin d’été éclatante

Avoir hâte de la fin de l’été : voilà un concept. S’il est rare de trouver des personnes impatientes de dire au revoir aux vacances, soleil et autres festivités, nous faisons partie de celles et ceux qui, non seulement préfèrent l’hiver, mais attendent surtout la fin des chaleurs pour voir revenir Rock en Seine. Si nous avons tardé à vous raconter notre aventure aoûtienne entre la rentrée et les virus de septembre, on vous emmène aujourd’hui avec nous pour un plongeon en plein coeur de l’un de nos festivals préférés.

Jeudi 25 août 

Retour aux sources

Premier jour de Rock en Seine et l’on se pose déjà cette question qui deviendra le rituel du week-end : “À quelle heure tu veux aller au parc de Saint Cloud ?”. Nous vous avions prévenu·es, Rock en Seine se joue aussi l’après-midi. “Je veux absolument voir Yard Act.” Le ton est donné pour ce jeudi qui signe le retour à l’essence rock du festival. On commence par fouler l’herbe séchée du parc en direction de la scène de la Cascade, un peu ému·es de retrouver nos habitudes en ce lieu éphémère iconique. Yard Act offre l’ouverture qu’il fallait à Rock en Seine pour une édition légitime. Bouillants d’énergie pour un débit et un accent irrésistibles, les quatre Britanniques font rapidement décoller les premiers rangs tout en réveillant les derniers. Du parfait cadre pour 100% Endurance à l’efficacité de Payday jusqu’aux refrains de The Overload, il n’en faudra pas plus pour convaincre la petite foule qui s’amasse doucement autour de nous. On fête le premier pogo du week-end sur The Trapper’s Pelts alors que les festivaliers retrouvent l’intensité des concerts et que James Smith les invite à prendre soin les uns des autres. Un concert tout aussi brûlant que bienveillant : on ne pouvait rêver meilleur prélude.

On profite d’un petit temps calme pour faire le tour du site, qui a gagné non seulement une scène depuis sa dernière édition, mais également un espace dédié à des talks. Alors qu’Arnaud Rebotini, Rag et Arthur Lacomblez y débattent le rôle politique de la fête, et qu’on entend le premier assurer qu’il est possible de “constater l’évolution de la musique à travers celle des drogues”, on repose notre dos dans des transats et autres voiliers prêts à larguer les amarres. La décoration nous touche tout particulièrement cette année : entre couvertures célestes colorées et bateaux posés à même le sol, tout est pensé pour faire durer l’été jusqu’à la rentrée.

© Zélie Noreda et Christophe Crénel

On quitte le navire direction la grande scène et surtout Idles, qui honorent en un instant la promesse qui enveloppe leur nom, dans un set brûlant un brin farfelu, souligné par la présence ébouriffante de Mark Bowen foulant la scène en robe fleurie. Quand dès le deuxième morceau Joe Talbolt invite l’assemblée devant lui à se séparer en deux et que Lee Kiernan se jette au-dessus des festivalier·ères avec sa guitare, on sait déjà qu’on ne sera pas déçu·es. Idles délivre sur un plateau d’argent tout ce qu’on attendait et même plus : énergie, puissance, folie, tout y est.

Alors quand vient le tour de Fontaines DC de prendre le relai, on les sent un peu plus sages. Si le show est parfaitement exécuté, on regrette quelque peu la touche extravagante des précédents. Il nous faudra une petite heure pour se glisser totalement à l’intérieur malgré les efforts de Grian Chatten, figure de proue au chant entouré de ses compères qui déroulent l’efficacité de chacun de leurs titres avec une nonchalance statique, certes charismatique, mais presque frustrante. Le ciel rose qui s’étire au-dessus de nos têtes finit par attirer nos yeux plus que la scène, et l’on se dit avec un petit sourire qu’il fait un beau penchant à ces guitares cinglantes, comme un petit clin d’œil aux prochains jours à venir. Quand vient I Love You en dernier hymne, on décide de rester, quitte à perdre un petit centimètre de cadre des Arctic Monkeys, et l’on fait bien. Sous la nuit désormais tombée, le titre résonne sur toutes les lèvres des crash barrières jusqu’à nous, attisant quelques frissons dans la chaleur humide de fin d’été.

Le temps de se presser vers la Grande Scène, sentir monter l’euphorie de retrouver le quatuor dont les posters s’étalaient sur nos murs de chambres adolescentes, et les guitares de Do I Wanna Know ? emplissent l’air en un instant. Livrant un set efficace à souhait dans lequel on regrettera évidemment d’anciens titres oubliés, les Arctic Monkeys font allègrement décoller la poussière du parc de Saint Cloud. Si le temps a quelque peu lissé l’énergie des débuts, il a certainement appris l’élégance à Alex Turner et ses compères, qui offrent des arrangements délicats à nos chouchous Do Me a Favour, Cornerstone, ou encore l’inégalable 505.

© Olivier Hoffschir

Vendredi 26 août

L’odyssée Karftwerk et la messe de Nick Cave

Vendredi sonne le début du temps des décisions, alors que la programmation marie les Donna Blue à Aldous Harding, ou encore James Blake à Los Bitchos. Si Jenny Beth aura électrisé non seulement la scène de la Cascade, mais plutôt l’après-midi tout entier, c’est à Donna Blue que revient le rôle de le magnifier. Le duo, accompagné de musiciens à la fois talentueux et charismatiques, livre ici un set juxtaposant délicatesse et audace, où l’on retiendra particulièrement Arlene’s et les envolées de guitare de Bart, tout autant que le français charmant de Danique sur Solitaire. En fermant les yeux pour redécorer mentalement la scène Firestone, on se croirait presque dans un tableau tout droit sorti d’une autre époque.

© Olivier Offschir

On ne pourrait alors évidemment pas manquer Zaho de Sagazan qui investit la scène du Bosquet avec toute la prestance qu’on lui connaît désormais. Frissons et danses décomplexées garantis ici, tandis que DIIV fait vibrer la Cascade. C’est à James Blake que l’on accorde ensuite le don de sublimer l’après-midi, tant dans les touches aériennes (Limit to Your Love, Retrograde) que les plus terriennes (Mile High, Life Round Here), la magie du show résidant dans la présence de ses musiciens et sa modestie émouvante. London Grammar terminera ensuite de colorer le coucher du soleil avec une scénographie aux images psychédéliques emplissant le paysage tout autant que la voix de Hannah Reid.

Alors que nous prenons place pour Kraftwerk dans une foule qui aura, pour certain·es, attendu ce moment de pied ferme, et pour d’autres décidé d’aller y jeter une oreille curieuse sous les conseils des précédents, les premiers rangs nous tendent de petits cartons blancs dans lesquels reposent des lunettes 3D façon vintage. Dans l’obscurité de la nuit tombée, la foule intergénérationnelle des festivaliers s’uniformise en enfourchant les montures blanches cartonnées avec impatience. C’est ici que Kraftwerk nous fait monter à bord de son vaisseau qui ne se reposera qu’une heure plus tard. L’expérience, si elle est ludique, captivante et réussie, redéfinit avant tout les codes du live. À la manière des concerts au casque, les lunettes enveloppent chacun•e dans une bulle, tout en offrant une même réalité simultanée.

© Olivier Offschir et Christophe Crénel

Et quelle meilleure manière ensuite de faire corps que de se serrer devant le magistral Nick Cave au cœur de la nuit ? Enchaînant des titres tous plus attendus les uns que les autres devant un parterre ému, le crooner offre un show au-delà des espérances. Grippé aux premiers rangs sous un halo où la messe est donnée, il pointe du doigt, serre des mains, prêche la foule toute entière. The Bad Seeds et la théâtralité du moment magnifient sa voix, lui laissant envahir chaque recoin du parc de Saint Cloud, jusqu’au creux de nos oreilles où nous la garderons jusqu’au petit matin suivant.

© Olivier Offschir

Samedi 27 août

Sous les lasers de Tame Impala

Le soleil brille lorsque nous approchons de la scène de la Cascade le lendemain, où Perfume Genius l’investit à son rythme pour faire monter l’intensité titre après titre sous les rayons brûlants de cette fin d’août. Un petit tour côté Bosquet pour chanter les refrains de Melody en cœur avec les Kids Return et nous voilà devant la Grande Scène, à découvrir Lucy Dacus qui était jusque là passée sous nos radars. Assis·es dans l’herbe, on se laisse gagner par sa voix d’une douceur à la justesse incontestable relevée par des guitares et un fond bleu océan qui fait voyager. Glissée au milieu du set, sa reprise de Believe de Cher finira de figer un sourire sur nos lèvres en voyant les festivaliers autour de nous s’enlacer, dans un moment parfaitement suspendu dans le temps comme seuls les festivals savent en créer.

© Christophe Crénel et Victor Picon

Difficile ensuite de choisir entre la fête de Lewis Ofman et la tendresse de November Ultra, tant notre humeur pourrait s’accorder aux deux. Nous décidons finalement de filer direction le Bosquet pour retrouver l’extraordinaire Nova, qui sous une chaleur tropicale livre un set aussi touchant qu’incarné. Lorsqu’elle enfile son casque pour se placer derrière son clavier en laissant échapper “Attention, c’est mon moment David Guetta”, on se souvient qu’on l’aime autant pour ses morceaux d’une beauté sans pareille que ses interventions dignes d’un one woman show. Nous reviendrons juste à temps côté Cascade pour témoigner des prouesses vocales de Lewis Ofman qui s’aventure audacieusement un peu plus loin chaque fois, enchaînant avec un Flash magistral qui terminera non seulement de transformer la pelouse en un dancefloor géant, mais également d’asseoir son titre de magicien des synthés.

Au tour de La Femme ensuite de lancer son propre karaoké géant, lorsque devant une foule de trentenaires déjà bien entraîné·es défilent en arrière-scène les paroles de Où va le monde. Enchaînant tube après tube entrecoupés d’extravagantes et parfois cocasses interventions (on retiendra la géniale dédicace à Robert Gil), Sacha et Marlon font le show, mais c’est aux festivalier·ères que l’on doit l’ambiance. Difficile de savoir si l’on s’est habitué·es à ces deux phénomènes en une dizaine d’années à tel point qu’ils peinent aujourd’hui à nous surprendre, ou si l’on s’est simplement accroché·es aux morceaux en perdant le groupe dans l’affaire. Quoi qu’il en soit, chaque titre fait son petit effet, de Cool Colorado aux classiques Nous étions deux ou encore Antitaxi, et nous en reviendrons satisfait·es d’avoir dansé, chanté et souri à ces pépites qui nous aurons tant suivi·es cette dernière décennie.

© Olivier Offschir et Christophe Crénel

Un petit détour par la scène Île de France pour témoigner de la popularité de nos chouchous de Walter Astral faisant ici salle non seulement comble mais aussi comblée. Autour de nous, ça danse, ça jette les bras en l’air et ça chante sans retenue. Les deux druides, comme ils aiment à se nommer, enflamment la tente sans même une allumette. Nous passons dans la foulée jeter un œil au set de Jamie XX, efficace à souhait avec ses danseurs filmés en direct au milieu de la foule, mais c’est The Blaze que nous attendons de pied ferme pour un show qui nous touche ici tout autant côté scénographie, par une chorégraphie d’écrans diffusant des images plus cinématographiques que jamais, que côté musique, où chaque titre remue nos entrailles dans la nuit, nous arrachant même quelques larmes lorsque résonnent les premiers accords de Territory.

La tension monte d’un cran alors que la foule se tasse devant la grande scène, la rumeur évoquant des lasers, confettis et autres artifices à venir. Alors loin de nous décevoir, Tame Impala livre un show grandiose et de toutes les couleurs où le ciel viendra toucher du bout des doigts nos épaules par la beauté des lasers. À chercher le moindre rayon de lumière des yeux, on finirait presque par en oublier la musique, si elle ne s’accordait pas parfaitement avec l’instant dans une coda magistrale à la soirée, qui nous laissera rejoindre Morphée avec des étoiles plein la tête.

© Olivier Offschir

Dimanche 28 août

Aurora et Parcels : de surprise en surprise

Il aura fallu programmer un réveil ce dimanche matin pour ne rien perdre du rock spontané d’Ottis Coeur qu’on adore tout particulièrement. Nous ne regretterons en aucun cas les quelques heures de grasse matinée perdues pour l’énergie qu’offrent à la fois Camille et Margaux sur scène, et les festivalier·ères encore d’aplomb pour sautiller en ce dernier jour. Lorsqu’à la fin du show, Margaux soulève sa guitare pour révéler le traditionnel “more women on stage”, on puise dans les dernières forces de nos cordes vocales pour donner un peu de voix dans ce cri du cœur.

Après quelques pas de danse au soleil devant les brûlants Nu Genea et un karaoké de nos morceaux préférés de Vendredi sur Mer, Aurora s’avance, pieds nus sous sa tenue immaculée. Titre après titre, elle foule la scène à petits pas dans une grâce digne des plus grand·es, nous adresse des mots de joie d’une voix cristalline et haut perchée, et surtout, donne la chair de poule à la majorité des festivalier·ères présent·es. Autour de nous, les gens s’apostrophent en pointant du doigt leurs bras. Comme une enfant légitime de Florence + The Machine, Aurora virevolte et défie la gravité pendant une heure de rituel qui, même lorsqu’il nous aura arraché des sanglots inattendus, nous aura semblé bien trop court.

© Christophe Crénel

Un petit tour à la scène du Bosquet au coucher du soleil pour la beauté du timbre de Joy Crookes, et nous voilà de retour devant la Grande Scène, prêt·es à accueillir Parcels comme il se doit pour notre dernier concert du festival. Les cinq Australiens, s’ils conversent peu, n’auront de cesse de nous surprendre, dans une démonstration souvent plus instrumentale que vocale. Nous entraînant dans une course effrénée du début à la fin du set, dénaturant parfois des bijoux comme Reflex mais magnifiant Hideout tout en revisitant Lykke Li au passage, on se dit tout de même que ce sont d’incroyables musiciens. Lorsque vient le refrain de Somethinggreater repris par la foule, nous fermons les yeux, savourons l’instant : ce dernier moment de festival, celui dont on se souviendra du goût dans quelques années encore.

© Victor Picon

Quelques minutes plus tard en direction de nos lits, on se surprend à sourire du coin des lèvres. Si cette édition du festival a beau avoir fait parler d’elle sur tous les fronts, elle aura tout de même su marquer les esprits autant que les précédentes. Après deux ans d’absence, Rock en Seine sait toujours aussi bien offrir sa spécialité : ces instants-souvenirs suspendus hors du temps, figés dans nos mémoires à la manière d’un polaroïd que l’on racontera dans les années à venir avec nostalgie à la moindre occasion.

Article co-écrit avec Chloé Lahir

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